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30 novembre 2010

Pourquoi il faut écouter DSK

Dernièrement en Allemagne, à l’occasion d’une conférence réunissant les banquiers centraux, DSK s’est exprimé sur la situation économique européenne. Il a relancé le débat sur l’intégration européenne par ses propositions.

D’abord, il appelle à « créer des conditions égales pour les travailleurs européens, en particulier dans le domaine de la fiscalité du travail, systèmes de prestations sociales et la portabilité des prestations, et de la législation de protection de l’emploi ».

Ensuite, il propose de « créer une autorité budgétaire centralisée, aussi indépendante politiquement que la Banque centrale européenne ». Cette autorité fixerait les orientations budgétaires de chaque pays membre et allouerait les ressources provenant du budget central pour mieux atteindre le double objectif de stabilité et de croissance. La Commission pourrait jouer un tel rôle.

Enfin, il recommande « d’aller au-delà de l’actuel budget de l’UE, strictement limité par les traités, pour aller vers un système qui utilise des instruments plus transparents au niveau européen, comme une TVA européenne, ou une taxation et tarification du carbone ».

En gros, Dominique Strauss-Kahn propose simplement de :

1)   Parachever le marché européen de l’emploi afin de permettre une réelle mobilité des travailleurs entre Etats membres.

2)   Constituer une politique budgétaire européenne, orientant davantage les politiques nationales plus qu’elle ne les remplace,  pour mieux équilibrer la politique économique européenne.

3)   Augmenter le budget européen en le dotant de ressources fiscales propres

Bien sûr, certains en France n’ont pas manqué de voir dans ses propositions une « atteinte intolérable à la souveraineté » des Peuples et des Etats pour le seul profit des « technocrates bruxellois », signe que DSK serait « au service des financiers »… Je passe sur la logorrhée souverainiste.

J’ai toujours du mal à comprendre comment on peut contester le manque de moyens des institutions européennes voir leurs inactions face à la crise économique, et venir crier au scandale dès lors qu’on propose justement de donner à l’Europe les moyens d’agir sur l’économie ?

Les souverainistes de droite n’aiment pas l’Europe et veulent quitter l’euro, je ne partage pas leurs vues mais au moins il y a une logique dans leur refus de l’intégration. Les souverainistes de gauche font parfois mouche dans leurs critiques de l’Europe mais rejettent tout ce qui pourrait en corriger les travers.

Je n’aime pas ces eurosceptiques de gauche qui critiquent l’Europe au nom d’une Europe idéale, sans jamais se montrer capable de se projeter à cette échelle pour apporter des solutions. De l’autre côté, les européistes présentent l’Europe pour ce qu’elle n’est pas (encore) et tardent trop à en faire ce qu’elle devrait être : une fédération d’Etats-nations.

Confier la politique budgétaire communautaire (soit l’exécution du budget de l’UE et la responsabilité du maintien de la discipline budgétaire des Etats) à la Commission, ne me parait pas dénué de sens économique. Et au regard des évolutions des traités, la logique ne serait pas bureaucratique mais bel et bien politique. Le fameux traité de Lisbonne ouvra la voie à une forme de régime parlementaire à l'échelle européenne, avec un Président de la Commission et une Commission issue des élections européennes et responsable devant le Parlement.

On voit bien que les négociations actuelles sur le budget communautaire sont de plus en plus lourdes et compliquées. Elles dépendent des accords d’une part des 27 Etats membres au sein des Conseil des Ministres et du Conseil européen (Chef d’Etat et de gouvernement), et d’autre part de la Commission européenne et du Parlement européen. Et les traités actuels limitent les capacités du budget européen (1% du PIB).

Quant au Pacte de Stabilité et de Croissance et les réformes structurelles qui tiennent lieu d’harmonisation des politiques économiques des Etats membres, leur conception comme leur application finale dépend des influences politiques et économiques des Etats membres (avec des logiques sous-jacentes des gros Etats contre les petits, ceux du centre contre ceux de la périphérie, les Etats fondateurs contre les derniers arrivants etc).

Cette absence de réelle politique budgétaire communautaire contraste, en même temps qu’elle affaiblie, avec la mise en oeuvre d’une politique monétaire unique, gérée par la BCE. De fait nous avons créé une union économique et monétaire déséquilibrée. Et autant la mise en place de l’euro a assurée une convergence entre les économies des Etats-membres, autant l’incapacité à nous coordonner fiscalement et budgétairement depuis l’entrée de l’euro, tend à raviver les divergences.

Depuis longtemps les économistes rappellent qu’une zone monétaire optimale ne peut être viable qu’à la condition que les facteurs de productions (capital et travail) soient parfaitement mobiles, et qu’elle puisse faire face aux chocs asymétriques (qui à la différence des chocs symétriques n’impactent pas de la même façon tous les pays de la zone). Or pour des raisons culturelles et politiques (réglementation sociale et fiscale), le travail n’est pas mobile en Europe. Et la politique budgétaire des Etats membres n’est pas coordonnée pour faire face aux chocs asymétriques.

