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06 septembre 2008

Le mépris

Ce lundi j’entame ma dernière semaine de travail saisonnier. En repensant à ces six étés passés dans le domaine de la peinture et de la pose du sol, je mesure le chemin parcouru - avec ses rencontres et ses aléas - et prend conscience de l’expérience – tant professionnelle qu’humaine -acquise au fur et à mesure. La satisfaction du patron et de mon chef d’équipe, tous les deux de ma famille, sonne comme une reconnaissance pour un non-manuel, à la base, comme moi.

Terminant en principe mes études l’été prochain, je ressens comme un pincement au cœur en constatant que c’est certainement la dernière fois que je travaille dans ce secteur. Il me faudra chercher un métier du côté de l’action publique, secteur qui me tient à cœur et qui a été à la base du choix de mon parcours universitaire. Je sais que dans cette optique, mon expérience professionnelle dans le bâtiment ne m’aidera pas beaucoup, quand elle ne me sera pas cyniquement et socialement reprochée.

Ceci me fait penser au mépris que certaines personnes affichent vis-à-vis de ces métiers et des gens qui y travaillent. Je pense à un de mes cousins qui s’est fait snobé toute une soirée par un couple, dès lors qu’il avait dit sa profession. Je pense à ce triste témoignage de certains ouvriers vis-à-vis de la gente féminine : « quand tu dis que t’es peintre, tu fais fuir les filles ». Je pense à certains cadres du bâtiment (archi, conducteurs de travaux etc.) qui prennent les ouvriers pour des buses et à qui ils refusent de fournir un sanitaire sur un chantier. « Quoi ! Mais vous chiez vous ? » Doivent-ils penser. Je pense à cette boutade entres camarades étudiants, mais qui ne m’est pas concernée, sur l’option professionnelle si on ne trouve rien après notre diplôme: "si je trouve rien, tu m'embaucheras comme peintre".

Ce qui me surprend en fait, c’est que je croyais que le mépris venait plutôt de gens « d’en haut » alors que des gens « d’en bas » affichent aussi un certain mépris. Signalons déjà qu’entre gens du bâtiment, on ne se fait pas de cadeau, je pense à certains commentaires entre corps de métiers, ou à des propos à caractère ethnique.

Mais je pensais à cette expérience toute personnelle, fraiche de ce vendredi. Nous travaillions dans un quartier populaire, dans une maison individuelle, toute proche de barres HLM. Nous refaisions le plafond chez une mamie de 82 ans, veuve et isolée, qui nous tapait la causette. Comme c’est moi qui ait les clés du camion (alors que je ne le conduis pas), j’ai l’impression d’être Saint Pierre, je vais y chercher du matériel. J’ai fait plusieurs allés retours sans histoires.

Là, je cherche quelque chose dans le camion quand j’entends la voix d’un d’homme me dire :

- « Oh ! Ca vous plait comme boulot ? »

Je me retourne et répond benoitement :

-  Oui, bien sûr…

-  Mais c’est un métier de merde !

La réponse me laisse sur le cul comme on dit. J’observe l’homme. Il a un visage dur, peu souriant. Outre qu’il dégage un air antipathique, il semble tout à fait sérieux.

- Ah ! Et vous !? Vous faites quoi monsieur dans la vie ?

- Moi, je travaille pas…

Je n’arrive pas à me rappeler s’il avait ajouté quelque chose ou pas.

- Ah… fis-je, avec un sourire en coin.

- Ah bien sûr ! Vous valez plus que moi, c’est ça hein ? dit-il d’un air offusqué.

- Pas du tout… Non mais attendez, vous arrivez ici et me dites que mon métier c’est de la merde !

- C’est pas ce que j’ai dit !

- Si ! Vous m’avez dit que je faisais un métier de merde !

- C’était pas la première chose que j’ai dite, je vous ai demandé si ça vous plaisez…

- Eh bien oui, ça me plait ! – et j’ajoute plus loin - Même si je fais ça que l’été.

Un temps de silence.

- Et les gens, ils vous accueillent bien ? ils sont contents ? me demande-t-il.

L’expression du visage a changé. Il sourit. Je vois pas bien où il veut en venir.

