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09 juillet 2008

La flamme et la cendre

La flamme et la cendre.jpegCeux qui me connaissent un tant soit peu savent l’intérêt que je porte à la vie politique en général et à la chose publique en particulier. Mais contrairement à une idée reçu, je ne suis pas un féru des livres écrits par nos responsables politiques (les écrivent-ils vraiment ? c’est un autre débat) ou ayant trait à la vie politique (par exemple « Les prétendants »). Je les trouve trop souvent circonstanciés, et du coup trop fades, sans grand intérêts sur le plan des idées. Mais il y a bien quelques exceptions.

Je viens d’achever la lecture de La Flamme et la Cendre, écrit par Dominique Strauss-Kahn et paru en janvier 2002. On me demandera pourquoi avoir attendu autant de temps alors que l’auteur n’est plus sur le devant de la scène et qu’il a écrit d’autres ouvrages depuis. La vérité c’est que pour moi, il y a les livres promotionnels - qui ne durent que le temps d’une campagne - et les livres de réflexions – qui savent rester d’actualité bien des années après. Ce n’est pas une question d’auteur qu’on apprécie ou non (et on sait que j’apprécie DSK ou Rocard), puisque j’estime que 365 jours, Journal contre le renoncement,  du même auteur, fait partie des livres promotionnels qui ne marquent pas leurs temps.

Il convient de replacer le contexte dans lequel l’auteur a écrit cette oeuvre. Nommé Ministre de l’économie et des finances en 1997 dans le gouvernement Jospin (il y fait figure de « poids-lourds »), il démissionne en novembre 1999 lorsqu’il est mis en cause dans des affaires judiciaires (conclues en non-lieux en 2001). Sa carrière politique interrompue en pleine lancée, on conviendra qu'il y a des situations plus malheureuses, il profite d'être dans le creu de la vague pour prendre le temps de réfléchir, le temps d’écrire. Il en ressort un livre singulier, authentique et très personnel.

Quatre grands sujets sont abordés, tous subdivisés en plusieurs chapitres. Le livre commence par une réflexion sur le socialisme comme doctrine politique. Effectuant une perspective historique, l'auteur explique la fameuse dialectique "réforme/révolution", le poids du marxisme et son questionnement face aux problèmes actuels. Il développe la notion des 3 socialismes: celui de la redistribution, celui de la production et celui de l'émancipation (c'est à dire celui consistant à lutter contre les inégalités à la racine).

DSK traite dans une seconde grande partie le vaste sujet de la mondialisation. Après avoir énumérés les différents points de vue critiques émis sur le processus de globalisation, il explique en quoi c'est un processus irréversible qui n'a pas que de mauvais aspects. Il dit notamment que la lutte pour l'environnement est un facteur de mondialisation, et argumente à cet effet sur l'intérêt du nucléaire et du système des "droits à polluer" (à côté du système des éco-taxes). Enfin il appelle de ses voeux une régulation de la mondialisation (il aborde ici les limites pratiques de la taxe Tobbin) au niveau européen et des instances internationales (dont le FMI, l'OMC, l'OIT, le G8 etc) qu'il souhaite réformer pour une nouvelle "gouvernance mondiale". Il aborde là la question de l'architecture du système international, de la légitimité démocratique et l'arbitrage.

En troisième partie vient l'Europe. Il rappelle que l'histoire de la construction européenne repose sur deux dynamiques: la délégation de prérogatives nationales vers l'échelon communautaire (Commission et Parlement) et l'harmonisation (notamment au niveau du marché intérieur). Il rappelle d'autre part la spécificité du modèle social européen fondé sur une mutualisation des risques permises par le welfare state. Le reste de son propos sur le sujet européen concerne la monnaie unique et ce qu'elle implique politiquement sur les instances européennes. Rappelons qu'en 2002, l'euro remplace tout juste nos monnaies nationales. Il milite donc pour une gouvernance économique européenne qui coordonerait la politique monétaire de la BCE et les politiques budgétaires des Etats (via l'Ecofin). Cette partie est d'autant plus intérressante qu'il nous livre son expérience et relate ses combats (souvent soldés par des semi-échecs) auprès de ses partenaires européens pour faire avancer l'idée.

