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05 novembre 2010

Au revoir Mamie

Mes deux grand-mères nous ont quittées cette année. L’une s’est éteinte en février dernier, dans un hôpital en Espagne, malade d’une cirrhose à quatre-vingt cinq ans. L’autre est partie « chez elle » un premier novembre, une fin d’après midi. C’était la mère de mon père et elle venait de fêter ses quatre vingt huit ans.

Nous l’avons enterrée cette après midi dans les Pyrénées. Elle repose désormais au côté de sa mère, à proximité du caveau où sont enterrés deux cousins et mes deux autres grands-parents. Pour des raisons que je n’expliciterai pas ici, les obsèques se sont déroulées dans une ambiance tendue, où la division a supplanté la communion.

Lorsque survient un décès, les proches tendent à ne retenir le jour des obsèques que les qualités du défunt et les bons moments vécus ensemble. J’ignore franchement ce qui dans cette attitude relève du processus psychologique du deuil qui commence et ce qui renvoi à la convention sociale des adieux mis en scène et de la mémoire sélective.

Cela ne révèle pas la personnalité du défunt dans toute sa complexité. Et faire état de cette complexité, c’est aussi signifier la particularité de la relation qui unie la communauté des vivants au défunt. Et si j’éprouve ce soir le besoin de souligner la part d’ombres et de lumières qui habitaient ma grand-mère, ce n’est que pour mieux penser la relation finalement distante que j’entretenais avec cette femme.

A là différence de mon autre grand-mère, la mère de mon père n’a jamais été une personne très expressive. Elle m’a toujours paru distante, parfois même indifférente. En tant que mère de huit enfants, grand-mère de 21 petits-enfants et arrière grand-mère de 11 enfants, elle a toujours eu des préférences. Celles-ci s’exprimaient dans son comportement et dans la différence de valeur des présents qu’elle offrait. Elle manquait terriblement de tact dans ses gestes et ses paroles.

L’amour d’un fils pour sa mère lui fait pardonner beaucoup de ses torts – l’inverse est tout aussi vrai, et ma grand-mère a aussi encaissé les maladresses de ses enfants – mais s’il n’est pas rancunier, il n’est pas pour autant amnésique. Ces maladresses sont autant de blessures dans l’âme qu’il lui faut panser et dépasser. Or les cicatrices sont indélébiles, on choisit juste de les couvrir ou non. Idem pour le petit fils.

Enfin, pétrie d’une culture traditionnelle de la famille et du rôle de la femme dans celle-ci, elle avait assigné un rôle à chacun de ses filles. L’ainée devait, alors que les parents partaient travailler, s’occuper de ses petits-frères, devenant de facto une mère de substitution. La benjamine devait héberger les parents et les accompagner jusqu’au dernier souffle. A la mort de Papy, Mamie s’est installée chez ma tante et y a vécu jusqu’à son dernier souffle. Elle n’a jamais voulu aller ailleurs. Aucun autre enfant n’a pu profiter seul, d’un moment d’intimité avec elle.

Indifférence, préférences et éloignement. Dès lors, comment évoquer au moment de ses obsèques un moment de complicité qui n’a pas eu lieu ? L’absence de souvenirs est ici plus douloureux que le souvenir du souvenir. Peut être est-ce une question de temps. J’ai l’impression d’avoir côtoyé sa vie plus que d’en avoir fait partie. Cruel constat. Signe aussi de mon propre échec à n’avoir pas su/pu tisser du lien avec elle.

Mais tout ceci ne saurait résumer ma grand-mère. Car c’est aussi une femme pleine de courage. Elle a rompu les liens avec sa famille (d’une certaine condition sociale) pour partir vivre avec mon grand-père qui était un homme marié (on est alors sous le franquisme). Dans les années cinquante, elle a quitté son pays pour venir vivre et travailler en France. Elle a du faire face à bien des préjugés.

