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17 juillet 2011

La prospérité du vice

Daniel Cohen est professeur à l’Ecole Normale Supérieure et à l’Ecole d’Economie de Paris. Il a écrit de nombreux ouvrages de vulgarisation sur l’économie et la mondialisation. La prospérité du vice est sortie en 2009. Lorsqu’un camarade de section m’a prêté le livre il y a quelques mois, j’ai cru au départ à un n-ième ouvrage sur la crise des subprimes. Or si le sujet est traité, on était alors en plein plan de relance, l’essai dépasse largement la question pour faire une histoire de l’économie.

Le titre du livre fait référence à la Fable des abeilles de Bernard de Mandeville, dont la morale postule que les vices privés font les vertus publiques. L’envie, le gaspillage, l’ostentation et les inégalités sont placés au cœur d’une dynamique de circulation des richesses, que des comportements plus moraux et altruistes défont. On est loin de la thèse de Max Weber, pour qui l’ascétisme et l’éthique protestante, par la constitution d’un stock d’épargne qu’ils favorisent, seraient à l’origine du capitalisme.

L’ouvrage se veut une « introduction (inquiète) à l’économie », entendue ici non comme la discipline « scientifique » qu’on enseigne dans les facultés, mais comme la manière dont une société s’organise pour produire, distribuer, échanger et consommer de la richesse (définition toute personnelle qui m’a valu la moquerie d’un jury de concours). Si l’auteur introduit quelques auteurs classiques de la pensée économique, c’est pour mieux analyser l’histoire du développement de l’Occident.

L’économie née avec l’humanité qui se sédentarise, que l’anthropologie explique (je simplifie) par les changements climatiques, la création d’outils et l’agriculture. Le progrès scientifique et technologique est déterminant dans le développement des civilisations. L’empire romain, fondé sur l’esclavage et la bureaucratie, illustre le cas d’une civilisation dont l’absence d’innovation explique le déclin. La Chine, pourtant en avance technologiquement sur l’Occident, a déclinée en se refermant sur elle-même.

L’histoire économique montre l’importance des conditions institutionnelles et sociales du développement, la prééminence du conflit sur la pacification et l’exploitation des opportunités de croissance possible parce que géographiquement contenue. La croissance européenne s’est largement fondée sur une spécialisation internationale qui a reporté sur d’autres continents la contrainte de production agricole et bénéficié de l’exploitation de ressources énergétiques non renouvelables.

Loin de servir la pacification des relations internationales, l’enrichissement des États a nourri des ambitions de puissance. Les crises militaires coïncident avec les phases de haute conjoncture et non avec celles de basses pressions comme le suggère la thèse de la compétition pour les ressources rares. Les périodes de crises se sont historiquement traduites par une tendance au repli que seule la seconde guerre mondiale semble contredire.

Dans un chapitre consacré aux « conséquences économiques de la paix », l’auteur analyse l’impact du traité de Versailles de 1918 sur l’Allemagne économique et politique. L’esprit revanchard des Français a brisé la reprise économique allemande et miné la République de Weimar. La crise de 1929 a fait le reste. Je n’ai pu m’empêcher de faire un rapprochement avec la situation de certains pays européens avec les plans d’ajustement qu’on leur impose.

De la même façon, lorsque Daniel Cohen revient sur la crise de 1929, on ne peut être que frappé par la similarité de ses causes avec celles de la crise des subprimes (crises immobilières, financières, économiques), et à un moindre degré, l’homme n’a pas tout oublié des leçons de l’histoire, par les ressemblances des réactions politiques et des institutions monétaires.

La période de forte croissance continue des Trente glorieuses est expliqué par l’amélioration des capacités de pilotage de l’économie par les autorités publiques, traumatisés par les années trente, et à la diffusion des idées keynésiennes. Mais ces dernières n’ont cependant pu s’appliquer avec efficacité qu’en raison d’un important différentiel de croissance et de gains de productivité entre l’Europe et les États-Unis. Le ralentissement des années 70 correspond à l’achèvement du rattrapage.

La fin des Trente glorieuses a mis en lumière l’addiction de nos sociétés pour la croissance, afin de financer nos systèmes sociaux ou satisfaire des aspirations au bonheur individuel. Pour Daniel Cohen, le sentiment de satisfaction est d’avantage lié à la dynamique de l’amélioration des conditions de vie qu’au niveau effectivement atteint. Quant aux dépenses collectives, dont l’évolution dépend des besoins collectifs consolidés, leur dynamique tient plus des acteurs qui les mettent en œuvre que de l’Etat, qui tend plutôt à les réfréner.

