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27 février 2008

Débat Solbes - Pizarro sur l'économie

L'économie semble être devenue un enjeu important dans cette campagne électorale, ce qui ne surprend pas tellement étant donné le ralentissement observé ces derniers mois en réactions aux turbulences financières de l'été dernier.

Aussi dans l'attente du grand face à face télévisé (qui a eu lieu lundi soir), les deux grands partis politiques espagnols (à savoir le PSOE et le PP) se sont mis d'accord pour organiser un premier débat sur les questions strictement économiques.

Ce débat a eu lieu la semaine dernière. Pedro Solbes, ministre socialiste de l'économie et des finances et second vice- président du gouvernement, s'est vu confronté à Manuel Pizarro, ex-PDG d'une grande banque espagnole et probable ministre de l'économie dans un gouvernent de droite.

Je pense que la stratégie de la droite visant à critiquer les résultats économiques du PSOE ces 4 dernières années est peu pertinente. Emettre des doutes ou faire des contre propositions sur la façon d'agir dans les mois à venir pour faire face au ralentissement prévisible de l'économie espagnole aurait été plus avisé.

Sans vouloir sanctifier l'action du gouvernement de Zapatero on peut dire quand même que l'économie espagnole s'est assez bien portée ces 4 dernières années. Voyez plutôt: Taux de croissance moyen du PIB de 3%, excédent budgétaire pendant 4 ans, réduction de la dette à 30% du PIB, création de 2 à 3 millions d'emplois en 4 ans, réduction du chômage à 8,2 %, réduction des prélèvements obligatoires etc. On en serait presque jaloux :)

Et cette santé économique s'est accompagnée d'une série de mesures sociales tel que l'augmentation du SMIC de 400 à 600 euros, une revalorisation des minimums retraites et autres prestations sociales (allocation chômage et sociale, bourses, congés paternités etc), un vaste plan pour lutter contre la dépendance d'un certain nombre de citoyens. La liste est longue.

L'Espagne revient de très loin. Ce pays s'est métamorphosé en l'espace de 30 ans de façon extraordinaire, politiquement, socialement, culturellement et économiquement parlant. Et aujourd'hui il est dans les mieux placés au niveau européen. Pour autant tout n'est pas rose au pays de Cervantes. J'ai fait part précédemment des analyses du professeur Vicenç Navarro sur le sous-développement social de l'Espagne, même si l'action des socialistes a permis de réduire l'écart avec la moyenne européenne de l'UE-15.

De la même façon, le miracle économique espagnol ne doit pas faire illusion. L'Espagne a connu un cycle de croissance soutenue, de 1994 jusqu'à nos jours, essentiellement basé sur le boom de l'immobilier et un taux d'intérêt propice aux affaires. Mais si les indicateurs macroéconomiques précédemment cités sont tout à fait positifs, il ne faut pas oublier que l'Espagne connait un faible niveau de productivité (compensé par une durée hebdomadaire et annuel de travail plus importante), un taux d'inflation élevé (2 à 3%) et un déficit de la balance de paiement qui révèle un problème de compétitivité (même si l'Espagne a pénétré et s'est installé sur beaucoup de secteurs).

Mes quelques connaissances économiques m'amène à dire que l'Espagne est dans une bonne position à court et moyen terme, mais qu'elle doit mieux prendre en compte (ils m'ont pas attendu pour le faire bien entendu) ses lacunes structurelles. Cependant la crise financière de l'été dernier risque de casser le cycle de croissance espagnol. Le secteur immobilier est un des moteurs de cette croissance, via l'endettement des ménages espagnols pour l'acquisition de leurs logements. Or les taux d'emprunt ne sont pas fixes mais variables au taux d'intérêt directeur (grosso modo). Tant que le taux d'intérêt directeur (décidé par la BCE) est bas, les remboursements mensuels sont faibles et les ménages espagnols conservent un certain pouvoir d'achat. Mais toute augmentation du taux (comme il vient de se produire) se traduira par une hausse des intérêts à rembourser, ce qui laisse supposer dans le cadre d'une économie d'endettement, une contraction de la demande interne, donc de la consommation (donc une réduction des activités qui ne favorise pas l'emploi et les revenus).

Bien sûr, ce ne sont que des remarques générales à partir de modèles économiques simplifiés. Il y a beaucoup d'aspects de la finance que j'écarte et dont je n'y comprends rien. Du reste, l'Espagne a des marges de manœuvres suffisantes (budgétaires en particulier) pour faire face à une crise. Reste la question de la sensibilité sociale pour soutenir les laissés pour compte et les égarés des divers revirements du capitalisme financier...

13 juillet 2007

Economie et démocratie

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www.vnavarro.org

(site en anglais, castillan et catalan)

 

Pour mon deuxième post, j'ai décidé de consacrer quelques lignes au deux derniers livres de réflexions que j'ai eu plaisir à lire lors de mon séjour académique à l'Université Pompeu Fabra de Barcelone.

