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30 novembre 2010

Pourquoi il faut écouter DSK

Dernièrement en Allemagne, à l’occasion d’une conférence réunissant les banquiers centraux, DSK s’est exprimé sur la situation économique européenne. Il a relancé le débat sur l’intégration européenne par ses propositions.

D’abord, il appelle à « créer des conditions égales pour les travailleurs européens, en particulier dans le domaine de la fiscalité du travail, systèmes de prestations sociales et la portabilité des prestations, et de la législation de protection de l’emploi ».

Ensuite, il propose de « créer une autorité budgétaire centralisée, aussi indépendante politiquement que la Banque centrale européenne ». Cette autorité fixerait les orientations budgétaires de chaque pays membre et allouerait les ressources provenant du budget central pour mieux atteindre le double objectif de stabilité et de croissance. La Commission pourrait jouer un tel rôle.

Enfin, il recommande « d’aller au-delà de l’actuel budget de l’UE, strictement limité par les traités, pour aller vers un système qui utilise des instruments plus transparents au niveau européen, comme une TVA européenne, ou une taxation et tarification du carbone ».

En gros, Dominique Strauss-Kahn propose simplement de :

1)   Parachever le marché européen de l’emploi afin de permettre une réelle mobilité des travailleurs entre Etats membres.

2)   Constituer une politique budgétaire européenne, orientant davantage les politiques nationales plus qu’elle ne les remplace,  pour mieux équilibrer la politique économique européenne.

3)   Augmenter le budget européen en le dotant de ressources fiscales propres

Bien sûr, certains en France n’ont pas manqué de voir dans ses propositions une « atteinte intolérable à la souveraineté » des Peuples et des Etats pour le seul profit des « technocrates bruxellois », signe que DSK serait « au service des financiers »… Je passe sur la logorrhée souverainiste.

J’ai toujours du mal à comprendre comment on peut contester le manque de moyens des institutions européennes voir leurs inactions face à la crise économique, et venir crier au scandale dès lors qu’on propose justement de donner à l’Europe les moyens d’agir sur l’économie ?

Les souverainistes de droite n’aiment pas l’Europe et veulent quitter l’euro, je ne partage pas leurs vues mais au moins il y a une logique dans leur refus de l’intégration. Les souverainistes de gauche font parfois mouche dans leurs critiques de l’Europe mais rejettent tout ce qui pourrait en corriger les travers.

Je n’aime pas ces eurosceptiques de gauche qui critiquent l’Europe au nom d’une Europe idéale, sans jamais se montrer capable de se projeter à cette échelle pour apporter des solutions. De l’autre côté, les européistes présentent l’Europe pour ce qu’elle n’est pas (encore) et tardent trop à en faire ce qu’elle devrait être : une fédération d’Etats-nations.

Confier la politique budgétaire communautaire (soit l’exécution du budget de l’UE et la responsabilité du maintien de la discipline budgétaire des Etats) à la Commission, ne me parait pas dénué de sens économique. Et au regard des évolutions des traités, la logique ne serait pas bureaucratique mais bel et bien politique. Le fameux traité de Lisbonne ouvra la voie à une forme de régime parlementaire à l'échelle européenne, avec un Président de la Commission et une Commission issue des élections européennes et responsable devant le Parlement.

On voit bien que les négociations actuelles sur le budget communautaire sont de plus en plus lourdes et compliquées. Elles dépendent des accords d’une part des 27 Etats membres au sein des Conseil des Ministres et du Conseil européen (Chef d’Etat et de gouvernement), et d’autre part de la Commission européenne et du Parlement européen. Et les traités actuels limitent les capacités du budget européen (1% du PIB).

Quant au Pacte de Stabilité et de Croissance et les réformes structurelles qui tiennent lieu d’harmonisation des politiques économiques des Etats membres, leur conception comme leur application finale dépend des influences politiques et économiques des Etats membres (avec des logiques sous-jacentes des gros Etats contre les petits, ceux du centre contre ceux de la périphérie, les Etats fondateurs contre les derniers arrivants etc).

