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24 janvier 2012

Le PSOE prépare l’après-Zapatero

Après leur défaite aux élections législatives du 20 novembre dernier où ils ont fait leur plus mauvais résultat depuis le retour de la démocratie, les socialistes espagnols préparent actuellement leur 38ème congrès, prévu les 3, 4 et 5 février prochain.

L’évènement est important puisqu’il marque le début de l’ère de l’après-Zapatero. Ce dernier, secrétaire général du parti depuis 2000, va quitter la vie politique. Et c’est le premier congrès organisé dans l’opposition, après sept ans aux responsabilités.

Valable pour chaque parti politique, le congrès a trois fonctions : renouveler les instances locales et nationales, déterminer l’orientation et la stratégie politique pour les années à venir et choisir un leader ou lui renouveler sa confiance.

Le déroulement d’un congrès du PSOE

Il est intéressant de constater que le PSOE et le PS s’organisent et fonctionnent un peu différemment. Le PS est un parti centralisé, le PSOE un parti fédéral. Le PS fonctionne sur le principe des courants alors que le PSOE n’en compte officiellement qu’un (Izquierda socialista, qui représente la gauche du parti).

Le congrès du PS se déroule schématiquement en trois temps : les contributions (individuelles, collectives, thématiques), le vote des motions qui déterminent la répartition des sièges au sein du Conseil et Bureau National, puis l’élection du Premier secrétaire par les militants.

Celui du PSOE s’organise autour d’un seul texte programmatique, amendable via une commission de travail, et en deux temps : les congrès provinciaux pour choisir les délégués qui vont participer au congrès fédéral. Le secrétaire général est choisi par les délégués, et non par les militants.

Cela dit, je ne crois pas que les fédérations espagnoles aient beaucoup plus de pouvoirs et de libertés que les fédérations françaises. Et si les courants n’ont pas au sein du PSOE le poids qu’ils ont au PS, ils s’organisent également autour de certaines personnalités (Gonzales/ Guerra, Borrell/ Almunia, Zapatero/ Bono, Rubalcaba/ Chacon).

Le retour des débats internes

Généralement lorsqu’un parti est au pouvoir, les débats internes sont très limités quand ils ne sont pas encadrés voir éclipsés par l’action du gouvernement. Et depuis 2008 au moins, et avec l’approfondissement de la crise, la direction de Zapatero m’a l’air d’avoir pas mal verrouillé les débats.

Avec le temps, non seulement Zapatero s’est passé de l’avis des instances du parti mais en plus il en exigeait un soutient total à l’action du gouvernement. Sans exclure un biais journalistique (je lis essentiellement El Pais pour m’informer de l’actualité espagnole et le journal est proche des socialistes), j’ai rarement entendu des voix discordantes au discours officiel du PSOE.

Lorsqu’en mai 2011 Zapatero a annoncé qu’il ne se représenterait pas, espérant sauver les élections municipales, la question de sa succession immédiate a été très vite réglée : on a parlé un temps d’une primaire pour départager Rubalcaba et Chacon, les deux favoris, avant que cette dernière ne soit priée de renoncer au profit du premier.

Depuis la défaite électorale du 20 novembre dernier et la décision d’organiser un congrès dès février 2012 (quand on pense que le PS a mis plus d’un an à organiser son congrès après sa défaite en 2007), il n’y a pas un jour sans qu’un responsable socialiste ne publie ses analyses de la défaite et explique la stratégie à adopter pour l’avenir.

Le duel Chacon/Rubalcaba

Deux candidats briguent la succession de Zapatero à la tête du PSOE. D’une part Alfredo Perez Rubalcaba, 60 ans, ancien ministre de l’Intérieur (2006-2011) et vice-président du gouvernement (2010-2011), chef de liste aux dernières élections. D’autre part Carme Chacon, 40 ans, ex-ministre du Logement (2007-2008) et de la Défense (2008-2011).