Dans  le cadre d'un cours intitulé "Economie et démocratie" (rien que le titre mérite réflexion, n'est-ce pas quelque part des antonymes ?), le professeur - monsieur Vicenç Navarro - nous a recommandé la lecture d'un certain nombres d'ouvrages (dont il est l'auteur) parmis lesquels, les deux livres dont je vous montre les premières pages de couvertures.

Certains esprits railleurs diront que c'est abusé qu'un prof encourage ses élèves à acheter ses livres, ou qu'il a trouvé là un moyen de se faire du blé facile etc. C'est parfois vrai pour certains enseignants, je doute que cela s'applique à cet homme pour qui j'ai beaucoup de respect.

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Permets-moi, cher lecteur, de commencer par présenter brièvement cet étrange personnage:

Né en 1937, il a suivit des cours de médecine à Barcelone jusqu'au années 60, où pour motif politique, il a du prendre le chemin de l'exil. Réfugié en Suède (son épouse est d'ailleurs suédoise), il s'est initié à l'Economie politique à Stockolm. Il est ensuite parti étudier et se spécialiser en Grande Bretagne (London School of Economics) et aux Etats-Unis (Université John Hopkins). Il est spécialiste dans les questions de politiques publiques notament sanitaires et sociales. Il enseigne à l'Université John Hopkins ainsi qu'à la Pompeu Fabra à Barcelone.

De par sa spécialité universitaire et son engagement politique (républicain espagnol, social-démocrate à la mode suédoise), il a conseillé le gouvernement de Salvador Allende, le régime cubain, notamment pour les réformes de leurs systèmes de santé. Il a également participer au projet (avorté) de réforme d'assurance maladie universelle "voulue" par le couple Clinton, en plus de porter ses conseils dans différentes organisations et institutions internationales.

En Espagne, il a participé à l'élaboration du projet économique (jugé "très à gauche") du P.S.O.E (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) pour les élections générales de 2000 (que le PSOE a perdu) ainsi que celui des élections de 2004. Précisons bien qu'il n'est pas afilié au PSOE et que son influence est bien faible (sous entendu, je ne lui donne pas plus d'importance qu'il n'en a réellement en partie due à que son approche est minoritaire dans le Parti).

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Concernant les ouvrages maintenant, leurs titres donnent déjà un aperçu de la principale thèse défendue par l'auteur, on peut même dire son principal combat politique (en tant que citoyen) : sauvegarder et étendre l'état providence, notamment en Espagne, où l'on ne parle pas du sous-développement social.

A ce propos, le premier titre me parait tellement percutant Bienestar insuficiente, democracia incompleta et très politique. J'avoue qu'il m'est difficile de traduire la notion de bienestar en français. Bienestar c'est le "bien être", mais cette notion en français sonne mal. On a traduit le Welfare State ("Etat de bien être", système social en quelque sorte) par Etat providence, terme à connotation divine (associé à la notion d'Etat, on comprend ce que l'on veut diviniser). Je comprends pour ma part le bienestar dans le sens de welfare state. Ceci étant précisé, je reviens au titre : la question du bien être des gens (via le système social) étant sous-estimée (voir ignorée), la démocratie, au sens d'idéal, est incomplete. Voilà comment par un simple titre, Vicenç Navarro reconcilie l'économie (la question de la richesse liée à la question sociale) à la notion de démocratie.

Le premier livre se compose de quatre partie:

- la première partie faisant un bilan bien peu glorieux de la situation sociale en Catalogne et en Espagne (la situation des familles, le marché du travail, la santé, l'éducation);

- la seconde aborde la question de la globalisation et du néolibéralisme (en Europe notamment) comme possible facteur explicatif de cette situation en Espagne.

- Les 2 dernières parties se centre sur 2 raisons spécifiques de sous-développement social de l'Espagne: la situation politique espagnole d'une part (dérive sociale-libérale, et politique d'aznar); et le franquisme et la transition d'autre part.

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Le second livre, quant à lui, est un approfondissement du premier. Je dirai même, un version complete et réactualisée du premier livre. On y retrouve les mêmes idées clés: l'Espagne vie un sous développement social qui contraste fortement avec son développement économique.

Afin de justifier cette thèse de sous-développement social, il aborde la question de la santé, de l'éducation, des pensions, du marché du travail, de la "renta basica" (que je traduirai par salaire universel) sur un mode comparatif avec les données moyennes de l'Europe des 15. A chaque fois il démontre, chiffres à l'appui, que l'Espagne dépense moins (en % du PIB, en PIB par habitant comme en terme d'unité de pouvoir d'achat consacré) que ses voisins européens et que cet écart a tendance à se creuser depuis 1993. Le sous-développement social se calcule finallement par l'écart entre ce que la richesse d'un pays permet de consacrer en terme de dépenses sociales, et les sommes qui se dépensent réellement pour ce type de dépense.