- Ca dépend… dis-je en haussant les épaules

On dirait qu’il rigole. J’ignore si c’est de moi ou de lui-même en pensant à nos premiers échanges

- Oui… C’est compliqué ! Répète-t-il en hochant la tête. Il sourit toujours

- Voilà. Allez, au revoir.

Et je m’en vais.

Voulait-il dire que peintre est un métier peu valorisant - et dans ce cas c'est un jugement - ou bien peu valorisé - et là c'est un regret - ? La doute est permi. On passe à la limite du mépris à la méprise. Mais en réalité, il n'était pas question pour moi de laisser insulter cette profession que j'exerce l'été. Par principe.

18:33 Publié dans Récit de vie | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : bâtiment

Commentaires

Pour ma part, Pablo, il y a longtemps que j'ai mis au rencard la classification manuel-intellectuel. Moi je suis les deux. Point barre. Toi aussi manifestement. Et c'est le cas de la majorité des gens, avec pour certain un gout ou une aptitude plus ou moins prononcé pour l'un des deux.

Maintenant, la bétise me semble assez inhérente à la nature humaine, à moins qu'elle ne soit le résultat de trop de frustrations non assumées. Et les "petites gens" ne sont pas moins bête entre eux que ne le sont les "gens de haute", entre eux et vis à vis du "petit peuple".

Dans ma petite expérience d'ouvrier d'usine, dans les années 70, les plus enfoirés n'étaient pas les ingénieurs de formations, ceux sortis des écoles, mais les contre-maîtres et les "ingénieurs maison", des anciens ouvriers qui avaient "gradé" sur le tas. Ce sont en général les pires, dans la catégorie abrutis.

Encore un beau thème de méditation que tu mets là en avant Pablo. Et détrompe toi, ton expérience t'enrichit et sera un plus vis à vis de recruteurs intelligents, et il y en a, y compris dans le secteur de l'action publique. ;-))

Écrit par : Quidam LAMBDA | 07 septembre 2008

« quand tu dis que t’es peintre, tu fais fuir les filles »

le mec qui a dit cette connerie ne connait pas bien les filles

t'inquiete elles sont expertes pour voir sous le cambouis la peinture et le plâtre ce qu'est un velu:
un homme comme toi et moi

Écrit par : Buzz l'eclair | 07 septembre 2008

Je ne devrais pas non plus utiliser cette classification mais les habitudes ont la vie dure ;-)

S'il y a une chose que je retiens de ce travail d'été, c'est que les choses s'apprennent. Mon oncle avec qui j'ai souvent parlé de ce thème là, aime à dire: "je suis pas né avec un marteau dans une main et un pinceau dans l'autre". Il m'a récemment dit qu'il était content de voir comment j'avais progressé en 6 ans, qu'au début il avait peur quand je touchais des outils, qu'il pensait que je les utilisaient mal etc.

Peut être que certains sont "naturellement" plus adroits de leurs mains que d'autres, et d'autres ont plus de facilité intellectuelle que certains (peut être dû à leur QI), mais après je pense que ça se travaille.

Et là ça dépend de la motivation (personnelle, externe), des possibilités qui s'offrent à nous etc. Enfin c'est ce que je pense...

Tu avais travaillé dans quel type d'usines Quid ?

Ce que tu dis sur la catégorie abrutie me fait un peu penser au cas d'un ouvrier de l'entreprise. Il a commencé comme apprenti il y a 5 ans de ça et au bout des 2 ans d'apprentissage, il a été embauché comme salarié normal. Maintenant le patron emplois 2 nouveaux apprentis, et je vois que l'ouvrier en question joue le vrai enfoiré avec eux. Même si les jeunes font pas mal de conneries, il ne leur rate rien et se plait à en rajouter plus que le chef d'équipe lui même. A la limite de l'harcellement.

Quelque part ça me fait rire parce qu'en l'entendre, on dirait un vieux con qui rabâche "moi quand j'étais à leur place, c'était pas comme ça, j'étais pas comme eux". Il a tout juste 5 ans de plus.

Buzz, ce n'est qu'un témoignage. Les gars en question sont plutôt du genre à collectionner les conquêtes. Je crois qu'ils me le disaient dans le sens "pour bâtir une relation sérieuse". A moins qu'ils me disaient qu'ils pouvaient pas aborder tous les genre de filles parce que certaines s'arrêtaient à ce genre de détail.