Enfin, il consacre le dernier chapitre à la France. Il fait le point sur son action à Bercy notamment sur la question des privatisations, de la réforme fiscale du gouvernement Jospin, et enfin de la politique industrielle. Son soucis ayant été de booster la croissance économique pour relancer l'emploi. Par la suite, il analyse le dialogue social dans notre pays en rapport à la dialectique "loi/contrat". Il émet une critique sur la méthode choisit pour le passage aux 35 heures mais ne critique pas la proposition en elle même. Il émet quelques propositions sur la refonde de la démocratie sociale en France. Il aborde le sujet épineux de la réforme de l'Etat et du statut de la fonction publique (dont la haute-fonction publique) en énoncant quelques principes clés pour une bonne méthode de réforme. Il termine par une réflexion sur les instutions françaises (le régime présidentiel, la réhabilitation du Parlement, la fabriquation des lois, la structure territoriale, le vote des immigrés).

En refermant le livre je me suis rappellé pourquoi j'ai soutenu - et je soutient encore - la démarche de Dominique Strauss-Kahn. Avec un soucis de pédagogie et d'équilibre dans ses propos*, il éclaire le lecteur sur les enjeux auxquels la France est confrontée, avec la méthode - la sociale-démocratie - pour les traiter. Il est même ironique de voir à quel point ce qu'il a pu écrire à l'époque est toujours d'actualité, et comment certains responsables politiques (à gauche comme à droite) ont repris ses positions.

Le livre m'a plu parce qu'il s'adresse à l'intellectuel des gens, mais je peux concevoir que la forme de l'analyse retenu par DSK ne soit pas la plus appropriée pour la compréhension du citoyen lamba peu initié à l'économie, la sociologie ou le droit. Je veux dire par là qu'étudiant ces disciplines là, le discours ne m'est pas étrangé. Enfin, je terminerai par un regret: dommage que l'auteur n'est pas su dans son engagement politique depuis 2002, mettre en avant et de façon aussi claires, ses idées et ses prises de positions. Peut être qu'alors, on aurait pu éviter le phénomène Ségolène Royal.

* Ce qui ne veut pas dire que je sois d'accord sur tout; J'estime que son argumentaire sur le nucléaire passe sous silence la gestion des déchets dans le temps, un temps qui dépasse largement celui d'une vie humaine.

Commentaires

Effectivement, ce qui a suivi était moins sex -pour nous- mais comme tu le notes nous sommes rompus à ce genre de réflexion. Au cours des primaires, on a déjà reproché à DSK d'être trop stratosphérique, alors que je l'ai trouvé un peu ras des pâquerettes par rapport à d'habitude. Ceci doit amener à s'interroger un peu. Par contre effectivement, il a gagné la bataille culturelle sur pas mal de sujets, ce qui est un bien.

Écrit par : Tonio | 10 juillet 2008

Pour moi c'est une lecture indigeste je n'y comprends miettes et en avoir une traduction c'est plutôt pas mal.. enfin il y a des passages qui lorsqu'ils laissent perplexes rendent méfiant.. je crois que c'est le complexe de l'ignorant qui pense que derrière le langage technique se cache une couleuvre.. Bon ce n'est pas mon cas :o)
mais c'est vrai que je pensais que les 365 jours nous donneraient une version grand public, en fait c'était un résumé de son blog, pas idiot non plus de mettre sur papier ce qui n'était accessible qu'aux internautes et en même temps forcément décevant .

Écrit par : Catherine | 11 juillet 2008

http://www.christophepaquien.fr/?p=40#more-40

Écrit par : Catherine | 12 juillet 2008

D'après ses dernières déclarations sur la crise alimentaire et la nécessite de répercuter la hausse des prix sur les consommateurs (Libé du 9/07), je suis sûr qu'il y a une différence entre DSK, Larrouturou et Rocard.

Les deux derniers, au lieu de rester dans la règle du jeu, compte la changer, par un Nouveau Bretton Woods.