Cette absence de réelle politique budgétaire communautaire contraste, en même temps qu’elle affaiblie, avec la mise en oeuvre d’une politique monétaire unique, gérée par la BCE. De fait nous avons créé une union économique et monétaire déséquilibrée. Et autant la mise en place de l’euro a assurée une convergence entre les économies des Etats-membres, autant l’incapacité à nous coordonner fiscalement et budgétairement depuis l’entrée de l’euro, tend à raviver les divergences.

Depuis longtemps les économistes rappellent qu’une zone monétaire optimale ne peut être viable qu’à la condition que les facteurs de productions (capital et travail) soient parfaitement mobiles, et qu’elle puisse faire face aux chocs asymétriques (qui à la différence des chocs symétriques n’impactent pas de la même façon tous les pays de la zone). Or pour des raisons culturelles et politiques (réglementation sociale et fiscale), le travail n’est pas mobile en Europe. Et la politique budgétaire des Etats membres n’est pas coordonnée pour faire face aux chocs asymétriques.

Cela explique autant une partie des problèmes économiques de l’Europe que sa difficulté actuelle à régler la crise de la dette publique en Grèce et en Irlande. La spéculation sur la dette publique est certainement exagérée – les Etats ont la signature la plus sûre – mais les déficiences économiques des Etats qu’elle met en lumière, sont bien antérieures à l’agitation actuelle des marchés. La spéculation joue ici autant comme élément déclencheur qu’élément d’amplification de la crise.

Bien que les marchés insistent en apparence sur le niveau de déficit et de dette publique de la Grèce, c'est bien le secteur privé qui pose problème. Et sur ce point, l'Irlande, le Portugal ou encore l’Espagne sont dans des situations bien différentes. L’Irlande et l’Espagne ont assurés cette dernière décennie, leur croissance sur un modèle qui a fini par exploser avec la crise de subprimes. La Grèce et le Portugal souffrent eux d’une spécialisation économique intra-zone qui leur est défavorable, partiellement compensé jusqu’ici par des aides structurelles communautaires et des conditions de refinancement leur autorisant quelques excès en matière de finances publiques.

A tout cela, ajoutons les effets explosifs de la politique économique de l’Allemagne et les soubresauts des monnaies internationales. L’Allemagne a le mérite de s'être spécialisée dans les secteurs à haute valeur ajoutée, ce qui favorise ses exportations, principale source de sa croissance aujourd’hui. Le hic c’est que ses performances commerciales viennent aussi d’une politique de compression des salaires, ce qui pénalise la demande interne et les autres économies de la zone. L’Europe est par ailleurs victime des chinois, qui refusent toute appréciation du yuan, et des Etats-Unis qui organise la dépréciation du dollar pour se relancer.

L’insuffisante intégration économique de la zone euro, tant l’harmonisation fiscale et sociale que la coordination des politiques budgétaires et monétaires, fragilise la zone euro. Sous la pression des marchés, l’ensemble des pays de la zone s’orientent vers des plans d’austérité non coordonnés, dont l’application aura en l’état, pour effet d’accentuer la récession et augmenter le risque de dérive de leurs dettes publiques.

En l’état actuel des choses, l’union économique et monétaire (UEM) est dans une impasse : elle ne peut pas se sauver en laissant un de ses membres quitter le club ; et elle ne survivra pas si elle n’avance pas vers plus d’’intégration économique.

Certains avancent l’idée de faire sortir de l’UEM les Etats les plus secoués par les marchés. En revenant à leur ancienne devise, ces Etats pourraient atténuer le coût de l’ajustement économique en laissant la monnaie se déprécier (baisse de valeur par rapport aux autres monnaies). Le problème c’est que le retour à l’ancienne devise a un coût économique, financier et politique pour le pays qui s’y aventurerait, sans aucune garantie des gains liés à la dépréciation (contexte internationale de guerre des monnaies). Quant à l’UEM, elle perdrait en crédibilité.

Mais de l’autre côté, vouloir sauver l’euro sans davantage d’intégration économique semble voué à l’échec à moyen terme. Cela se traduit aujourd’hui par l’adoption de fonds de stabilisation et de garantie en faveur des pays fortement exposés au risque de solvabilité, en échange d’un plan d’ajustement de grande ampleur. Or la politique d’austérité (véritable déflation organisée) n’aura pour effet que de casser la reprise actuelle (bien timide) et d’affaiblir, par des coupes budgétaires sans discernement, la croissance potentielle à moyen long terme. Ceci renforçant la dépression économique et donc les risques de faillite qu’elle était censée éviter.

