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08 avril 2011

Mémoire vivante - Michel Rocard

Mémoire vivante - Michel Rocard.jpgLa note de lecture qui suit remonte à octobre 2006. Le Parti Socialiste organisait ses primaires pour désigner son candidat à la magistrature suprême. Sans être militant, je soutenais déjà Dominique Strauss-Kahn et les idées social-démocrates, autrefois incarné par Michel Rocard et Jacques Delors.

J'ai fait le choix de ne pas retoucher mon texte même si, sans avoir relu le livre, j'aurai certainement une autre façon de voir et présenter les choses aujour'hui. J'ai trouvé intéressant de pouvoir relire les enseignements que j'avais tiré des propos de Rocard, à l'aune de la crise internationale et de la présidence Sarkozy surtout. Si j'ai pris d'avantage de distances avec le personnage Rocard et quelques unes de ses analyses, je reste fidèle à ses idées.

A noter que Michel Rocard est revenu sur son parcours personnel et politique dans deux ouvrages: Si la gauche savait (2005), Si ça vous amuse. Chroniques des mes faits et méfaits (2010).

*

Ce livre d'entretien avec Michel Rocard date de 2001. Bien que l’homme ait surtout marqué l’actualité politique des années quatre-vingt, donc une période que je n’ai pas connu du fait de mon jeune âge, j’éprouve à son égard une grande admiration mêlé d’un immense respect. Cet homme que les média d’aujourd’hui ont un peu oublié fait pourtant parti de ceux qui ont marqué l’histoire de la gauche française ces 40 dernières années.

Certaines mauvaises langues ne voient en lui qu’un perdant sous prétexte qu’il ne serait pas devenu président de la République, poste qu’il aurait convoité pendant tant d’années alors que « tout » (la popularité dans les sondages ; la compétence) le prédisposé à ce destin. D’autres voient en lui une occasion manqué, constituant un « certain regret ». Le regret de n’avoir pu rénover le socialisme français (notamment faire émerger une social-démocratie française assumée), le regret de n’avoir pu inculquer une nouvelle méthode de gouvernement à une classe politique de plus en plus coupé des réalités, le regret de n’avoir pu rassembler les français pour moderniser notre société.

Et si certains éprouvent ce regret, c’est bien que l’état actuel des choses (la décrépitude du Parti Socialiste français ; la crise socio-politique du CPE, le non au T.C.E…) ne nous poussent pas à l’optimisme. Le livre ne raconte pas seulement le vécu d'un des plus atypiques hommes politiques français de ces trente dernières années, mais il expose nombre de ses pensées et réflexions. Et on comprend alors toute la modernité de son engagements, de son raisonnement, de sa méthode.

Une première partie du livre est consacré à sa jeunesse, à ses parents, à ses études… On comprends de suite que c’est un certain niveau. Son père (qui a contribué à l’élaboration de la bombe atomique française), son grand père et son arrière grand père ont tous les 3 fait Polytechnique… d’où ses capacités en mathématiques qui l’aideront à étudier l’économie. Lui-même a fait Sciences po puis l’ENA puis l’Inspection des finances (grand corps d’Etat).Il raconte sa relation avec son père (qui ne lui pardonne pas d’avoir délaissé les sciences exactes pour sciences po) et sa mère (qui lui inculque les principes protestants). Il est fait mention des événements (la guerre, l’occupation), des rencontres (un ouvrier, un prêtre protestant) qui l’ont amené à tenter la voie politique. A une époque où le communisme est très en vogue, surtout chez les jeunes, Michel Rocard préfère s’en tenir à l’écart (il comprendra très vite le sectarisme des militants PC) sans pour autant adhérer à la SFIO (ancien PS) vieillissante et empêtrée dans les guerres de décolonisations.

Dans une autre partie, l'ancien Premier Ministre revient sur ses activités militantes et politiques à l'occasion de la guerre d'Algérie. Effectuant son service militaire en Algérie il contribuera par l'intermédiaire d'un rapport à informer l'opinion publique sur les pratiques de la torture par l'armée française. Anti-colonialiste dans l'âme, il se définit comme un militant des droits de l'homme (et donc socialiste par logique…sa logique) et non l'inverse.

Sont également abordés son choix d'intégrer l'Inspection des finances (un des grands corps d'État) à la sortie de l'ENA, et les informations et savoirs faire qu'il en retire en terme de culture économique et fiscale ("connaissance du réel", ex: impact d'une nouvelle mesure fiscale auprès de commerçants).