Écrit par : Christophe Paquien | 12 juillet 2008

En même temps, il y'a des choses que le directeur du FMI n'a pas la liberté de dire, non? Déjà qu'il se fait un peu shooter sur son projet de réforme du FMI, qu'est pourtant pas bien méchant...

Écrit par : tonio | 15 juillet 2008

J'aurais tendance à penser que l'important n'est pas ce qu'il a le droit de dire, mais ce dans quoi (et pourquoi) il s'est engagé et ce qu'il fera pour aller dans ce sens.

Il a pris une grande responsabilité en devenant Directeur général du FMI. L'a t-il fait par orgueil ou pour agir à partir d'une organisation avec beaucoup de moyens qu'elle ne semble pas toujours avoir utiliser au mieux ?

Si le but, c'est de se faire mousser et de se préparer pour 2012, c'est vrai qu'il n'a rien à remettre en cause dans ce qu'est aujourd'hui le FMI (et son discours).

Maintenant, je trouverais un peu dommage qu'un type aussi brillant abandonne ses convictions (ok, les mette de côté ou dise le contraire de ce qu'il pense). Surtout dans la periode actuelle où, comme il le dis: « 40 % de la population des pays en développement est déjà en situation de dénutrition, et ce pourcentage pourrait augmenter rapidement. La hausse des prix mondiaux des produits alimentaires a presque doublé l’an passé, et la situation se détériore. »

Pourquoi Rocard et Larrouturou peuvent le dire ?
Parce qu'ils ne sont pas en position de faire ce dont ils parlent ?
Je trouve quand-même que ça aurait de la gueule (et du poids) un Directeur du FMI qui appellerait à changer le système financier international.

Écrit par : Christophe Paquien | 15 juillet 2008

Catherine,

DSK utilise un vocabulaire un peu trop soutenu par moment dans la Flamme et la Cendre.

Un des reproches que je ferais aux billets de DSK sur son blog c'est que souvent ils me laissaient sur ma faim. Parfois le billet terminait alors même que ça commençait à devenir intéressant. Et c'est le sentiment que j'ai eu en lisant justement 365 jours. Ca veut pas dire non plus que j'adore lire des notes de 500 pages :p

Le langage technique est un frein à la compréhension du plus grand nombre majoritairement profane (à noter que le langage technique n'est pas le propre de la classe politique, ça vaut pour toutes les activités et professions). J'en avais parlé dans ma note (http://dune-terre-a-l-autre.hautetfort.com/archive/2008/05/15/a-recherche-d-idees.html ), concernant la Fondation Terra Nova.

Mais il faut bien admettre qu'un problème complexe (j'ai pas dit "compliqué", ce n'est pas la même chose) ne peut se traiter et se résumer à quelques lignes ou quelques phrases. C'est pourtant ce qu'impose le timing médiatique et c'est ce qui produit un discours politique simpliste, non différentiable et forcément décevant.

Après me revient cette phrase "tout ce qui est simple est faux, tout ce qui est compliqué est inutilisable".

Christophe Paquien,

D'abord bienvenue sur mon blog ;-)

Ensuite je trouve que le texte de DSK peut s'interpréter de différentes manières.

Tonio l'a résumé à sa façon sur le blog de Catherine. J'y souscrit pleinement.

http://ouenja.blogspirit.com/archive/2008/07/12/dsk-fmi.html#c2021411

Je suis d'accord pour dire que la phrase "répercuter intégralement les hausses de prix sur les consommateurs” est choquante lorsqu'on sait la situation de dénutrition.

Maintenant économiquement parlant (comme DSK le souligne) si on ne répercute pas les prix sur les consommateurs c'est qu'on préfère le faire sur les producteurs. Or selon la situation de ceux là, donc selon leur marge de manœuvre financière compte tenus des coûts intermédiaires (machines, carburants), ça pourrait être bien plus chaotique à court terme.

C'est sûr que ça n'arrange rien pour ceux qu'ont faim et c'est bien là le drame.

De la même manière la phrase "les marchés mondiaux de denrées alimentaires doivent demeurer ouverts" me parait pas sans fondements même si c'est pas sans risques et sans problèmes.

Je serai plus sceptique sur la "politique monétaire".