Dans cette histoire, le rôle du FMI a quelque chose de paradoxal. Habituellement, il intervient auprès des Etats en situation délicate – il est alors le prêteur en dernier ressort, c'est-à-dire quand plus personne ne veut prêter aux Etats – et de fait les remèdes qu’il préconise sont douloureux. On le traite de « bourreaux des peuples ». Mais là, par la voix de son directeur général, il est en train de nous dire comment éviter de faire appel à lui. Tant que rien n’est fait dans le sens d’une plus grande intégration de la zone euro, la menace d’une (ou plusieurs) intervention(s) en urgence du FMI ne saurait être exclue…

Erratum:

Par manque de connaissances suffisantes sur le sujet, j'ai volontairement laissé de côté la question de la réforme du système financier. Je pense en revanche qu'il faut inverser la tendance actuelle (mais pas nouvelle) à la financiarisation des stratégies d'entreprises, responsables d'opérations de court terme au détriment de stratégies de long terme, précisément celles dont a besoin l'Europe pour faire face à la concurrence étrangère.

Autre précision, il va de soi que pousser la zone euro vers plus d'intégration économique passe par des réformes structurelles, susceptibles de heurter certaines sensibilités nationales.

00:10 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dsk, économie, europe

25 novembre 2010

L'Europe à contresens

Après le G20 de Séoul, une évidence s'impose : les principales puissances économiques du monde ne réduisent ni ne régulent la sphère financière que les Etats ont laissée se constituer en surplomb de l'économie globalisée depuis trois décennies.

En 2008 et 2009, lors des sommets de Washington et de Londres, des engagements solennels avaient été pris et des pistes de travail pertinentes tracées. Mais cela a débouché sur peu d'actes concrets. Le système financier ayant été sauvé et la dépression évitée grâce à des plans de relance, l'ambition affichée par les gouvernements de réformer de façon concertée l'ensemble économique et financier mondial se perd.

D'où vient cette impuissance ? Pourquoi les Etats, qui ont sauvé le système et ont toute la légitimité pour imposer des règles en tant que représentants des peuples, se montrent-ils si hésitants à remettre les acteurs financiers à leur place normale : celle de serviteurs de l'économie ?

Les raisons sont diverses. Nombre de gouvernements sont proches des marchés financiers ou subissent l'influence de lobbyings intenses. En outre, plusieurs des grands acteurs économiques mondiaux s'accommodent du statu quo. C'est le cas des Etats-Unis, auxquels l'attractivité de Wall Street et le rôle du dollar comme monnaie de réserve procurent les facilités de l'endettement. C'est aussi valable pour la Chine, que la sous-évaluation du yuan aide à accumuler excédents commerciaux et réserves confortables. Enfin, le paradigme des marchés efficients et autorégulateurs reste très prégnant. Alors même que les dogmes du néolibéralisme ont fait faillite, l'analyse économique dominante s'y réfère toujours. Si une pensée neuve s'amorce, elle n'inspire pas encore les gouvernements.

Il ne faut pas renoncer à l'ambition de réformer le système économique et financier mondial. Instaurer une régulation globale de la sphère monétaire et financière, remettre en cause les taux de profit exorbitants exigés des entreprises par les actionnaires aux dépens des salariés est une nécessité impérieuse. Aussi sera-t-il intéressant de mesurer si, au-delà des proclamations, la présidence française du G20 saura rassembler l'Europe sur une proposition de réforme du système monétaire international, puis engager une négociation entre les différentes zones d'intégration économique.

Pourtant, même si une remise en ordre du système économique mondial s'engageait, elle prendrait du temps. En attendant, chacun comptera sur ses propres forces et devra se préparer à être dans la meilleure situation possible pour une future négociation entre les différents ensembles économiques. Et c'est là où l'Europe fait fausse route. Notre continent est en proie à une crise sournoise. Et il va l'aggraver si sont maintenues les politiques généralisées d'austérité décidées par les gouvernements pour 2011 et au-delà. Non seulement ces politiques ne sont pas appropriées à la situation, mais le diagnostic qui les a inspirées est contestable.