Carme Chacon et ses partisans ont publié un manifeste intitulé « Mucho PSOE por hacer ». Tout en revendiquant les avancées de l’ère Zapatero, ils proposent de faire un inventaire de ces années de gouvernement et en particulier de la gestion de la crise. Ils souhaitent une réforme fiscale d’avantage progressiste et un gouvernement économique et démocratique en Europe. Enfin ils militent pour un parti ouvert et travaillant avec la société civile, puis pour l’organisation de primaires citoyennes.

Alfredo Rubalcaba et ses soutiens ont publié un manifeste intitulé « 38 proposiciones y mas ». Ils plaident pour un parti plus à l’image de l’Espagne, de masse (vise les 2 millions d’adhérents), pluriel et intergénérationnel, respectant les identités régionales mais en parlant d’une seule voix. Ils souhaitent un parti plus participatif (via les NTIC) avec notamment l’élection du candidat à la présidence par la voie de primaires citoyennes. Enfin, un parti ancré en Europe et dans l’Internationale Socialiste.

Le premier texte privilégie une démarche politique globale quand le second est centré sur le parti, présenté comme un outil de reconquête. Pour l’instant, à l’issu des premiers congrès provinciaux organisés le weekend dernier, Rubalcaba partirait avec un léger avantage sur Chacon, mais un bon tiers des délégués n’ont pas encore pris position.

Difficile pour ma part de départager les deux candidats. Je connais bien mal Chacon mais je trouve intéressant le principe d’inventaire des années ZP. Elle apparait encore trop sans consistance mais risque surtout de payer sa « catalanité » suite aux bisbilles PSC/PSOE. Rubalcaba est d’avantage expérimenté et c’est un bon contradicteur, ce qui serait utile au Parlement. Verdict dans deux semaines.

15 mai 2008

A la recherche d'idées

En lisant Le Monde l’autre jour, j’apprends qu’une nouvelle fondation progressiste, intitulée Terra Nova, vient de voir le jour.

Ses membres fondateurs, proche de la gauche sociale-démocrate, ont l’ambition d’être un lieu d’échanges, de production et de diffusion de savoirs, d’analyses et d’expertises pour rénover intellectuellement la gauche progressiste en France et en Europe.

Rassemblant le monde politique, de celui de l’expertise, des intellectuels et de la vie associative, travaillant de concert avec d’autres fondations progressistes en France (Fondation Jean Jaurès, La République des Idées, Les Gracques) comme en Europe (Policy Network, Fundacion Alternativas), ils entendent déconstruire l’idéologie conservatrice pour proposer une alternative de progrès. Enfin, j’apprends avec plaisir que Michel Rocard sera président du comité scientifique.

De l’autre côté des Pyrénées, j’ai appris par le camarade Oscar Cerezal, que José Luis Rodrigues Zapatero a chargé son ministre du travail et des affaires sociales sous la précédente mandature, Jésus Caldera, de créer une macro-fondation. Cette nouvelle structure se donne l’objectif de relancer la réflexion idéologique du PSOE pour les années à venir.

On parle de macro-fondation parce qu’elle envisage de rassembler les cinq grandes fondations existantes, proches ou liées au PSOE. Il s’agit de:

  • la Fondation Pablo Iglesias, présidée par Alfonso Guerra,
  • la Fondation Jaime Vera, consacrée à la formation des cadres,
  • la Fondation Ramon Rubial qui s’occupe de l’émigration et des espagnols à l’étranger,
  • la Fondation Progresso Global, présidée par Felipe Gonzalez mais peu active,
  • la Fondation Alternativas, partenaire de Terra Nova.

Je connais mal la situation espagnole mais ce rassemblement de fondations en une seule me parait positif.