La question à se poser avec Rocard et Larrouturou (et de bien d'autres je suppose) et leur idée de nouveau Bretton Woods (à noter qu'il en est question un peu dans "Les moyens d'en sortir" présenté précédemment) n'est pas de savoir s'il leur est facile ou non de l'énoncer compte tenu de leur situation politique, mais bel et bien de savoir ce qu'ils font pour faire avancer l'idée.

Je sais que Larrouturou parle dans sa Contribution (que je me tâte d'ailleurs à signer) de réunir les socialistes des 27 pays de l'UE, seulement a-t-il seulement pensé une fois d'agir par le cannal du PSE ? Idem pour Rocard: as-t-il des contacts au sein des socialistes européens ? est-ce qu'ils débouchent sur un travail programatique ? On sait pas vraiment...

Enfin, la présence de DSK au FMI laisse transparaitre deux types de réactions: ceux qui disent qu'en en bon (néo)libéral il va rejoindre ses copains de la finance internationale dans le grand complot du Capital, et ceux qui disent qu'il va y "casser la baraque" et tout réformer, et que tout ira mieux dans 5 ans. Je caricature un peu ;-)

Et bien tout strauss-kahnien que je suis - j'aime pas l'appelation - je sais qu'il n'est pas en position de tout réformer. Pas seulement pour des raisons (géo)politiques (cf le poids des USA), mais pour des raisons bêtement sociologiques. Le FMI est une institution "vivante" où je suppose que s'affrontent (tout en coopérant) des composantes internes (directions, services) selon des considérations diverses (champ de représentions ou "idéoglique" économique politique différente, poids de tel ou tel secteur économique, poids de tel ou tel pays), en plus des influences externes. Lui, il n'est "que" directeur général qui dépend aussi de l'information que veut bien lui donner son cabinet et les différents services.

Mais je suis sûr que les changements structurels engagés produiront des effets à moyen terme, et surement même plus après le départ de DSK au FMI (donc quelque part ça sera plus son successeur qui en profitera).

Écrit par : Pablo | 15 juillet 2008

Pablo,

Merci de m'accueillir et de ta réponse ;;-)

Je dois avouer que sur ces questions économique, je suis assez tendu, et donc un peu direct. Je pense que ça sent vraiment pas bon, et les développements des derniers jours ne sont pas faits pour me rassurer.

Après, la crise actuelle me semble être une bonne opportunité de changer certains fondamentaux, qu'ils soient économiques, mais aussi sociaux, culturels...

Je partage ta sympathie pour Larrouturou et sa contribution.

Pour Rocard, il fait des choses au niveau européen qui ont conduites à la publication d'une tribune dans le Monde du 22 avril, dans laquelle il dénonce, avec de nombreux socio-démocrates historiques (Rasmussen, Delors, Schmidt...), la crise financière, le marché et appelle à une conférence internationale pour redéfinir les règles.

Écrit par : Christophe Paquien | 15 juillet 2008

La simplification de ces deux phrases entraine un quiproquo:
"répercuter intégralement les hausses de prix sur les consommateurs"
"les marchés mondiaux de denrées alimentaires doivent demeurer ouverts"
Aves DSK on ne doit jamais oublier le but qu'il cherche à atteindre, c'est ce que j'avais remarqué sur son blog,
Mais pour ses détracteurs c'est du miel, sans le developpement que vous en donnez, il faut un traducteur :o)
moi je continuerai à faire mon ingénue, c'est essentiel de savoir où cela freine

Écrit par : Catherine | 16 juillet 2008

Bonjour,

Il semblerait que nous ayons les mêmes références !
J'aimerais bien avoir votre avis sur l'article suivant:

« Travailler plus, pour gagner quoi ?, par Robert Castel
LE MONDE | 08.07.08 | 14h00 • Mis à jour le 08.07.08 | 14h00

Il s'est produit en une dizaine d'années une transformation considérable et inattendue dans la représentation de la fonction et de l'importance du travail dans la société française. Au milieu des années 1990 fleurissaient des discours sur le travail "valeur en voie de disparition", voire sur la "fin du travail". Ils traduisaient l'opinion - erronée mais à la mode - que le travail perdait son importance comme le socle privilégié de l'inscription des individus dans la société.