En effet, les plans de relance précédents comptent pour peu dans les déficits actuels. Les plans de relance de 2009 dans l'Union européenne ont été calibrés ex ante sur un surcroît de déficit de 1,1 % du produit intérieur brut (PIB) en moyenne. Or l'accroissement de déficit a été de 4,6 %, soit plus de quatre fois plus élevé. Cela veut dire que la timidité des gouvernements européens dans la relance n'a pu nous préserver d'une sévère récession. C'est la récession et non la politique de relance qui a creusé les déficits à des niveaux insolites.

Or, aujourd'hui, l'Europe fait un contresens en choisissant l'austérité. Après la première erreur d'un faible calibrage de la relance de 2009, les gouvernements l'aggravent en basculant tous en même temps dans l'austérité. Le prolongement économique durable de la crise financière résulte du manque de dynamisme de la demande privée. De nombreux acteurs doivent se désendetter, les banques sont réticentes à prêter et la stagnation des revenus et le chômage s'autoentretiennent. On se trouve devant une situation avérée d'insuffisance de la demande. Or les élites politiques au pouvoir en Europe s'enferment dans une rhétorique étrange. Elles semblent croire que l'annonce de l'austérité va agir partout comme une baguette magique sur cette entité métaphorique que sont les marchés. Toutes les contraintes sur le secteur privé disparaîtraient d'un coup. Les ménages se mettraient à consommer et les entreprises à investir, comme si la crise n'avait pas lieu. Ce n'est pas ce que nous indique l'exemple irlandais.

De fait, des travaux récents et très élaborés du Fonds monétaire international (FMI) balaient ces illusions. En étudiant soigneusement de nombreuses situations d'austérité budgétaire, le FMI montre qu'en moyenne, pour un effort d'austérité de 1 % du PIB, il y a un effet de contraction de la croissance du PIB de 0,5 % au bout de deux ans. Malheureusement, le FMI remarque aussi que nous ne sommes pas dans une situation moyenne. En Europe, les conséquences de l'austérité budgétaire risquent d'être pires pour trois raisons : tout le monde pratique cette austérité en même temps ; les taux d'intérêt, déjà faibles, ne vont guère baisser davantage ; l'euro risque de monter au lieu de fléchir, en raison de la politique monétaire des Etats-Unis.

Sur notre continent, l'impact de l'austérité pourrait donc être de 1 %, voire de 2 % selon les circonstances. Ainsi, en 2012 et 2013, la croissance européenne risque fort d'être très basse. Bien entendu, les déficits ne diminueraient pas, ou très peu, faute de rentrées fiscales, les dettes publiques grimperaient et le chômage monterait encore. Les tensions sociales s'aggraveraient et les mouvements nationalistes et populistes, déjà en hausse en Europe, pourraient bien s'en trouver renforcés.

Pour toute personne raisonnable, ce risque ne doit pas être pris. Nos politiques doivent être changées pour redresser la croissance. Il y va peut-être même de la survie de la zone euro, qui aurait sans doute bien des difficultés à surmonter une nouvelle crise simultanée des finances publiques dans les pays les plus fragiles.

Conduire une politique de croissance est donc vital pour l'Union européenne. Est-ce à dire qu'il faut être indifférent aux dérives des budgets et de la dette ? Naturellement pas. Mais, comme dans toute crise financière majeure, ses séquelles vont s'étendre sur une dizaine d'années. Les gouvernements doivent programmer un rétablissement des équilibres budgétaires sur la fin de la décennie et abandonner l'illusion absurde d'un retour rapide des dettes publiques à 60 % du PIB, alors que toutes les organisations internationales projettent un ratio dette/PIB autour de 110 % à 120 % en moyenne dans l'ensemble de l'OCDE. Le rétablissement des finances publiques ne se fera pas par l'austérité, mais par un effort de maîtrise raisonnable et un autofinancement résultant de la croissance.

Sans doute les marchés exercent-ils, par la spéculation, une pression sur les pays européens les plus fragiles. Ils poussent les agences de notation, par la dégradation de leurs notes, à renchérir le recours à l'emprunt. Les acteurs financiers retrouvent ainsi, en dépit de leurs échecs, la posture de censeurs des gouvernements qu'ils affectionnent. Aussi est-il de la responsabilité des Etats - qui les ont renfloués - de ne pas accepter leurs diktats. La solidarité de la Banque centrale européenne (BCE) et des gouvernements européens face à la spéculation contre les pays fragiles, voire l'indication - déjà donnée par l'Allemagne - qu'en cas de situation extrême il faut organiser une restructuration des dettes, pourraient servir d'utile avertissement à l'égard des marchés.