Par ces fondations, on voit émerger voir se confirmer l’époque des think tanks, ces boites à idées et structures de réseaux, dont la capacité d’expertise et de réflexions programmatiques vise à accompagner le politique dans ses prises de position et de décision. Très présentes outre-Atlantique, elles ont émergées en Europe par l’intermédiaire des institutions européennes qui ne veulent pas dépendre de la seule capacité d’expertises des Etats-membres. Mais ne mélangeons pas tout…

Dans l’article du Monde, il est dit que Terra Nova a vocation d’être pour la gauche ce que des Instituts Montaigne sont pour la droite : une fabrique à produire et diffuser une idéologie. L’histoire des idées est indissociablement liée aux principes d’échange, de diffusion, d’assimilation et de réinterprétation. A l’heure de la mondialisation et des nouvelles technologies de l’information et des communications, les possibilités sont démultipliées. Et quelque part c’est politique parce que le monde des idées est un champ de luttes symboliques, mais qui sert de support à un monde social en conflits (à des niveaux divers d’ailleurs : à travers ce combat d’idées c’est la carrière et la renommée d’universitaires qui est en jeu, mais c’est aussi le support possible d’une grille de lecture du monde social).

L’histoire du paradigme économique monétariste (défendues par les néolibéraux Friedman et Hayek), d’abord minoritaire dans le champ académique dans les années 50 et 60 puis grandement influent dans les années 70 et 80, en particulier dans le monde politique et économique, suffit à le prouver. Une idée s’impose par les stratégies (sociale, de communication etc.) des acteurs qui les portent.

Le travail de ces fondations, déconnectée un temps des stratégies individuelles et des plans de carrières de certain(e), donne l’occasion d’un renouvellement de la matrice intellectuelle et d’une coordination d’une politique de diffusion des idées et propositions qu’il en ressortira. Néanmoins je suis assez perplexe sur les chances de voir émerger une telle stratégie de diffusion d’idées. Par certains aspects, Terra Nova ressemble à « A gauche en Europe » que présidait DSK, et qui assurait bien mal la diffusion des idées qu'il produisait.

Par ailleurs la multiplicité de ces fondations et réseaux d’experts, œuvrant plus ou moins aux mêmes fins et se superposant les unes aux autres, laisse à penser qu’il n’en sortira rien de cohérent, si ce n’est des répétitions. D’autre part, la durée de vie (assez courte dans l’ensemble) et le rythme de productions d’analyses (qui prend nécessairement du temps mais qui tend à s’allonger) de ces boites à idée, renforce mon sentiment de réserve. L’exemple de AG2E et des Gracques est assez parlant.

Et enfin admettons le, ces institutions ont une tendance et un fonctionnement « élitaire » puisqu’elles privilégient la figure de l’expert, du technicien, au citoyen, véritable profane que les média informent peu mais qu’on voudrait pourtant associer à l’entreprise. C’est cette faiblesse là qui doit être au cœur de toute stratégie de diffusion d’idées.

22 octobre 2007

Les mémoires d'Alfonso Guerra

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(Alfonso Guerra)

 

Lors de mon séjour académique en Espagne, j’ai assisté à une conférence sur le processus d’élaboration de la constitution lors de la transition espagnole, avec comme invité de marque : Alfonso Guerra.

 

 

Je suppose que le nom du personnage ne vous dit rien. Je vous rassure le jour de la conférence, j’étais dans la même situation que vous. En fait, ce monsieur est socialiste espagnol et à ce titre, il a joué un rôle important dans la reconstruction du PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) pendant la dictature jusqu’aux premières élections démocratiques. Mais il a aussi joué un rôle dans la construction du consensus politique nécessaire à la rédaction de la Constitution espagnole de 1977. Par la suite, de 1982 jusqu’à 1991, il a été vice-président du gouvernement espagnol, alors dirigé par Felipe Gonzalez.

 

 

Je pourrai faire un billet uniquement sur le thème de la transition espagnole, et l’événement est important et riches d’enseignement, mais je préfère aborder les mémoires politiques qu’a rédigé ce personnage atypique, et que j’ai eu plaisir à lire cet été.