Avec l’arrivée des pays émergents (Chine, Inde, Brésil) et l’acceptation, progressive, des limites écologiques de notre modèle de développement, nous sommes amener à repenser toute l’économie. Celle-ci ne doit pas être réduite à un ensemble de contraintes auxquelles l’humanité doit s’adapter, au risque de replonger dans la logique malthusienne. Redonner de la valeur au capital humain et s’appuyer sur la production immatérielle (peu consommatrice de ressources, coût de duplication très faible) est une des pistes avancées par Daniel Cohen.

10 juin 2011

L’austérité, oui mais jusqu’où ?

Cela fait un peu plus d’un an que l’Europe, sous la menace d’une crise des finances publiques, s’est engagée sur des politiques d’austérité, refermant par la même occasion la parenthèse des plans de relance de 2008 et 2009.

Tout cela a commencé avec la Grèce et l’Irlande qui, confrontés à des difficultés de refinancement sur les marchés, se sont résolus à appliquer des plans d’ajustement budgétaire et engager des réformes structurelles, en échange d’un soutien financier du FMI, de la BCE et des Etats-membres de l’UE.

La crainte de se retrouver dans la situation des Grecs et des Irlandais a poussé bien des Etats à s’engager à redresser leurs comptes publics, largement dégradés par la crise. C’est le cas de l’Espagne et du Portugal (avril 2010), de la Grande-Bretagne (juin 2010) et de la France (septembre 2010).

Malgré la mise en œuvre dès l’an dernier d’un plan d’ajustement de grande ampleur, la Grèce est invitée à redoubler d’efforts. De nouvelles mesures d’austérité viennent d’être adoptées (lien). Quant au nouveau gouvernement du Portugal, il promet d’aller au delà des préconisations du FMI et de la Commission (lien).

Vu les faibles perspectives de croissance pour la zone euro et l’impact récessif de la réduction des dépenses publiques lorsque ni la consommation, ni l’investissement privé, ni les exportations ne peuvent soutenir la croissance, le risque est grand que ces pays ne soient pas en mesure de remplir leurs engagements.

Autant dire qu’on risque de se retrouver dans la même situation dans quelques mois : crise de confiance des marchés, demandes d’aides supplémentaires, nouveaux plans d’ajustement exigés. Sauf que le nombre de pays en difficultés risque d’augmenter, et les moyens de les aider risquent de manquer.

Jusqu’où irons-nous dans l’austérité ? Autant la situation économique et financière de la Grèce justifie l’effort de redressement et certaines réformes structurelles, autant l’effort demandé doit rester raisonnable, c'est-à-dire lié aux capacités de l’économie réelle du pays. Or, ici on hypothèque l’avenir collectif du pays en coupant certaines dépenses (éducation, santé, recherche).

Le problème de la Grèce et du Portugal, on parle moins de l’Irlande, va bien au-delà des problèmes d’économie parallèle ou du fait de vivre au dessus de ses moyens. C’est bien la spécialisation économique intra-zone-euro et l’articulation entre politique monétaire et politiques budgétaires des Etats-membres qui pose problème.

Enfin, gardons-nous bien de juger avec condescendance les Grecs, les Portugais ou quelconque pays dans une situation similaire, car la situation financière de la France ne nous met pas à l’abri d’un ajustement budgétaire plus sévère à l’avenir. Sans parler du fait que la contrainte budgétaire qui pèse sur les Etats-Unis laisse entrevoir de sombres perspectives pour l'économie mondiale.

19:37 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : europe, économie

01 mai 2011

Le travail en mutation

Aujourd’hui 1er Mai, c’est la Fête du Travail et des Travailleurs. Difficile de célébrer ce jour quand on sait le nombre de personnes privés de travail en France, en Europe et dans le monde, du fait de la crise surtout mais pas seulement. Pourtant le travail occupe une place centrale dans nos vies de manière générale et dans notre système économique en particulier.

Au niveau individuel, de manière schématique, on peut dire que chacun y consacre 8 heures par jour, 5 à 6 jours par semaine, 47 semaines par an, 42 années de sa vie. Sans minimiser l’importance et le temps consacré à la vie familiale et sociale, la vie professionnelle domine le quotidien.