Parallèlement, le débat public était animé par des réflexions plus sérieuses sur la possibilité de lutter contre le chômage en réduisant la durée du travail afin de mieux le répartir. Réflexions plus sérieuses, parce que le plein-emploi ne se mesure pas à la durée du travail, ni sa productivité au temps passé à travailler. Il n'est donc pas déraisonnable de penser que dans le cadre d'une meilleure organisation du travail, compte tenu des gains de productivité et des progrès technologiques, on pourrait travailler moins en travaillant mieux, comme l'atteste l'histoire du capitalisme industriel.
Quoi qu'il en soit de leur pertinence, ces débats ont complètement disparu de la scène publique. On assiste, au contraire, à une extraordinaire survalorisation du travail portée par une idéologie libérale agressive qui trouve sa traduction politique directe dans les orientations de l'actuelle majorité, président de la République en tête. La virulence de la critique des lois dites "lois Aubry" sur la réduction du temps de travail après le changement de majorité en 2002 a parfois frôlé l'hystérie. "La France ne doit pas être un parc de loisirs", déclarait durant l'été 2003 Jean-Pierre Raffarin, alors premier ministre. La France est devenue la lanterne rouge de l'Europe, elle s'enfonce dans le déclin parce que les Français ne travaillent pas assez : la campagne présidentielle a été dominée par cette apologie du travail, et l'habileté avec laquelle Nicolas Sarkozy l'a orchestrée a été pour beaucoup dans son succès.
Tout le monde a en mémoire les slogans incitant au travail et portant la promesse que travailler davantage est le moyen à la fois d'améliorer son pouvoir d'achat et aussi d'accomplir son devoir de citoyen et d'aider la France à retrouver la place qu'elle mérite dans le concert des nations. Cela, évidemment, pour tous ceux qui veulent bien travailler, qui en ont le courage. Cette célébration du travail est en effet assortie de la stigmatisation de tous ceux qui ne travaillent pas. C'est le soupçon qui pèse sur les chômeurs d'être des "chômeurs volontaires" pour lesquels on va multiplier les contrôles et les pressions pour qu'ils acceptent n'importe quel emploi. C'est aussi la condamnation des assistés, comme les bénéficiaires du RMI, accusés d'être des parasites vivant aux crochets de la France qui se lève tôt.
Ces positions, au demeurant populaires, pourraient paraître, si ce n'est aberrantes, à tout le moins paradoxale, puisque l'une des caractéristiques de la situation actuelle est précisément que le travail manque et que le plein-emploi n'est plus assuré depuis trente ans. Cependant, c'est dans ce contexte que l'incitation inconditionnelle au travail prend tout son sens.
Il faut en effet penser ensemble ces trois composantes de la situation présente : primo, il y a du non-emploi, c'est-à-dire une pénurie de places disponibles sur le marché du travail susceptibles d'assurer le plein-emploi ; deuxio, il y a une survalorisation du travail qui en fait un impératif catégorique, une exigence absolue de travailler pour être socialement respectable ; tertio, il y a cette stigmatisation du non-travail, assimilé à l'oisiveté coupable, à la figure traditionnelle du "mauvais pauvre" vivant aux dépens de ceux qui travaillent.
Ces trois dimensions fonctionnent d'une manière complémentaire pour impulser une politique pouvant conduire à la pleine activité sans que cela signifie le retour au plein-emploi. Tout le monde doit et pourrait travailler si on abaisse le seuil d'exigence qui commande l'accès au travail. Il faut donc travailler même si le tra-vail n'assure pas les conditions minimales d'une certaine indépendance économique. C'est ainsi que l'on devient un travailleur pauvre, figure qui est en train de s'installer dans notre paysage social. Ce n'est pas très gratifiant à aucun point de vue d'être un travailleur pauvre. Cependant c'est mieux que d'être un mauvais pauvre, un misérable parasite assisté.