Mais la mémoire me joue peut être un tour ;-)

Écrit par : Pablo | 07 septembre 2008

C'était une usine Alcatel. Insertion de pièces métalliques dans un support plastique, en fait une étape dans l'assemblage de bobines destinées au centraux téléphoniques de l'époque. Le travail ouvrier dans tout ce qu'il peut avoir de répétitif et d'inintéressant. Mais ce temps à l'usine, j'avais 17 ans, me permettait de vagabonder dans les limbes de l'imaginaire ... ;-)

Écrit par : Quidam LAMBDA | 08 septembre 2008

Parfois de snober l'autre estimé juste un peu, si peu en dessous de soi donne l'impression de prendre de la hauteur. Je l'ai souvent constaté parfois subi, quand tu parles de peintre je peux avoir le même genre de problèmes :o)
la vie tient qu'à un fil aujourd'hui celui du statut social que donne un travail, et comme le sens hierarchique est extrêmement développé et l'individualisme exacerbé, et c'est extrêmement préoccupant l'autre est placé selon une echelle de valeur sur le faire et non l'être.
La plupart du temps on demande "qu'est que tu fais dans la vie ?" et puis paf t'es renvoyé dans les cordes si la réponse ne convient pas loll
Moi non plus je n'oppose pas manuel/intellectuel
En tous cas toute expérience sert et la tienne te donne une compréhension particulière qui est de mon point de vue, un atout

Écrit par : catherine | 09 septembre 2008

Tu as 100 fois raison de défendre cette profession qui a été ta profession. Etant moi même fils d'ouvrier et ayant travaillé à l'usine pour payer mes études, je comprends très bien ce que tu as pu ressentir.

Par exemple je n'aime pas l'expression "les petites gens" pour parler des gens de conditions modestes. Celui qui parle ainsi nomme mal les choses. On est renvoyé au temps féodal avec des classes et des inférieurs. Oui le combat pour l'égalité est un long chemin. Il y a toujours eu des malfaisants qui veulent que les plus modestes ne relèvent pas la tête.

C'est pour cela qu'il faut s'engager et se battre politiquement.

Amitiés

Écrit par : Aiglon | 09 septembre 2008

Si tu réalises ta maison toi même. Ce sont des milliers d'euros que tu economiseras. Une pierre, deux coups. La connerie humaine n'a d'égale que sa connerie. Misère, des ambiances humaines. La vie se trouve être comme tu le décris, ni plus ni moins.

Écrit par : den | 09 septembre 2008

Je pense que tu en verras d'autres Pablo

Aux hommes qui me disent invariablement :" moi je suis tolérant"
je répond toujours :moi je suis toléré

le mépris s'insinue dans les cerveaux avec bonne conscience

Écrit par : Buzz l'eclair | 09 septembre 2008

Pour les économies, l'a pas tord l'ami Den. L'électricien qui a validé mon installation électrique, dans ma maison, m'a dit qu'il aurait facturé 60 000 Fr à l'époque mon installation. Moi je l'ai réalisé pour 20 000 Fr ...

Et pour compléter le commentaire de Buzz, je dirai que l'intolérance de l'autre commence souvent par l'intolérance, la mésestime, de soi ...

Et salut à Aiglon en passant. :-))