Cela explique autant une partie des problèmes économiques de l’Europe que sa difficulté actuelle à régler la crise de la dette publique en Grèce et en Irlande. La spéculation sur la dette publique est certainement exagérée – les Etats ont la signature la plus sûre – mais les déficiences économiques des Etats qu’elle met en lumière, sont bien antérieures à l’agitation actuelle des marchés. La spéculation joue ici autant comme élément déclencheur qu’élément d’amplification de la crise.

Bien que les marchés insistent en apparence sur le niveau de déficit et de dette publique de la Grèce, c'est bien le secteur privé qui pose problème. Et sur ce point, l'Irlande, le Portugal ou encore l’Espagne sont dans des situations bien différentes. L’Irlande et l’Espagne ont assurés cette dernière décennie, leur croissance sur un modèle qui a fini par exploser avec la crise de subprimes. La Grèce et le Portugal souffrent eux d’une spécialisation économique intra-zone qui leur est défavorable, partiellement compensé jusqu’ici par des aides structurelles communautaires et des conditions de refinancement leur autorisant quelques excès en matière de finances publiques.

A tout cela, ajoutons les effets explosifs de la politique économique de l’Allemagne et les soubresauts des monnaies internationales. L’Allemagne a le mérite de s'être spécialisée dans les secteurs à haute valeur ajoutée, ce qui favorise ses exportations, principale source de sa croissance aujourd’hui. Le hic c’est que ses performances commerciales viennent aussi d’une politique de compression des salaires, ce qui pénalise la demande interne et les autres économies de la zone. L’Europe est par ailleurs victime des chinois, qui refusent toute appréciation du yuan, et des Etats-Unis qui organise la dépréciation du dollar pour se relancer.

L’insuffisante intégration économique de la zone euro, tant l’harmonisation fiscale et sociale que la coordination des politiques budgétaires et monétaires, fragilise la zone euro. Sous la pression des marchés, l’ensemble des pays de la zone s’orientent vers des plans d’austérité non coordonnés, dont l’application aura en l’état, pour effet d’accentuer la récession et augmenter le risque de dérive de leurs dettes publiques.

En l’état actuel des choses, l’union économique et monétaire (UEM) est dans une impasse : elle ne peut pas se sauver en laissant un de ses membres quitter le club ; et elle ne survivra pas si elle n’avance pas vers plus d’’intégration économique.

Certains avancent l’idée de faire sortir de l’UEM les Etats les plus secoués par les marchés. En revenant à leur ancienne devise, ces Etats pourraient atténuer le coût de l’ajustement économique en laissant la monnaie se déprécier (baisse de valeur par rapport aux autres monnaies). Le problème c’est que le retour à l’ancienne devise a un coût économique, financier et politique pour le pays qui s’y aventurerait, sans aucune garantie des gains liés à la dépréciation (contexte internationale de guerre des monnaies). Quant à l’UEM, elle perdrait en crédibilité.

Mais de l’autre côté, vouloir sauver l’euro sans davantage d’intégration économique semble voué à l’échec à moyen terme. Cela se traduit aujourd’hui par l’adoption de fonds de stabilisation et de garantie en faveur des pays fortement exposés au risque de solvabilité, en échange d’un plan d’ajustement de grande ampleur. Or la politique d’austérité (véritable déflation organisée) n’aura pour effet que de casser la reprise actuelle (bien timide) et d’affaiblir, par des coupes budgétaires sans discernement, la croissance potentielle à moyen long terme. Ceci renforçant la dépression économique et donc les risques de faillite qu’elle était censée éviter.

Dans cette histoire, le rôle du FMI a quelque chose de paradoxal. Habituellement, il intervient auprès des Etats en situation délicate – il est alors le prêteur en dernier ressort, c'est-à-dire quand plus personne ne veut prêter aux Etats – et de fait les remèdes qu’il préconise sont douloureux. On le traite de « bourreaux des peuples ». Mais là, par la voix de son directeur général, il est en train de nous dire comment éviter de faire appel à lui. Tant que rien n’est fait dans le sens d’une plus grande intégration de la zone euro, la menace d’une (ou plusieurs) intervention(s) en urgence du FMI ne saurait être exclue…

Erratum:

Par manque de connaissances suffisantes sur le sujet, j'ai volontairement laissé de côté la question de la réforme du système financier. Je pense en revanche qu'il faut inverser la tendance actuelle (mais pas nouvelle) à la financiarisation des stratégies d'entreprises, responsables d'opérations de court terme au détriment de stratégies de long terme, précisément celles dont a besoin l'Europe pour faire face à la concurrence étrangère.

Autre précision, il va de soi que pousser la zone euro vers plus d'intégration économique passe par des réformes structurelles, susceptibles de heurter certaines sensibilités nationales.

00:10 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dsk, économie, europe

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