 

 

L’exercice des mémoires politiques, d’autobiographie, est un exercice délicat. Tant pour celui qui l’écrit que pour celui qui les lit. L’auteur y restitue des événements, des ressentis, un vécu avec finalement le ressenti du temps présent et la sélection inconsciente et consciente qu’effectue notre mémoire. Le lecteur, encore plus lorsqu’il s’agit de mémoires politiques, a de son côté une connaissance personnelle (son propre vécu et sa propre perception/interprétation) et collective (ce qu’on a pu lui apprendre de cette période), des événements qui sont narrés dans les mémoires écrites de l’homme politique. Les autobiographies/mémoires politiques sont donc des points de vues, jamais vraiment objectifs mais pas non plus sciemment réécrits. Mais après tout le lecteur n'est jamais objectif dans ce type de lecture, on s'y lance avec des a priori, on en ressort pas indeme non plus.

 

 

Les mémoires politiques d’Alfonso Guerra sont regroupés en deux tomes : Cuando el tiempo nos alcanza et Dejando atrás los vientos. Traduit en français cela donne : « Quand le temps nous rattrape » et « En laissant derrière nous le vent/la tempête ». C’est une traduction littérale. J’ai souhaité les lires parce que l’auteur m’avait fait bonne impression lors de cette conférence avec son franc parler et ses convictions ; mais aussi pour comprendre un peu l’histoire du PSOE et de l’Espagne.

 

 

Le premier livre couvre la période de 1940 à 1982, c'est-à-dire une période qui va de l’année de naissance d’Alfonso Guerra jusqu’à la victoire du PSOE aux élections générales espagnoles. Il relate alors son enfance, il est le dixième d’une famille andalouse assez pauvre. Il aborde ses premiers rapports à l’amour et à la politique (son père est un républicain socialiste). Il raconte ses premières journées d’écoles, chez les religieuses, sachant déjà lire et écrire, on le fait passer les classes. Il sera un brillant étudiant, passionné de littératures espagnoles (1) et de théâtre, il consacre plusieurs chapitres tout au long des deux tomes, à des auteurs espagnols ou sud-américains. Il fait des études d’ingénieurs pour faire plaisir à ses proches.

 

 

Il consacre la seconde partie de son livre à son passage au socialisme et en politique. Ce qui est fondamental dans le parcours de cet homme, c’est qu’il rentre en politique (pas le métier politique qui n’a pas de sens dans une dictature surtout pas lorsqu’on est un opposant à celle-ci) par le biais de la culture. C’est parce que la dictature franquiste/fasciste interdit la lecture d’œuvres jugées subversives, et qu’il est soumis à cette censure dans le cadre du théâtre qu’il pratique, qu’il entre en politique. Et s’il rejette le communisme, très présent symboliquement et numériquement en Espagne d’alors, c’est aussi parce qu’on y interdit la lecture d’auteurs étrangers à la ligne du Parti.

 

 

Il rapporte ensuite sa rencontre avec des membres du PSOE clandestin (je rappelle qu’il est interdit en Espagne), sa lecture d’auteurs socialistes espagnols (dont Pablo Iglesia, père fondateur du PSOE) et étrangers, la mise en place d’une organisation de militants actifs. C’est alors qu’il rencontre Felipe Gonzales avec qui il se lie d’une solide amitié, que seule la pratique du pouvoir (au gouvernement donc) détériorera.

 

 

Sous la menace permanente du contrôle policier répressif de la dictature, il participe à la rencontre et à la fusion de plusieurs groupes socialistes jusqu’ici isolés partout en Espagne, en une entité le « PSOE de l’Intérieur » en référence (et en contraste) au PSOE officiel en exil en France, réfugié à Toulouse (2).