Mai 68 est un autre des grands événements où Michel Rocard s'est illustré. Il nous explique alors la création du PSU (parti socialiste unifié, en référence à l'œuvre de Jaurès lorsqu'il fonda le PSU-SFIO), et le rôle de celui-ci dans l'anticipation et l'accompagnement des mouvements estudiantins et ouvriers. Dans un souci de respect de l'ordre public, soucieux d'éviter les affrontements entre manifestants et CRS, il ira jusqu'à annuler des manifestations. Il revient sur ses relations avec Daniel Cohn-Bendit, avec Pierre Mendès-France (à l'occasion de la grande réunion de Charléty) et bien sur, François Mitterrand (jugé "hors jeux" par rapport aux événements).

Au travers de deux autres chapitres, il relate son adhésion au PS dirigé alors par Mitterrand, et son expérience gouvernementale après la victoire de la gauche en 1981. Il revient sur ses divergences avec François Mitterrand tant en termes de culture politique (le fameux clivage "première/deuxième gauche") que de choix stratégiques à adopter. Par exemple s'il adhère à l'union de la gauche avec les communistes, il conteste en parties le programme commun de gouvernement (dont les nationalisations à 100%) que sous-tend l'union PS-PC. Il regrette vivement la surenchère idéologique adopté par le PS, le manque de "parler vrai" des politiques face aux citoyens, que le PS payera dès 1983…

Il nous fait part de son expérience gouvernementale.  Qu'il soit au ministère du Plan, de l'agriculture ou à Matignon, il applique la méthode Rocard que l'on pourrait résumer par le triptyque " déminer- dialoguer- solutionner". En rentrant dans le détail, il nous explique comment ministre de l'agriculture il a contribué avec le conseil des ministres de l'agriculture au niveau européen, à réformer la PAC (entre autres). Sur son passage à Matignon, il nous explique en large et en travers comment il a obtenu les accords de paix de Nouméa, comment est né l'idée de RMI et comment il l'a négociée et mise en application très rapidement (je dis "il" mais bien sur l'entreprise est collective). Il aborde la question de la mise en place de la CSG (contribution sociale généralisée) et de la réforme de l'assurance maladie (négociation entamée avec lui, rompue à l'arrivée d'Edith Cresson). Autres réformes à son actif, la "réforme" de la langue française (sujet en apparence anodin mais bien complexe), le sauvetage de Renault (fusion avec Volvo), le changement de statut des PTT (devenu distinctement La Poste et France Télécom), un début de réforme de la justice. S'il regrette de ne pas avoir fait la baisse du temps de travail, il s'enorgueillit d'avoir entamé la réforme lente et discrète de l'assurance maladie et du système de retraites; regrettant qu'Edith Cresson en ait interrompue la négociation ou bien la méthode des Premiers Ministres Balladur et Juppé par rapport aux retraites.

Enfin les deux derniers chapitres abordent l'après Matignon, à savoir son bref passage à la direction du PS et son engagement européen en tant que député européen auprès de Yasser Arafat notamment.

Tout au long de l'entretient, Michel Rocard développe sa réflexion sur bien des sujets. Le rôle et les responsabilités de l'élu, les affaires, la mondialisation et l'évolution du capitalisme, les relations Nord-Sud, l'Europe politique sont tour à tour abordées.

Ce que j'ai retenu de Michel Rocard en termes de mode de gouvernement :

- Ne pas penser obligatoire en terme de clivages… idée que l'on retrouve dans son discours de politique générale devant l'Assemblée Nationale en 1988. "Je rêve d'une politique où l'on soit attentif à ce qui est dit plutôt qu'à qui le dit". D'ailleurs on ne peut être que frappé de voir, tout au long de l'entretien, Michel Rocard rendre hommage à divers hommes politiques en particulier ceux avec qui il n'est pas d'accord (Juppé, Chevènement etc.).

- Le rôle de l'élu n'est pas d'inventer, il n'en a ni le temps ni les facultés (au sens de formation), mais de sélectionner/arbitrer les mesures proposées par les techniciens de l'économie et du social. On serait tenter d'y voir une justification de l'Énarchie et de la technocratie confisquant le pouvoir au élus, moi j'y vois plutôt une légitimation de l'élu professionnel. Personnellement j'aime bien comparer un élu à un artiste. L'élu est essentiellement devenu un interprète… mais rien ne l'interdit de composer !

- Une volonté ferme de dialogue, de concertation longue et continue entre les acteurs concernés, les plus à même à apporter une solution aux problèmes/phénomènes qu'ils vivent au quotidien. En ce sens, la décentralisation poussée est préférée au jacobinisme et son centralisme.

- Tant qu'on préférera le spectaculaire au discret, l'immédiat au durablele symbolique au concret, la loi dictée par l'État au contrat négocié parles acteurs sociaux… alors aucune réforme n'est envisageable en France. Et une réforme sera d'autant plus accepté que les coûts seront partagé par toute la société.

Au regard de cette éthique, au regard de cette rigueur d'esprit… est-il possible de dire si aujourd'hui les prétendants à la présidence de la République soient acquis à ce mode de gouvernance ?

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