Le travail procure à celui qui en a une identité et un statut social. On noue beaucoup de relations via le monde du travail. On nous défini généralement par notre travail plus que par nos traits personnels. Le travail fournit des revenus qui, à travers des modes de consommation qu’ils permettent, nous situent dans la hiérarchie sociale.

Sachant tout ceci, se retrouver en situation de demandeur d’emploi de longue durée ou allocataire prolongé de minima sociaux est un drame humain et social. C’est le problème de l’image qu’on a de soi et celle que nous renvois les autres, si prompts à coller des étiquettes. Les autres, les polytraumatisés (il n’y a là rien de péjoratif dans mon esprit), ne se posent peut être plus ces questions.

Mais si être exclu du marché de l’emploi est un drame social, et il doit être vu comme tel collectivement, le fait d’être pourvu d’un travail ne met personne à l’abri aujourd’hui d’autres difficultés. Je pense à la question des travailleurs pauvres mais aussi au mal-être au travail. L’actualité récente nous a livré quelques exemples tragiques de salariés mettant fin à leurs jours à cause de leur travail.

Les mutations de l’économie survenues au début des années soixante-dix expliquent en grande partie l’émergence et la résistance du chômage. L’essoufflement du modèle de régulation keynésien-fordiste, la quasi-satisfaction de le demande en biens d’équipements et autres biens courants, le progrès technique (automatisation puis informatique), la tertiarisation, ont fait basculé l’économie dans le sous-emploi.

Aujourd’hui, on produit autant, en moins de temps, et avec de moins en moins de mains-d’œuvre. Le développement des services et la concurrence internationale ont contribués à la fragmentation du temps de travail (le just in time, le toyotisme) et à externaliser de nombreuses opérations jusqu’ici assurées par les entreprises-mères. D’où la sous-traitance (parfois en cascade), l’intérim et le temps partiel etc.

L’individualisation des rapports sociaux (et donc professionnels) est un phénomène économique (fruit de la tertiarisation, désindustrialisation, et externalisation) et social (consumérisme différencié, stratégies face au chômage, augmentation du niveau éducatif), placé au cœur des nouveaux modes de managements. La financiarisation des stratégies d’entreprises (obligation de performance et de rentabilité) vient accroitre la pression sur le salariat.

Avec l’essor du management « participatif » (le cadre va fixer lui-même ses objectifs, développement des primes d’intéressements ou aux résultats, on parle de collaborateurs) et des NTIC (internet, e-commerce, e-travail), on a voulu (nous faire) croire que le fonctionnement en réseau effaçait toute hiérarchie, toute relation de pouvoirs et toute divergence d’intérêts.

Or toute relation de travail est fondée sur un pouvoir de négociation inégal et des intérêts divergents, que l’intérêt de l’entreprise commande de rapprocher, et que seule l’intelligence de chacun facilitera. Dans ces relations difficiles, non dénués de tensions et d’une certaine violence plus ou moins policée, c’est tout le rôle du droit du travail que de définir le cadre de régulation de ces rapports sociaux particuliers.

07 février 2011

Non au budgétarisme constitutionnel

Le rôle assigné à la dépense publique comme son impact sur l’activité économique est de ces sempiternelles controverses qui opposent les économistes entre eux, mais aussi les politiques, dès lors qu’on aborde la question de la dette publique.

Conceptualisé par l’économiste néolibéral James Buchanan, le budgétarisme constitutionnel consiste à l’adoption d’une règle à valeur constitutionnelle destiné à interdire, ou restreindre fortement tout au moins, le recours au déficit budgétaire.

Bayrou proposait une réforme de la Constitution en ce sens en 2007. En 2008, l’Allemagne a adopté une règle budgétaire constitutionnelle visant à plafonner le déficit structurel du gouvernement fédéral à 0,35% du PIB à partir de 2016 et ceux des Länder à partir de 2020.

Face au risque d’une crise des finances publiques en Europe, l’Allemagne suggère dans son « Pacte de compétitivité » l’adoption, par les autres Etats-membres de l’UE, d’une norme similaire. Sarkozy va dans ce sens et y travaille. Zapatero commence à en parler en Espagne.

L’idée c’est qu’en adoptant une telle norme, les gouvernements envoient un signal aux acteurs économiques (ménages, investisseurs institutionnels), pour les rassurer sur les engagements financiers de l’Etat, et par voie de conséquence, changer leurs comportements économiques.