 

 

Il entretient justement des contacts conflictuels avec la direction du PSOE en exil, parce qu’il y a une différence de génération, parce qu’elle est surveillé par la police franquiste, parce qu’elle est enfermée dans ses luttes internes. Les « vieux » dirigeants de l’exil semblent se méfier du travail et surtout de l’influence de ces jeunes dirigeants de l’intérieur. Ce sera au travers du soutient apporté par les partis de l’Internationale Socialiste (avec en tête Willy Brandt) que les jeunes socialistes de l’intérieur gagneront la légitimité de diriger le PSOE. Je crois que c’est par un meeting en France, que les représentants du PSOE réunifié désigneront Felipe Gonzalez secrétaire général du parti.

 

 

Au travers des chapitres, les années passants, le contrôle répressif de la dictature se relâche. Le dictateur vieillissant, le système et le régime se préparent à sa succession et aux changements. Le PSOE bien qu’illégal est toléré. Franco meurt, Juan Carlos accède au trône. Adolfo Suarez succède à Arrias Navarro, et engage les réformes politiques et le processus de transition. Les premières élections générales ont lieux en 1977, Alfonso Guerra prend en charge la campagne du PSOE qui obtient 118 sièges. Il raconte à l’occasion de petites anecdotes sur le déroulement des élections, forcément le peuple espagnol n’ayant pas voté depuis 41 ans, les gourdes se multiplient.

 

 

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(Felipe Gonzalez en meeting)

 

Il explique aussi le Congrès du PSOE de 1979 par lequel le parti se convertit au réformisme. J’aborde cet épisode à l’adresse des socialistes français. Tout a commencé par une interview à quelques jours du Congrès, de Felipe Gonzalez dans le journal El Pais. Felipe annonce le souhait que son parti abandonne les références marxistes. Du coup les socialistes s’agitent et le Congrès tourne vite autour de la question d’une ligne « marxiste » ou « pas marxiste ». La ligne non marxiste est défendue par Joaquim Almunia, la ligne marxiste par Peces-Barba et une partie des socialistes de la direction de l’exil. Le vote tombe, le Congrès vote la ligne marxiste. Felipe Gonzalez démissionne donc, à la surprise générale des militants et représentants qui souhaitait garder le charismatique « Felipe ». Une nouvelle direction se forme mais on annonce un Congrès extraordinaire. C’est au cours de celui-ci que le PSOE adopte une résolution fourre tout dans lequel il garde le marxisme comme référence historique tout en n’en faisant pas une grille de lecture première, ce qui permet à Felipe Gonzalez d’être re-désigné secrétaire général. Alfonso Guerra penchait pour la ligne non-marxiste mais n'en faisait pas une affaire de priorité. Il juge en tout cas que cette crise a été salutaire pour la suite du PSOE, notamment lorsque celui ci accède au pouvoir.

 

Après la tentative de coup d’Etat de février 1981 par le lieutenant-colonel Terejo, épisode au quel Alfonso Guerra consacre un très long chapitre mêlant vécu et analyse a posteriori, les élections générales du 28 octobre 1982 donnent la majorité absolue au PSOE.

 

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(Alfonso Guerra et Felipe Gonzalez en 1982)

 

 

Lors d'un Congrès du PSOE à Paris, bien avant 1982, François Mitterrand appelle les socialistes espagnols à prendre en compte le fait qu'ils seront amenés à prendre le pouvoir, que le thématique du pouvoir ne sera pas pour la génération suivante, mais bien pour celle-ci. Alfonso Guerra refuse de se projeter dans cette optique là, et ce n'est que sur l'insistance de Felipe Gonzales, qu'il accepte d'entrer au gouvernement comme vice-président (en quelque sorte, premier ministre bis). Il y restera jusqu'en 1991.

 

 

Cette période des responsabilités c'est l'objet du second tome.

 

 

On saisit mal les charges qui incombent au vice-président du gouvernement à part celui de remplaçant du président du gouvernement lorsque celui-ci part en déplacement. De fait, Alfonso Guerra jouit d'une grande liberté d'action avec une administration qui compte une dizaine de personne tout au plus. Cela n'empeche pas le vice-président d'agir.

