24 janvier 2010
Quand Lionel raconte une part de notre histoire...
Certaines situations politiques ne manquent pas d'ironie. Alors qu'en mai 2007, un certain candidat Sarkozy nous proposait de « construire la France d'après », presque trois ans après, la France justement, semble empreinte d'une certaine nostalgie. Comme si les perspectives du futur seraient trop sombres pour qu'on s'y attarde, le débat politique est aujourd'hui en partie marqué par un retour sur l'histoire et certains de ses acteurs contemporains.
Pour s'en convaincre, il suffit de voir le succès du premier tome de l'autobiographie de Jacques Chirac ou encore l'émotion et le débat suscité par la disparition de Philippe Séguin, deux personnages politiques qui ont marqués plus ou moins la vie politique des quarante dernières années. A un autre niveau, le monologue sur l'Identité nationale contribue à un débat sur nos origines respectives.
Hasard du calendrier, c'est dans ce contexte de retour vers le passé que parait en librairie le dernier livre de Lionel Jospin : Lionel raconte Jospin. A travers une série de dialogues avec Patrick Rotman et Pierre Favier, le dernier Premier Ministre socialiste que la France a connue, relate une partie de sa jeunesse et revient sur sa longue expérience politique.
En attendant de pouvoir dévorer le livre - dès qu'un de mes potes l'aura fini - j'ai patienté en regardant le documentaire en deux parties, diffusé dernièrement sur France 2. Dans la mesure où ma conscience politique est née l'année où Jospin s'est fait éliminer dès le premier tour de l'élection présidentielle, j'éprouve de fait, toujours une certaine sympathie pour le personnage. Et le 21 avril 2002 suscite encore un questionnement sur la démocratie.
Dans la première partie du documentaire, il est question de la période qui va de l'enfance de Lionel à la réélection de François Mitterrand en 1988. Du fait des éléments traités (l'enfance, la famille, le lycée, sa passion pour le sport, son entrée à l'ENA, son passage à l'OCI, sa période de professorat, son arrivée au PS, son travail auprès de Mitterrand, son rôle de Premier secrétaire), cette première partie du documentaire est à mon avis la plus personnelle. Mais pas non plus trop intime, le personnage restant discret et austère, fidèle à l'image qu'on se fait de lui.
La seconde partie qui aborde la période 1988-2002 se regarde surtout en tant qu'histoire collective, celle du socialisme français et de la politique française en général, analysée sommairement par un homme qui a plus ou moins occupé un rôle de premier plan. Le second septennat de Mitterrand est quand même rapidement survolé.
On a droit à quelques commentaires sur son passage à l'Education nationale, ou sur ses rapports avec Mitterrand lors de la guerre du Golf ou lors du référendum de Maastricht. Quelques mots aussi sur le congrès de Rennes (à l'origine du différend Jospin-Fabius et l'éclatement de la mitterrandie), sur l'arrivée de Cresson à Matignon, puis sur Bernard Tapis. Par contre, la mort de Bérégovoy n'est même pas abordée...
Cette seconde période se concentre surtout sur sa candidature à l'élection présidentielle de 1995 (du désistement de Delors et de l'organisation des premières primaires socialiste à la campagne présidentielle et son échec face à Chirac) puis son passage à Matignon entre 1997-2002 (rapports au sein de la gauche plurielle, rapports au sein du gouvernement, rapports avec Chirac et la droite de l'époque). Le documentaire finit sur son analyse de la défaite et les raisons de son départ définitif de la vie politique.
Plusieurs choses m'ont marqués dans ce documentaire :
D'abord, le phrasé de Jospin. Son verbe, y est très retenu, très pensé et très structuré. Il a une voix et une locution très personnelle et bien reconnaissable. Elle attire l'attention je trouve. En tout cas j'aime bien l'écouter.
Ensuite, on ne peut s'empêcher de remarquer une certaine neutralité dans ses propos par rapport à certains responsables politiques socialistes ou de la gauche en général, à l'exception de Mitterrand et de Tapis. Points de portraits flatteurs ou de petites phrases désobligeantes à l'égard de Rocard, Fabius, Chevènement, Aubry, Royal ou DSK... les trois derniers ne sont même pas cités il me semble.
Par ailleurs, on peut mesurer son attachement à défendre coute que coute son bilan à Matignon que ce soit sur le plan économique, politique, sociétal ou sécuritaire. Et du coup, l'épisode du 21 avril semble pour lui rester une douloureuse expérience, encore mal digéré. Les quelques concessions faites sur ses lacunes masquent mal son sentiment d'injustice. Pour l'autocritique on repassera...