Écrit par : Quidam LAMBDA | 09 septembre 2008

salut pablo.
ça toujour été mon dada , le fait que tout métier a sa place et son utilité dans la société surtout les métiers manuels.
Des gent comme Aiglon pense que ces métiers, le plus souvent ne doivent etre qu'un passage obligé vers ......l'ascenceur social.
je ne suis pas sur que lassenceur social soit assez grand pour amener tout le monde vers des métier "nobles" .
Par contre on peut tout a fait avoir comme objectif politque que les "petit" métier soit revalorisé , dans le discour politique mais aussi et surtout financierement par un rééquilibrage dans la grille des salaire.
la lute contre les inégalités , n'est pas un combat d'arriere garde bien au contraire il est plus que jamais d'actualité.
Attention aux apriori tout fait, que chacun d'entre nous peut avoir , meme le papounet.
il ya quelque années je m'était fait franchement rembarré par une "dame pipi" dans un centre commerciale car vue sont métier , d'instinct ,je luis avait donné les coordonnées d'une permanece CFDT.
A ma grande surprise cette dame était tout a fait satisfaite de son métier qui lui amenait le petit complément financier qu'elle souhaitait a son ménage pour 6 heure de travail par jours.
A ma "encore" plus grande surprise , son mari était prof d'histoire dans un collége.
elle était juste fatigué par le mépris de la plupart des utilisateurs des lieux et le fait qu'elle avait moins d'avantage que les autres salarié (tikets restaurant , 13eme mois ect)
poutant son utilité profétionnelle était indiscutable, tout était nickel-crome ça sentait bon et c'était fleurie.
Comment réévalué le salairE des "petits" métier sans fragiliser léconomie , tout simplement en baisant les charges salariées(représente quand meme 20% du salaire).
cette solution 0 été étudier depuis giscard , personne n'a pris le rique de la mettre en aplication car elle "comprimait" la grille des salaires et les classe moyenne se sentait "rattrapé par les classes défavorisé (je gagnait plus que lui avant je dois continuer a gagner plus sinon je me sens dévalorisé dans mon métier) rendant difficile tout rééquilibrage salariale.
a méditer .
le papounet

Écrit par : le papounet | 09 septembre 2008

Cath,

Ce que tu as écrit est très juste et va dans le sens que nous avions entamé sur la notion de travail dans un post précédent.

Quidam parle de fonction publique dans son blog, or il semble que par le statut existant, la hiérarchie et le besoin de comparer semble produire des relations professionnelles détestables. A l'éducation nationale, on se regarde selon le grade, selon le contrat, selon l'ancienneté etc. Je connais même quelqu'un qui me disait que ses collègues de travail esquissaient un sourire lorsqu'elle n'allait pas bien...

Sinon, je suppose que chacun de nous étant "incapable" de répondre à la question un peu existentielle "qui-suis-je", on préfère demander à l'autre ce qu'il fait plus que ce qu'il est.
Est-ce que seule l'action compte pour se définir ?

Aiglon,

Je suis bien content de lire par ici. Depuis la fin du blog de DSK, nous n'avons pas trop eu l'occasion de se croiser sur le net. Ce qui n'empêche pas que j'ai continué de suivre ton blog ;-)

Dans ton post sur l'université d'été des Gracques, tu as cité Marcel Gauchet je crois: "il faut savoir nommer les choses".
Le pouvoir des mots et les valeurs sociales auxquelles elles renvoient, il faut savoir en user pour éviter d' (être) étiqueter.

"L'esprit humain est une machine à caser"

Je vois en tout cas que la mobilisation sociale est difficile dans le BTP. Souvent dû à la taille des entreprises qui favorise un certain paternalisme. Souvent dû aussi à une dépolitisation et un "à-quoi-bonnisme" inquiétant... Certaines choses finissent par paraitre normal.

J'envisage de passer le concours d'inspecteur du travail.

Sinon vous avez tous à fait raison sur les économies qu'on peut faire lorsqu'on sait faire des choses. J'ai pas suffisamment de compétences (en matière de maçonnerie, de charpente, d'électricité etc) pour pouvoir un jour bâtir ma maison. Mais on est une grande famille, ça aide ;-) Mon père est aussi très doué.

J'ai aussi conscience qu'il me faudra savoir, face à un employeur potentiel, mettre en valeurs cette expérience. Transformer ce qui peut être vu comme une faiblesse en une force susceptible d'intéresser l'employeur.

ElecteurPapounet,

J'ai eu une petite pensée pour toi en écrivant ce post initial. Je savais que le thème te tenait à coeur déjà sur le blog dsk.

La disparité des situations sociales rend difficiles une lecture sociale d'ensemble...de quoi faire voler en éclats quelques préjugés.

Une personne a fait une étude sur les jeunes sans qualifications et les métiers "non pourvus" dans le BTP. Elle mettait en évidence, à partir de quelques entretiens, que le principal problème est l'image que chacun renvoyait à l'autre.

C'est là qu'il faut agir, sur les mentalités...

Écrit par : Pablo | 09 septembre 2008

"on préfère demander à l'autre ce qu'il fait plus que ce qu'il est."

On ne fait jamais que sous soi.
pourtant il est plus simple de demander à l'autre ce qu'il aime....

Écrit par : Buzz l'eclair | 10 septembre 2008

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