Se dessine ainsi une stratégie qui, à la limite, pourrait résorber le chômage en le grignotant progressivement par la multiplication de manières dégradées de travailler. On pourrait de la sorte restaurer une société de pleine activité (mot d'ordre de l'OCDE), sans que l'on puisse parler de société de plein-emploi, si l'on entend par emploi un travail relativement assuré de sa durée (prééminence du CDI), fermement encadré par le droit du travail et couvert par la protection sociale. Le processus est en cours. De contrats aidés en services ponctuels à la personne en passant par la montée en puissance des formes dites "atypiques" d'emplois qui représentent aujourd'hui plus de 70 % des embauches, se met en place une large gamme d'activités qui institutionnalisent la précarité comme un régime de croisière dans le monde du travail. L'insécurité sociale est de retour, et un nombre croissant de travailleurs vivent à nouveau "au jour la journée", comme on disait autrefois.
Le nouveau régime du capitalisme qui se met en place depuis trente ans après la sortie du capitalisme industriel n'est pas en mesure d'assurer le plein-emploi. La preuve : l'existence d'un chômage de masse et la précarisation des relations de travail. Mais ce n'est pas ce qu'il vise, et ceux qui le mettent en oeuvre s'attaquent au contraire au statut de l'emploi en dénonçant les coûts qu'il représente et les obstacles qu'il met au libre développement de la concurrence au niveau de la planète.
Par contre, ce capitalisme en appelle à la pleine activité pour maximiser la production des richesses, qui continue à dépendre du travail. La Chine offre en ce moment l'exemple d'un fantastique développement économique en grande partie dû au fait que le coût du travail y est très bas parce que les garanties liées à l'emploi sont rarement associées aux activités qui se déploient "librement".
Nous ne sommes pas en Chine, mais la France est engagée dans une dynamique de montée en puissance de différents types d'activités en deçà de l'emploi. Ces formes de sous-emploi sont généralement peu attractives et elles n'assurent pas les conditions de base nécessaires pour mener une vie décente. On conçoit donc que des pressions doivent s'exercer pour faire accepter ces formes de travail : il faut absolument que tu travailles pour échapper au mépris attaché au mauvais pauvre. C'est finalement sur un chantage d'ordre moral autant que sur un raisonnement économique que repose l'orchestration actuelle de l'inconditionnalité de la valeur travail par les autorités qui nous gouvernent.
Il faut continuer à défendre la valeur travail, parce que l'on n'a pas encore trouvé d'alternative consistante au travail pour assurer l'indépendance économique et la reconnaissance sociale dans une société moderne. Mais aussi rappeler qu'il y a travail et travail. Le travail est essentiel en tant que support de l'identité de la personne à travers les ressources économiques et les droits sociaux auxquels il donne accès. Au contraire, l'institution de formes dégradées d'emploi au nom de l'exigence de travailler à tout prix et à n'importe quel prix conduit aussi à la dégradation du statut de travailleur et, finalement, de la qualité de citoyen. Il ne suffit pas de "réhabiliter le travail", comme se propose de le faire le président de la République : il faudrait respecter la dignité des travailleurs.
________________________________________
Robert Castel est sociologue, directeur d'études. »