Et cette situation s'expliquerait particulièrement par le lourd passif historique du pays (la dictature du général Franco, jugée et "démontrée" fasciste et totalitariste), le poids des forces conservatrices (telle que l'Eglise et la monarchie), et la transition faussement exemplaire (notamment sur le problème d'occultation de la mémoire historique sur la II République... la droite espagnole refusant d'aborder la question, certains de ses membres étant d'anciens hauts-responsables franquistes) mais également par la dérive sociale-libérale observée tant en Espagne que dans le reste du monde (Clinton, la troisième voie britannique... petite allusion à Jospin aussi).

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Je pourrai développer d'avantage, entrer dans le détail etc. mais je pense être déjà suffisamment long.

J'ai beaucoup aimé mon séjour en Espagne, notamment sur le plan académique. Les différentes matières suivies m'ont énormément enrichies sur le plan de la réflexion politique. Ce cours d'économie et démocratie, les livres et le personnage même de Vicenç Navarro, m'ont beaucoup marqués.

Pourtant le premier contact avec le bonhomme et la matière m'avait plutôt dissuadé de suivre le cours (en catalan, je précise). Le professeur, et l'âge jouant, est plutôt distant et exigeant. Exigeant par le fait qu'il nous demande (implicitement) en examen de mettre "mot pour mot" ce que lui pense et démontre sous peine de râter son exam; exigeant sur notre présence et participation en cours (jugée moralement obligatoire). Le cours se divisant entre une partie "théorique" et une partie débat (dont je participais peu ayant parfois du mal à comprendre le catalan de certains camarades, jamais celui des profs).

L'autre raison qui m'a perturbé au début, c'est le fait d'entendre parler de classes sociales et de luttes de classes. La plus part des gens associent ces mots au marxisme, donc au communisme, donc à l'URSS etc. C'est le problème des mots trop connotés politiquement (du style "libéral"), vous avez beau les expliquer, il y a comme un blocage intellectuel chez les gens. Comme tout un chacun j'ai des a priori sur les gens et les choses. Pour autant, j'essaye autant ce peu de comprendre la logique des uns et des autres, ce qui se dit sur le fond des choses au lieu de rester sur la simple forme. C'est loin d'être facile.

J'ai donc entrepris la lecture de El subdesarrollo social de España et j'ai peu à peu saisi la logique, le raisonnement de Vicenç Navarro. On comprend vite que ce n'est pas un marxiste entendu comme "tout-état" et "victoire du prolétariat sur la bourgeoisie". C'est un farouche défenseur de la sociale-démocratie suédoise et son "welfare state", fruit d'une alliance entre les classes populaires et les classes moyennes, toujours d'actualité dans un monde mondialisée et en proie au néo-libéralisme.

Sa conception des classes sociales est basée sur 3 choses: la différence de revenus (à l'intérieur d'un même pays entre classes sociales et entre les pays), la différence de pouvoir d'influence (le concept de domination) et la différence entre les opportunités sociales des groupes sociaux. La place dans l'appareil productif n'a que peu d'importance (il ne l'aborde même pas) mais c'est la distance entre les uns et les autres, et l'accumulation de capital (au sens large), qui définit selon lui (enfin d'après ce que j'ai compris) les classes sociales (et l'identification sociale).

Je ne suis pas toujours d'accord avec ce qu'il dit (notamment sur l'association franquisme/fascisme, la définition de classe sociale, son analyse trop politique de l'évolution du système économique, et autres choses) mais c'est affaire de fond plus qu'autre chose. Pour autant j'apprécie ce brillant esprit et une bonne partie de ce qu'il dit. J'ai même envie de dire, ça fait du bien d'entendre cela...ça change des discours "prêt à penser" des média.

Lors de la dernière séance, il a tenu des propos qui m'ont beaucoup ému. Après nous avoir remercié pour notre présence en cours et parlé de l'examen, il a insisté sur le fait que réussir ses études et avoir un boulot, c'était très bien (il nous le souhaitait sincèrement), mais c'est peu important ("no es el mes important"). Ce qui comptait pour lui c'était, quoi qu'on devienne, de faire le maximum pour les classes populaires, les plus démunis et les plus dépendantes du "welfare state" petit à petit démantelé. Il nous a encouragé à militer, quelque soit le parti ou l'association/ syndicat, pour changer cela, en nous basant notamment sur ce que nous avons appris (particulièrement la rigueur scientifique même en sciences sociales, avec l'importance des chiffres).

Et c'est en faisant une dernière référence à tous ceux qui se sont battus pour la démocratie (contre franco) et à ce qui a été l'œuvre de la progressiste Seconde République espagnole, aujourd'hui oublié, qu'il nous a laissé partir. Je n'oublie pas ces mots... .