 

 

Il raconte alors comment il a eu à gérer une prise d'otage de ressortissants espagnols en Algérie, ou comment il a eu à traiter avec l'Eglise pour la pacification des relations Etat-Eglise. Il explique comment avec Felipe Gonzales ils arrivent à imposer l'autorité sur les forces Armée et à gagner leur respect (lors de l'enterrement d'une officier). Il explique aussi qu'il a contribué à renforcer la coopération anti-terroriste entre la France et l'Espagne suite à une conversation avec Lionel Jospin, Premier Secrétaire du PS français. Il aborde également les difficiles négotiations avec les Etats-Unis pour la rénovation des accords militaires USA-Espagne.

 

 

En matière d'affaires étrangères, il apporte son témoignage sur la révolution au Nicaragua, sur le régime castriste, sur l'évolution et la décadence de l'URSS (lorsqu'il est invité à cérémonie pour la mort de Brejnev), sur les changements opérés en Chine (il rencontre Deng Xiaping). Il semble s'être lié d'amitié avec Gorbatchev, le président de la République italienne ou encore Oskar Lanfontaine.

 

 

Le reste du livre est centré sur la pratique, l'exercice du pouvoir et ce qu'il faut endurer. C'est marrant de voir qu'Alfonso Guerra pense et propose plusieurs fois sa démission qui est toujours refusé par le président du gouvernement. Pour lui le pouvoir a été une sorte de sacrifice, puisqu'il a du délaissé ses enfants pour assurer les responsabilités et répondre à la confiance que les gens lui ont témoigné.

 

 

On voit que dès l'arrivé aux pouvoirs des socialistes espagnols, des tensions apparaissent au sein du gouvernement. Tensions entre les ministres en charges des affaires économiques et les ministres en charges des affaires sociales, j'ai envie de dire, tensio classique entre les ministres qui tiennent la bourse et les ministres de dépenses. Mais au delà, c'est une fracture qui apparait entre les tenants d'une ligne plus social-démocrate et les tenants d'une ligne social-libéral. Pour certains, en France notamment, social-démocrate et social-libéral c'est la même chose, mais je pense que c'est pas vraiment le cas. Les tensions vont jusqu'à créer une crise ministérielle lorsque le ministre de l'économie (Boyer) devant les média, se permet de distribuer les bons points aux différents ministres avec comme ambition d'être nommer vice-président. Ce qu'il ne sera pas. L'auteur raconte alors comment il s'est efforcé de rassurer un certain nombre de ministres parmis lesquels Solchaga, qui deviendra plus tard l'ennemi déclaré de Guerra.

 

 

Il est aussi question des critiques qu'il a du supporter de la part de la droite (parti populaire alors dirigé par le franquiste Fraga) mais surtout des média qui ne cessent de vilipender toute action de sa part avec des procédés par toujours déontologiques (interviews tronqués ou orientés). Et étant donné qu'il y revient souvent, on comprend que c'est quelque chose qui l'a profondément blessé. Les média n'ont cessé d'avoir une relation ambigue à son égard puisqu'ils le persecutent en même temps qu'ils le solicitent, sans succès, pour un interview ou une prestation télévisée très souvent assurée de succès dans l'audimètre. A mon avis, son franc parler et surtout sa grande ironie y sont pour beaucoup.

 

 

Une série de chapitres sont consacrés à deux évenements majeurs, du moins qui me semblent l'être, à savoir: le divorce entre le syndicat socialiste UGT (Union Générale des Travailleurs) et le PSOE/Gouvernement d'une part, et le réferendum sur l'OTAN d'autre part. Alfonso Guerra raconte comment le comportement de certains ministres vis à vis des syndicats ET la concurrence que souffrait UGT de la part de Comisiones Obreras (CCOO), l'autre grand syndicat, ont tué l'union syndicat-parti. Une union qui date des origines du syndicat en 1888, fondé par Pablo Iglesias (le PSOE lui étant créée en 1879). Concernant l'OTAN, il faut comprendre que le PSOE a promis en 1982 un réferendum concernant le maintient ou non de l'Espagne dans l'organisation transatlantique, avec quand même un penchant pour le non. Or pour le referendum de 1986, les socialistes se retrouvent les seuls à défendre le OUI contre les communistes et la droite qui prône l'abstention.