Selon la théorie des anticipations rationnelles, les ménages seraient sensibles au niveau de dette publique. Plus la dette est importante, et plus l’effort fiscal/  budgétaire, pesant sur les ménages, pour la réduire sera important. En conséquence, les ménages épargneraient pour faire face aux ajustements futurs.

Les marchés financiers financent les émissions d’obligations des Etats, c'est-à-dire l’endettement public. Or plus la dette initiale est élevée et plus la dynamique de la dette nouvelle est importante, moins l’Etat apparait en mesure de faire face à ses engagements présents et à venir. Il en résulte une hausse des taux d’intérêt sur la dette, ce qui renchérit son coût.

Par ailleurs, en contraignant les Etats à mener des politiques budgétaires restrictives, l’idée est de stabiliser la politique économique dans le temps, et donc de faciliter les choix économiques des agents. Ce faisant on s’inspire des politiques monétaires de ciblage d’inflation menée par les Banques centrales à partir des années 80.

Pourtant, si la réduction des déficits publics est un objectif louable, je ne suis pas certain qu’un tel instrument soit pertinent. Avec le « Pacte de stabilité » (déficit limité à 3% du PIB), l’Europe a déjà adopté une norme de contrainte budgétaire, avec des résultats décevants pour la période 2002-2008.

Quand bien même la norme allemande distingue « déficit structurel », résultat de choix politiques et « déficit conjoncturel », dépendant de la situation économique du moment, une telle norme conduira in fine à des ajustements de grandes ampleurs, indépendamment de la conjoncture. Les plans de rigueur adoptés en Europe en ce moment, en pleine période de reprise fragile, risquent de retarder la sortie de crise.

Le déficit public permet un lissage des à-coups de la conjoncture économique et la réalisation d’investissements de moyen/long termes (le grand emprunt). Interdire les déficits risque d’enfermer la politique budgétaire de l’Etat dans une logique pro-cyclique et sur un horizon de court terme, affaiblissant le potentiel de croissance à moyen/long terme.

On ne sait pas encore très bien si cette norme s’appliquerait à l’ensemble des comptes publics (Etats, collectivité locales et organismes de sécurité sociale) ou seul le budget de l’Etat. Dans le cadre du financement de la sécurité sociale, interdire le recours à l’emprunt obligerait donc à stopper les dépenses de santé. La régulation du système de santé se ferait, comme en Angleterre, par la constitution de listes d’attentes.

Le budget des collectivités locales est régi par une norme semblable. Elles ne peuvent s’endetter que pour financer des investissements. Mais il s’agit là moins d’investissements économiques que d’investissements patrimoniaux (genre piscine, complexe sportif etc.) qui engendrent par ailleurs des coûts de fonctionnement. Autrement dit, chercher à distinguer dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissements est assez complexe.

S’attaquer à la question du déficit et de la dette ne peut passer par l’établissement d’une ou plusieurs normes interdisant ou encadrant les déficits. On sait très bien qu’à chaque règle se trouve une exception. Des pays ont montré qu’il était possible de réduire le niveau d’endettement sans s’enfermer dans une logique court-termiste et/ ou une contrainte constitutionnelle.

Pour réduire leur niveau d’endettement sans compromettre leur potentiel de croissance à venir, l’Union européenne aurait intérêt à se doter des ressources propres et/ou d’une capacité d’emprunt afin de financer les investissements communautaires porteurs (recherche publique, universités, secteurs en devenir) pendant que les Etats (une partie d’entre eux) réduiraient leurs déficits publics.

30 novembre 2010

Pourquoi il faut écouter DSK

Dernièrement en Allemagne, à l’occasion d’une conférence réunissant les banquiers centraux, DSK s’est exprimé sur la situation économique européenne. Il a relancé le débat sur l’intégration européenne par ses propositions.

D’abord, il appelle à « créer des conditions égales pour les travailleurs européens, en particulier dans le domaine de la fiscalité du travail, systèmes de prestations sociales et la portabilité des prestations, et de la législation de protection de l’emploi ».

Ensuite, il propose de « créer une autorité budgétaire centralisée, aussi indépendante politiquement que la Banque centrale européenne ». Cette autorité fixerait les orientations budgétaires de chaque pays membre et allouerait les ressources provenant du budget central pour mieux atteindre le double objectif de stabilité et de croissance. La Commission pourrait jouer un tel rôle.

Enfin, il recommande « d’aller au-delà de l’actuel budget de l’UE, strictement limité par les traités, pour aller vers un système qui utilise des instruments plus transparents au niveau européen, comme une TVA européenne, ou une taxation et tarification du carbone ».