Dans la situation actuelle, la croissance dépend des politiques publiques de manière cruciale. Il faut à la fois compenser l'insuffisance de la demande privée, améliorer la compétitivité de nombreux pays d'Europe (dont la France), créer des incitations à une nouvelle vague d'investissements et trouver les moyens de la financer. Il faut agir à la fois sur les ressources et sur les dépenses, donc remodeler la structure des budgets, comme l'ont fait les Scandinaves après la grave crise bancaire de 1991-1992.

Or, l'insuffisance de la demande actuelle est la conséquence d'une évolution qui vient de loin. C'est la déformation sur plusieurs décennies de la répartition des richesses qui a conduit à la fuite dans l'endettement, à un prélèvement exorbitant de la finance sur l'économie, à des pertes massives de recettes fiscales au bénéfice des fortunes privées et à une pression systématique sur les salaires.

L'accroissement de la rémunération du travail est partout la clef du redressement de la croissance. Il est vrai qu'au niveau de chômage qui sévit en Europe, et notamment en France, il ne peut y avoir - sauf peut-être en Allemagne - des hausses significatives des salaires bruts. Mais on pourrait transférer, par une remise en ordre de la fiscalité, du pouvoir d'achat aux catégories sociales qui sont trop pauvres pour être endettées et qui consommeraient 100 % ou presque du surcroît de revenu qui leur reviendrait. Une fiscalité du capital reformée, la suppression des avantages fiscaux aux ménages à hauts revenus, une révision de la fiscalité sur l'héritage, c'est-à-dire une inversion des mesures qui n'ont eu aucune efficacité économique, mais qui ont servi des clientèles particulières, s'imposent aujourd'hui pour commencer à renverser les inégalités sociales et créer un flux de demande.

Pourtant, agir sur la demande à court terme ne suffit pas. Encore faut-il se donner les moyens, sur le terrain de l'offre, de rehausser la croissance potentielle. Cela suppose des investissements publics et des incitations au secteur privé. Deux types de ressources, l'une disponible, l'autre à créer, sont envisageables pour mener des politiques ambitieuses à l'échelle de l'Europe. Ce sont la TVA et la fiscalité carbone.

L'Union européenne doit mettre un terme au dumping fiscal, dévastateur pour elle. Manipuler la TVA pour favoriser tel ou tel secteur crée des distorsions de prix néfastes. L'idéal serait un taux de TVA uniforme, sans doute à 19,6 %. L'effet régressif doit être compensé par une progressivité accrue de l'impôt sur le revenu. L'essentiel est de créer des ressources fiscales pour lancer une politique ambitieuse d'éducation sur toute la vie, corollaire indispensable de toute réforme allongeant la vie active.

Toutefois, la réforme fiscale la plus porteuse pour la croissance potentielle est la fiscalité carbone. Une taxe carbone européenne, partant d'un niveau proche du prix du marché des droits à polluer et croissant régulièrement jusqu'à 2020, créerait une valeur sociale du carbone qui changerait le système des prix relatifs. Cela ferait évoluer la consommation et ouvrirait un espace de rentabilité pour des investissements permettant à l'Europe de maintenir son avance en ce domaine.

Le produit d'une telle taxe pourrait être partagé en trois. La première partie devrait subventionner les ménages à revenus modestes pour compenser le surcoût de la consommation. La deuxième pourrait servir à diminuer les cotisations sociales pour inciter au choix de technologies riches en emplois. La troisième serait versée au budget européen pour financer des investissements dans les innovations environnementales. Cette dernière part permettrait de capitaliser une intermédiation financière construite sur un Fonds vert européen dédié au soutien à l'innovation environnementale. Il serait ainsi possible d'émettre des obligations pour financer des investissements longs et risqués - publics ou privés - en mobilisant les investisseurs institutionnels. L'essentiel serait de créer un effet de masse suffisant pour susciter en Europe une de ces grandes vagues d'innovations sur lesquelles s'est toujours appuyé le développement économique.