 

 

Alfonso Guerra se présente un peu comme l'ingénieur du consensus au sein du PSOE comme au sein du gouvernement. Il essaye toujours, dans les respect de la hierarchie qu'il s'impose face à Felipe Gonzales, seul détenteur selon lui de la légitimité des urnes, de calmer les tensions internes entre les ministres ou dans les affaires du PSOE, ce qui assurément renforce cette idée qu'il en est le maitre tout puissant. Mais il comprend bien lors de la préparation de l'Expo de 1992 à Séville ou bien lors de l'élaboration du Programme 2000 en 1990, qu'il est contesté par une partie des socialistes de la ligne social-libérale. Les relations avec Felipe Gonzales se dégradent, ce dernier semblant se rapprocher de la ligne des "rénovateurs". Le Congrès de 1991 symbolise la guerre ouverte entre ce que les média appellent les "guerristas" (partisants de Guerra) et les "renovadores" (rénovateurs/ réformateurs/ modernisateurs). Les "guerristas" gagnent le Congrès mais Alfonso Guerra, suite à une lettre très personnelle de Felipe Gonzalez, décide de quitter le gouvernement pour se consacrer au Parti. Pour la petite histoire, c'est au cours du Congrès de 1994 que les "renovadores" l'emportent sur les "guerristas".

 

Ainsi s'achève les mémoires politiques d'Alfonso Guerra. Peut être écrira-t-il ce qu'il a fait depuis dans un 3eme tome... Je pense que ça en vaudrait la peine.

 

 

* * *

 

Depuis que j'ai achevé la lecture de ces mémoires politiques, j'avais en tête de rédiger une note la dessus. Là voilà donc. Elle est longue car très détaillé. J'aurai pu être plus précis dans les anecdotes ou les positions de l'auteur en ce qui concerne les privatisations/nationalisations, le socialisme au XXIème siècle, sur les nationalismes en Espagne, sur ce qu'il pense de l'action du gouvernement auquel il a appartenu... mais pour des non espagnols, ça n'a peut être pas tellement d'intérêt.

 

 

Je vous avoue avoir vraiment aimé ces deux livres. Le style de l’auteur, sa franchise, son ironie parfois, m'ont plu. Ces deux livres me paraissent être un formidable témoignage de 50 années d’histoire espagnole, avec l’évolution de la société espagnole qui va avec et l'évolution d'un parti qui passe de la clandestinité aux responsabilités politiques pendant 14 ans. C'est aussi une leçon de vie et une leçon de politique.

 

Pour finir je donnerai mon humble et naive opinion: le socialisme espagnol, avec tous ses défauts, a beaucoup apporté à l'Espagne en l'espace de 30 ans de démocraties.

 

Ils ont consolidés la démocratie espagnole,

Ils ont mis en place un welfare state inexistant auparavent,

Ils ont restructurer l'économie espagnole à l'aide des subventions européennes,

Ils ont fait entrer l'Espagne dans l'Europe et ont contribués, surtout dans les années 80, à renforcer l'Europe,

Ils ont symbolisé le retour de l'Espagne sur la scène internationale à travers l'euroméditerranée et la politique latinoaméricaine.

 

 

(1) Je l'aborde peu hélàs dans mon propos mais j'ai une mémoire des noms catastrophique, mais j'insiste, la culture et la littérature sont très présent chez cet homme.

(2) C’est pour ça que pendant longtemps le PS français et le PSOE ont eut des liens très forts, et ça a joué dans les années 80. C'est beaucoup moins vrai aujourd’hui, c’est une autre génération aussi.