Il me semble qu'il mériterait d'être débattu sur un (ou des) blogs intelligent non?

Écrit par : LuboMoravcik | 24 juillet 2008

Christophe,

J'ai effectivement lu la tribune et elle va bien sûr dans le bon sens. Je regrette seulement que les problèmes soulevés ne fassent pas partie d'une réflexion en vue des élections européennes de l'an prochain. Ce n'est certes pas du ressort du Parlement européen mais c'est bien à l'échelon européen qu'il faut faire bouger les choses.

LuboMoravick

C'est un plaisir de te relire (ici ou ailleurs) depuis le blog de DSK... ça faisait un moment.

Ayant lu ton article sur le blog de Quidam, et avant d'aller regarder mon blog, je comptais le remettre dans un commentaire sur la note du livre de Rocard, "Les moyens d'en sortir".

Je trouve que les thèses sont proches.

Pour moi le coeur de l'article réside dans ce passage:

"" Il faut en effet penser ensemble ces trois composantes de la situation présente : primo, il y a du non-emploi, c'est-à-dire une pénurie de places disponibles sur le marché du travail susceptibles d'assurer le plein-emploi ; deuxio, il y a une survalorisation du travail qui en fait un impératif catégorique, une exigence absolue de travailler pour être socialement respectable ; tertio, il y a cette stigmatisation du non-travail, assimilé à l'oisiveté coupable, à la figure traditionnelle du "mauvais pauvre" vivant aux dépens de ceux qui travaillent. ""

Sur le premier point, l'auteur ne devrait pas oublier qu'il y a des secteurs où on ne trouve pas ou difficilement de main d'oeuvre. Je pense bien sûr à la restauration et aux métiers du BTP (à noter que je suis manœuvre en peinture l'été).

Se pose alors 2 problèmes :
- l'image que reflète ces métiers et ceux qui les exercent dans l'imaginaire collectif. Des métiers "difficiles", "usant", "peu valorisants", occupés par des "immigrés" ou des "neuxneux" ... J'ai bien quelques anecdotes en tête.

- la question des conditions de travail objectivement ingrates: pénibilité du travail, dangerosité (accident de travail et maladie professionnelle) et temps de travail important (notamment la restauration).

On pourrait parler des caissières ou des femmes de ménages.

Sur le deuxième point, il faut souligner qu'aujourd'hui c'est le travail qu'on occupe et les produits qu'on consomme qui nous donne une partie de notre identité sociale.

Dès lors, lorsqu'on ne travaille pas, et par contre coup qu'on consomme moins, on est "moins respectable" en société.

Par ailleurs, dans la mesure où on passe une bonne partie de notre vie au travail, le monde du travail reste l'univers social où l'on fait le plus d'interraction sociales (rencontres etc). Quelque part, on peut dire que c'est le contact aux autres qui fait notre identité.

Sur le dernier point, la stigmatisation du non-travail, je suis toujours frappé de certains raisonnements. Pour beaucoup de monde, un mec qu'a pas de travail et qui reçoit des prestations sociales (alloc, RMI) ne devrait sortir de chez lui que pour aller chercher du boulot. Le voir faire autre chose (en même temps, on me dira comment les gens se représentent la recherche d'un travail), c'est le renvoyer à son statut d'inactif, de bénéficiaire de revenus sociaux.

Enfin, dans le sens de la revalorisation du travail je pose la question de la conscience professionnelle de certains.

Écrit par : Pablo | 24 juillet 2008

Derriere la condamnation unanime(ou presque) du rmi(pas la peine de mettre des majuscules à un revenu minimum) se cache la volonté d'EXPLOITER
cette volonté de puissance qui reduit les freres humains à une peau de chagrin

je reforme la france pour mes copains
les riches plus riches
les pauvres plus pauvres
bizarre?
vous avez dit bizarre?

Écrit par : Buzz l'eclair | 25 juillet 2008

"à noter que je suis manœuvre en peinture l'été"

et marmotte en hiver?;-)

Écrit par : Buzz l'eclair | 25 juillet 2008

C'est que je suis un malin Buzz, je travaille l'été pour me reposer le reste de l'année ;-) :p

Écrit par : Pablo | 25 juillet 2008

Concernant le travail, j'en reviens toujours au même. Je ne l'ai jamais considéré comme une valeur, et je crois que je ne le considèrerai jamais comme tel.

Ce n'est qu'un moyen, rien de plus qu'un moyen.

Pour la majorité des gens c'est un moyen qui permet d'assurer ses besoins, rien de plus. Pour une minorité c'est un moyen d'accumuler plus que ce qui est nécessaire à leur besoin.

Dans ce dernier cas, c'est un dérapage du processus évolutif, qui a transformé une vertu, la prévoyance, en perversion, le profit.

Ceux qui ont transformé le travail en valeur moral, sont ceux qui y on vu une valeur marchande, et une possibilité de capter une part du travail produit par d'autres.

Ce qui est une valeur, c'est la contribution solidaire aux besoins de l'ensemble social. Ce principe, cette valeur, excluent la captation des richesses par une minorité.

Le processus évolutif est encore loin d'être achevé nous concernant ... ;-))

Écrit par : Quidam LAMBDA | 26 juillet 2008

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