Il n'est pas certain que ce type d'analyse et de propositions ait actuellement des chances d'être retenu dans l'état de crispation idéologique et de paralysie politique qui caractérise l'Europe. De même qu'il est difficile d'espérer voir celle-ci mener une politique coopérative pour la croissance.

Mais il est indispensable de lancer le débat, et ce bien au-delà des cercles gouvernementaux. Doivent avoir leur mot à dire les partis, les associations, les syndicats européens et les dirigeants d'entreprises positionnées sur le changement climatique et les questions environnementales, voire ceux des investisseurs financiers qui considèrent que l'investissement socialement responsable est porteur de rentabilité à long terme. Le modèle économique des trente dernières années - même si la France a fait quelques fois exception sous la gauche - a été caractérisé par la domination de la valeur actionnariale, l'hypertrophie de la finance spéculative, des exigences financières incompatibles avec la rentabilité des entreprises, une fiscalité favorable aux milieux privilégiés et des inégalités croissantes. C'est un tout autre modèle qui doit désormais émerger, si l'on veut tirer des leçons fécondes de la crise financière. Il doit être fondé sur un partage des revenus plus équitable, une population active mobilisée par des rémunérations décentes et à qui on offre les possibilités de renouveler ses capacités au cours de sa vie, une croissance fondée sur le respect des équilibres naturels.

Pour unir les forces de la société civile autour de ce nouveau pacte social, il faut une pensée politique s'incarnant dans des programmes au plan national et capable de faire bouger la gouvernance de l'Europe pour peser au niveau international. Donner à l'analyse économique de la nouvelle période une expression politique capable de rassembler pourrait être la tâche centrale d'une social-démocratie réformée.

Michel Aglietta, économiste 

Lionel Jospin, ancien Premier Ministre

00:05 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jospin, économie, europe

20 novembre 2010

Michel Rocard - France Info - Novembre 2010


Michel Rocard - Parlons Net du 19 novembre 2010
envoyé par FranceInfo. - L'actualité du moment en vidéo.

Je découvre ce matin, grâce à notre ami Aiglon, cet entretien de Michel Rocard sur France Info à l'occasion de la sortie de son dernier livre Si ça vous amuse. Chroniques de mes faits et méfaits.

C'est toujours avec plaisir que j'écoute cet homme qui, du haut de ses quatre-vingts ans, surclasse bien des hommes politiques aujourd'hui en activité, par la profondeur et la richesse de ses réflexions.

Interrogé par des journalistes très professionnels pendant près de cinquante minutes, Rocard a eu tout le loisir de s'exprimer sur les rapports média-politique, l'Europe et la crise, l'Otan, la Turquie, le réchauffement climatique, la guerre en Afghanistan, le remaniement ministériel et l'affaire Karachi.

Il constitue à mes yeux une certaine boussole politique, non que je me positionne en fonction de ses différentes prises de positions - que je ne partage pas toujours, l'homme a ses faiblesses et le tempo politique et médiatique rend difficile un recul - par rapport à la pensée social-démocrate qu'il défend. Il fait oeuvre de pédagogie lorsqu'il théorise l'action publique et la conduite des réformes.

Pour toute personne qui aspire, quelque soit l'échellon, à gouverner les hommes et à administrer les choses, l'expérience et la parole de Rocard constitue une vraie source d'inspiration. Ou en tout cas, cela ne laisse pas indifférent.

15:33 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : rocard, média, europe

15 novembre 2010

The Cure - Plainsong

 

"Je crois que c'est sombre, que ça ressemble à la pluie"
Tu disais
"Et le vent souffle comme si c'était la fin du monde"
Tu disais
"Et c'est si froid
Comme le froid de la mort"
Alors tu souriais...
Juste une seconde
 
"Je crois que je suis vieux et souffrant"
Tu disais
"Et tout s'achève comme si c'était la fin du monde"
Tu disais
"Et c'est si froid
Comme le froid de la mort"
Alors tu souriais...
Juste une seconde
 
Tu me donnes parfois la sensation
De vivre au bord du monde
De vivre au bord du monde
"C'est juste ma façon de sourire"
Tu disais

21:01 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0)

05 novembre 2010

Au revoir Mamie

Mes deux grand-mères nous ont quittées cette année. L’une s’est éteinte en février dernier, dans un hôpital en Espagne, malade d’une cirrhose à quatre-vingt cinq ans. L’autre est partie « chez elle » un premier novembre, une fin d’après midi. C’était la mère de mon père et elle venait de fêter ses quatre vingt huit ans.