Par-dessus tout, elle a du assumer une famille de huit enfants avec un homme au caractère difficile, qui avait le vin mauvais et qui était capable de claquer le salaire de la semaine au bistrot avec ses amis. Elle a passé sa vie à bosser sans compter, sans broncher, en encaissant beaucoup. Cela n’excuse pas sa façon d’agir sur d’autres points, mais il serait injuste d’oublier les sacrifices auxquels elle a consentie.

Au revoir Mamie. Reposes en paix.

00:11 Publié dans Récit de vie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : mémoire, espagne

Commentaires

"Dans son deuxième tome de la trilogie Ender, 'la voix des morts', Orson Scott Card fait de son personnage principal, Ender Wiggin, le porte parole de celui qui est mort. Il utilise l'expression "parler la mort".

Dans cette approche, il se conforme à une règle qui nous semble intangible et qui est le fondement de notre univers, au sens physique et cosmogonique du terme, à savoir que notre univers est constitué d'un tout qui est égale à rien ...En d'autres termes, et plus simplement, à toute chose correspond son contraire."

Et donc, parler la mort demande de ne pas occulter la face cachée, la face sombre du disparu, de la disparue.

J'avais écrit ces mots ailleurs où tu as sans doutes du les lire déjà, Pablo.

Mais en te lisant je n'ai pu m'empêcher de songer à ce livre, à cet auteur.

Plein de sympathiques et amicales pensées pour toi ... :-)

Écrit par : Songoh Khan | 05 novembre 2010

Merci

Je ne connaissais pas cet auteur. Je vais le rajouter aux livres plus ou moins recommandés depuis 3-4 ans.

J'ai à un instant pensé intituler ce billet "histoire de famille" mais ça m'aurait obligé à rentrer dans trop de détails (et il y a beaucoup de protagonistes) et je ne veux pas m'exposer.

Je viens de relire bes billets que tu avais écrits à ce sujet. J'ai eu la surprise de découvrir un parallèle entre ton histoire et celle de mon père dans la manière dont vous avez appris la nouvelle du décès.

Écrit par : Pablo | 05 novembre 2010

que c'est bien dit et bien écrit Pablo.
Déjà un mois que le papounet de papounet est enterré.
lui aussi il avait plein de zone d'ombre dans sa vie.
bien sur il y a bien longtemps que j'avais fait un droit d'inventaire sur tout les souvenir bon et moins bon qu'il a laissé a nous ses enfants mais aussi a tout ceux qu'il a connu.
dure aussi d'avoir un jugement sur quelqu'un car l'ampleur de notre propre jugement varie avec notre propre maturité.
a 20ans je jugeait sévèrement les défauts de mon, père a 50 ans je les jugait beaucoup moin séverement car je les resituais sythématiquement dans leur contecte d'époque.
a méditer
claude

Écrit par : claude | 09 novembre 2010

Se rappeler les bons souvenirs sans occulter les mauvais, nous sommes tellement complexes nous les humains.
La part d'ombre me fait toujours penser à l'héritage psychologique que nous laisse nos prédécesseurs.
Mais le temps de deuil ou l'on se rappelle le meilleur de la personne est peut-être lié au fait que pardonner à quelqu'un, c'est s'en libérer.
Bises

Écrit par : Catherine | 11 novembre 2010

Merci les amis pour vos belles et justes paroles.

"dure aussi d'avoir un jugement sur quelqu'un car l'ampleur de notre propre jugement varie avec notre propre maturité."

Cette maturité dépend beaucoup du temps qui passe. Et comme l'a dit Songoh Khan sur son blog, le temps est résilience.

Et il m'en faudra du temps, moins vis à vis de ma grand-mère dont j'ai accepté la façon d'être depuis quelques années déjà, que pour la communauté des vivants qui l'a accompagné jusqu'au dernier instant.

"La part d'ombre me fait toujours penser à l'héritage psychologique que nous laisse nos prédécesseurs."

C'est peut être une autre façon de dire que la part d'ombre qu'on décèle chez quelqu'un, est aussi une sorte de projection de nous même sur cette personne (notre ressentie au regard du contact entretenue avec elle etc)... ou quelque chose dans le genre (je trouve pas les bons mots).

Écrit par : Pablo | 14 novembre 2010

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