En gros, Dominique Strauss-Kahn propose simplement de :

1)   Parachever le marché européen de l’emploi afin de permettre une réelle mobilité des travailleurs entre Etats membres.

2)   Constituer une politique budgétaire européenne, orientant davantage les politiques nationales plus qu’elle ne les remplace,  pour mieux équilibrer la politique économique européenne.

3)   Augmenter le budget européen en le dotant de ressources fiscales propres

Bien sûr, certains en France n’ont pas manqué de voir dans ses propositions une « atteinte intolérable à la souveraineté » des Peuples et des Etats pour le seul profit des « technocrates bruxellois », signe que DSK serait « au service des financiers »… Je passe sur la logorrhée souverainiste.

J’ai toujours du mal à comprendre comment on peut contester le manque de moyens des institutions européennes voir leurs inactions face à la crise économique, et venir crier au scandale dès lors qu’on propose justement de donner à l’Europe les moyens d’agir sur l’économie ?

Les souverainistes de droite n’aiment pas l’Europe et veulent quitter l’euro, je ne partage pas leurs vues mais au moins il y a une logique dans leur refus de l’intégration. Les souverainistes de gauche font parfois mouche dans leurs critiques de l’Europe mais rejettent tout ce qui pourrait en corriger les travers.

Je n’aime pas ces eurosceptiques de gauche qui critiquent l’Europe au nom d’une Europe idéale, sans jamais se montrer capable de se projeter à cette échelle pour apporter des solutions. De l’autre côté, les européistes présentent l’Europe pour ce qu’elle n’est pas (encore) et tardent trop à en faire ce qu’elle devrait être : une fédération d’Etats-nations.

Confier la politique budgétaire communautaire (soit l’exécution du budget de l’UE et la responsabilité du maintien de la discipline budgétaire des Etats) à la Commission, ne me parait pas dénué de sens économique. Et au regard des évolutions des traités, la logique ne serait pas bureaucratique mais bel et bien politique. Le fameux traité de Lisbonne ouvra la voie à une forme de régime parlementaire à l'échelle européenne, avec un Président de la Commission et une Commission issue des élections européennes et responsable devant le Parlement.

On voit bien que les négociations actuelles sur le budget communautaire sont de plus en plus lourdes et compliquées. Elles dépendent des accords d’une part des 27 Etats membres au sein des Conseil des Ministres et du Conseil européen (Chef d’Etat et de gouvernement), et d’autre part de la Commission européenne et du Parlement européen. Et les traités actuels limitent les capacités du budget européen (1% du PIB).

Quant au Pacte de Stabilité et de Croissance et les réformes structurelles qui tiennent lieu d’harmonisation des politiques économiques des Etats membres, leur conception comme leur application finale dépend des influences politiques et économiques des Etats membres (avec des logiques sous-jacentes des gros Etats contre les petits, ceux du centre contre ceux de la périphérie, les Etats fondateurs contre les derniers arrivants etc).

Cette absence de réelle politique budgétaire communautaire contraste, en même temps qu’elle affaiblie, avec la mise en oeuvre d’une politique monétaire unique, gérée par la BCE. De fait nous avons créé une union économique et monétaire déséquilibrée. Et autant la mise en place de l’euro a assurée une convergence entre les économies des Etats-membres, autant l’incapacité à nous coordonner fiscalement et budgétairement depuis l’entrée de l’euro, tend à raviver les divergences.

Depuis longtemps les économistes rappellent qu’une zone monétaire optimale ne peut être viable qu’à la condition que les facteurs de productions (capital et travail) soient parfaitement mobiles, et qu’elle puisse faire face aux chocs asymétriques (qui à la différence des chocs symétriques n’impactent pas de la même façon tous les pays de la zone). Or pour des raisons culturelles et politiques (réglementation sociale et fiscale), le travail n’est pas mobile en Europe. Et la politique budgétaire des Etats membres n’est pas coordonnée pour faire face aux chocs asymétriques.

Cela explique autant une partie des problèmes économiques de l’Europe que sa difficulté actuelle à régler la crise de la dette publique en Grèce et en Irlande. La spéculation sur la dette publique est certainement exagérée – les Etats ont la signature la plus sûre – mais les déficiences économiques des Etats qu’elle met en lumière, sont bien antérieures à l’agitation actuelle des marchés. La spéculation joue ici autant comme élément déclencheur qu’élément d’amplification de la crise.