Nous l’avons enterrée cette après midi dans les Pyrénées. Elle repose désormais au côté de sa mère, à proximité du caveau où sont enterrés deux cousins et mes deux autres grands-parents. Pour des raisons que je n’expliciterai pas ici, les obsèques se sont déroulées dans une ambiance tendue, où la division a supplanté la communion.

Lorsque survient un décès, les proches tendent à ne retenir le jour des obsèques que les qualités du défunt et les bons moments vécus ensemble. J’ignore franchement ce qui dans cette attitude relève du processus psychologique du deuil qui commence et ce qui renvoi à la convention sociale des adieux mis en scène et de la mémoire sélective.

Cela ne révèle pas la personnalité du défunt dans toute sa complexité. Et faire état de cette complexité, c’est aussi signifier la particularité de la relation qui unie la communauté des vivants au défunt. Et si j’éprouve ce soir le besoin de souligner la part d’ombres et de lumières qui habitaient ma grand-mère, ce n’est que pour mieux penser la relation finalement distante que j’entretenais avec cette femme.

A là différence de mon autre grand-mère, la mère de mon père n’a jamais été une personne très expressive. Elle m’a toujours paru distante, parfois même indifférente. En tant que mère de huit enfants, grand-mère de 21 petits-enfants et arrière grand-mère de 11 enfants, elle a toujours eu des préférences. Celles-ci s’exprimaient dans son comportement et dans la différence de valeur des présents qu’elle offrait. Elle manquait terriblement de tact dans ses gestes et ses paroles.

L’amour d’un fils pour sa mère lui fait pardonner beaucoup de ses torts – l’inverse est tout aussi vrai, et ma grand-mère a aussi encaissé les maladresses de ses enfants – mais s’il n’est pas rancunier, il n’est pas pour autant amnésique. Ces maladresses sont autant de blessures dans l’âme qu’il lui faut panser et dépasser. Or les cicatrices sont indélébiles, on choisit juste de les couvrir ou non. Idem pour le petit fils.

Enfin, pétrie d’une culture traditionnelle de la famille et du rôle de la femme dans celle-ci, elle avait assigné un rôle à chacun de ses filles. L’ainée devait, alors que les parents partaient travailler, s’occuper de ses petits-frères, devenant de facto une mère de substitution. La benjamine devait héberger les parents et les accompagner jusqu’au dernier souffle. A la mort de Papy, Mamie s’est installée chez ma tante et y a vécu jusqu’à son dernier souffle. Elle n’a jamais voulu aller ailleurs. Aucun autre enfant n’a pu profiter seul, d’un moment d’intimité avec elle.

Indifférence, préférences et éloignement. Dès lors, comment évoquer au moment de ses obsèques un moment de complicité qui n’a pas eu lieu ? L’absence de souvenirs est ici plus douloureux que le souvenir du souvenir. Peut être est-ce une question de temps. J’ai l’impression d’avoir côtoyé sa vie plus que d’en avoir fait partie. Cruel constat. Signe aussi de mon propre échec à n’avoir pas su/pu tisser du lien avec elle.

Mais tout ceci ne saurait résumer ma grand-mère. Car c’est aussi une femme pleine de courage. Elle a rompu les liens avec sa famille (d’une certaine condition sociale) pour partir vivre avec mon grand-père qui était un homme marié (on est alors sous le franquisme). Dans les années cinquante, elle a quitté son pays pour venir vivre et travailler en France. Elle a du faire face à bien des préjugés.

Par-dessus tout, elle a du assumer une famille de huit enfants avec un homme au caractère difficile, qui avait le vin mauvais et qui était capable de claquer le salaire de la semaine au bistrot avec ses amis. Elle a passé sa vie à bosser sans compter, sans broncher, en encaissant beaucoup. Cela n’excuse pas sa façon d’agir sur d’autres points, mais il serait injuste d’oublier les sacrifices auxquels elle a consentie.

Au revoir Mamie. Reposes en paix.

00:11 Publié dans Récit de vie | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : mémoire, espagne