Il y a également l'attachement affiché et répété à la famille socialiste en général et au Parti Socialiste en particulier. Cela ne laisse pas indifférent les militants socialistes, surtout les plus anciens. Cet attachement sentimental à cette vielle et belle famille force pour moi le respect. Mais du coup il dégage une image d'un homme de parti qui écorne celle d'homme d'Etat, qu'il a été. Sans parler du fait que par moment, il donne l'impression de vouloir figer le socialisme dans le temps, en le réduisant à la période où il exerçait des responsabilités.
Il faudra bien pourtant que celui qui s'était octroyé un droit d'inventaire sur les années Mitterrand finisse par accepter de laisser à une nouvelle génération ce droit à juger les années Jospin. Le tout étant de construire une critique « objective » et non systématique de ces cinq années là. A bien des égards, son bilan législatif est remarquable. Les résultats sont cependant plus nuancés.
Enfin, on pouvait retrouver dans les images d'archives, les principales personnalités socialistes de nos jours, à l'époque où elles occupaient des responsabilités sous le second mandat de Mitterrand et plus encore sous le gouvernement Jospin. Et si je n'ai pas coutume de porter de jugement sur l'âge et l'image de nos responsables politiques, je dois bien reconnaitre que j'ai été stupéfait de voir que certains ont pris un coup de vieux.
Cela doit nous rappeler que la gauche ne doit pas avoir les yeux rivés sur la « dream team » de la période 1997-2002, et que plus on restera attaché à cette période, dont il convient de tirer profit du meilleur, plus le décalage avec la société dans le présent se sentira. Il revient à la gauche d'écrire une nouvelle page de son histoire, et ce faisant de bâtir un nouveau chapitre de celle de notre République.
01:02 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : jospin, mémoire, gauche, ps, aubry, dsk, rocard
Commentaires
je pense plutôt que c'est cette génération qui une fois au pouvoir peut porter et passer le relais à la génération suivante, j'ai toujours l'impression qu'il faut passer par un ministère avant d'atteindre suffisamment de notoriété pour être reconnu.. je me trompe ?
je n'ai pas vu le documentaire..je fais partie de ceux qui pensent que Jospin a réellement subi une injustice, un peu à la façon d'un licenciement abusif. Son défaut a été d'être honnête, la rigidité de sa personnalité allait de pair avec beaucoup de rigueur, et puis l'air du temps de cette époque allant dans le sens mondial du libéralisme débridé, les rendant moins vigilants sur certains aspects essentiels des services publics.. enfin c'est ce qui me vient à l'esprit
Écrit par : Catherine | 28 janvier 2010
Sur la reconnaissance de l'aptitude d'une personnalité politique à assumer de hautes fonctions, on dirait que ça dépend des pays.
En France, on aime bien qu'un postulant à la magistrature suprême ait déjà de l'expérience ministérielle et politique en général. C'est presque une condition
En Espagne, à l'exception de Suarez et Calvo-Sotelo, les deux Premiers Ministres de l'ère démocratique, qui avaient été ministres avant, que ce soit Felipe Gonzalez, Aznar ou Zapatero, ils n'ont jamais exercés de responsabilités ministérielles avant d'etre Premier Ministre.
Aux USA, avant son élection, Obama n'avait fait que 4 ans de députation. Mais chez eux, il semble que ce soit moins l'expérience ministérielle qui compte que le passage au poste de gouverneur d'un des 51 Etats.
Ca dépend également du temps qu'on restera dans l'opposition. Quand le PS a gagné en 1981, après 23 ans d'opposition, seules trois/quatre personnes avaient eu une expérience ministérielle: Mitterrand, Defferre, Delors et un autre.
Je suis d'accord avec toi. Pour 2012, c'est bien quelqu'un de la période Jospin qui pourra, outre réaliser l'alternance, préparer et passer la relève. Il me semble raisonnable dans la mesure du possible que la composition d'un gouvernement reflète l'expérience et la nouveauté.
Mais si l'on doit perdre 2012, à l'exception peut être des benjamins de l'équipe Jospin, pour 2017-2022 ce sera difficilement quelqu'un de la période 1997-2002.
Cela dit quand je vois les quadra-quinqua du PS, je me dis que la "nouvelle" génération n'est pas bien prometteuse...
Écrit par : Pablo | 28 janvier 2010
D'accord avec vous. On compte tous sur Ségolène Royal ^^
Écrit par : Asse42 | 21 février 2010
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