Bien que les marchés insistent en apparence sur le niveau de déficit et de dette publique de la Grèce, c'est bien le secteur privé qui pose problème. Et sur ce point, l'Irlande, le Portugal ou encore l’Espagne sont dans des situations bien différentes. L’Irlande et l’Espagne ont assurés cette dernière décennie, leur croissance sur un modèle qui a fini par exploser avec la crise de subprimes. La Grèce et le Portugal souffrent eux d’une spécialisation économique intra-zone qui leur est défavorable, partiellement compensé jusqu’ici par des aides structurelles communautaires et des conditions de refinancement leur autorisant quelques excès en matière de finances publiques.

A tout cela, ajoutons les effets explosifs de la politique économique de l’Allemagne et les soubresauts des monnaies internationales. L’Allemagne a le mérite de s'être spécialisée dans les secteurs à haute valeur ajoutée, ce qui favorise ses exportations, principale source de sa croissance aujourd’hui. Le hic c’est que ses performances commerciales viennent aussi d’une politique de compression des salaires, ce qui pénalise la demande interne et les autres économies de la zone. L’Europe est par ailleurs victime des chinois, qui refusent toute appréciation du yuan, et des Etats-Unis qui organise la dépréciation du dollar pour se relancer.

L’insuffisante intégration économique de la zone euro, tant l’harmonisation fiscale et sociale que la coordination des politiques budgétaires et monétaires, fragilise la zone euro. Sous la pression des marchés, l’ensemble des pays de la zone s’orientent vers des plans d’austérité non coordonnés, dont l’application aura en l’état, pour effet d’accentuer la récession et augmenter le risque de dérive de leurs dettes publiques.

En l’état actuel des choses, l’union économique et monétaire (UEM) est dans une impasse : elle ne peut pas se sauver en laissant un de ses membres quitter le club ; et elle ne survivra pas si elle n’avance pas vers plus d’’intégration économique.

Certains avancent l’idée de faire sortir de l’UEM les Etats les plus secoués par les marchés. En revenant à leur ancienne devise, ces Etats pourraient atténuer le coût de l’ajustement économique en laissant la monnaie se déprécier (baisse de valeur par rapport aux autres monnaies). Le problème c’est que le retour à l’ancienne devise a un coût économique, financier et politique pour le pays qui s’y aventurerait, sans aucune garantie des gains liés à la dépréciation (contexte internationale de guerre des monnaies). Quant à l’UEM, elle perdrait en crédibilité.

Mais de l’autre côté, vouloir sauver l’euro sans davantage d’intégration économique semble voué à l’échec à moyen terme. Cela se traduit aujourd’hui par l’adoption de fonds de stabilisation et de garantie en faveur des pays fortement exposés au risque de solvabilité, en échange d’un plan d’ajustement de grande ampleur. Or la politique d’austérité (véritable déflation organisée) n’aura pour effet que de casser la reprise actuelle (bien timide) et d’affaiblir, par des coupes budgétaires sans discernement, la croissance potentielle à moyen long terme. Ceci renforçant la dépression économique et donc les risques de faillite qu’elle était censée éviter.

Dans cette histoire, le rôle du FMI a quelque chose de paradoxal. Habituellement, il intervient auprès des Etats en situation délicate – il est alors le prêteur en dernier ressort, c'est-à-dire quand plus personne ne veut prêter aux Etats – et de fait les remèdes qu’il préconise sont douloureux. On le traite de « bourreaux des peuples ». Mais là, par la voix de son directeur général, il est en train de nous dire comment éviter de faire appel à lui. Tant que rien n’est fait dans le sens d’une plus grande intégration de la zone euro, la menace d’une (ou plusieurs) intervention(s) en urgence du FMI ne saurait être exclue…

Erratum:

Par manque de connaissances suffisantes sur le sujet, j'ai volontairement laissé de côté la question de la réforme du système financier. Je pense en revanche qu'il faut inverser la tendance actuelle (mais pas nouvelle) à la financiarisation des stratégies d'entreprises, responsables d'opérations de court terme au détriment de stratégies de long terme, précisément celles dont a besoin l'Europe pour faire face à la concurrence étrangère.

Autre précision, il va de soi que pousser la zone euro vers plus d'intégration économique passe par des réformes structurelles, susceptibles de heurter certaines sensibilités nationales.

00:10 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dsk, économie, europe