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25 novembre 2010

L'Europe à contresens

Après le G20 de Séoul, une évidence s'impose : les principales puissances économiques du monde ne réduisent ni ne régulent la sphère financière que les Etats ont laissée se constituer en surplomb de l'économie globalisée depuis trois décennies.

En 2008 et 2009, lors des sommets de Washington et de Londres, des engagements solennels avaient été pris et des pistes de travail pertinentes tracées. Mais cela a débouché sur peu d'actes concrets. Le système financier ayant été sauvé et la dépression évitée grâce à des plans de relance, l'ambition affichée par les gouvernements de réformer de façon concertée l'ensemble économique et financier mondial se perd.

D'où vient cette impuissance ? Pourquoi les Etats, qui ont sauvé le système et ont toute la légitimité pour imposer des règles en tant que représentants des peuples, se montrent-ils si hésitants à remettre les acteurs financiers à leur place normale : celle de serviteurs de l'économie ?

Les raisons sont diverses. Nombre de gouvernements sont proches des marchés financiers ou subissent l'influence de lobbyings intenses. En outre, plusieurs des grands acteurs économiques mondiaux s'accommodent du statu quo. C'est le cas des Etats-Unis, auxquels l'attractivité de Wall Street et le rôle du dollar comme monnaie de réserve procurent les facilités de l'endettement. C'est aussi valable pour la Chine, que la sous-évaluation du yuan aide à accumuler excédents commerciaux et réserves confortables. Enfin, le paradigme des marchés efficients et autorégulateurs reste très prégnant. Alors même que les dogmes du néolibéralisme ont fait faillite, l'analyse économique dominante s'y réfère toujours. Si une pensée neuve s'amorce, elle n'inspire pas encore les gouvernements.

Il ne faut pas renoncer à l'ambition de réformer le système économique et financier mondial. Instaurer une régulation globale de la sphère monétaire et financière, remettre en cause les taux de profit exorbitants exigés des entreprises par les actionnaires aux dépens des salariés est une nécessité impérieuse. Aussi sera-t-il intéressant de mesurer si, au-delà des proclamations, la présidence française du G20 saura rassembler l'Europe sur une proposition de réforme du système monétaire international, puis engager une négociation entre les différentes zones d'intégration économique.

Pourtant, même si une remise en ordre du système économique mondial s'engageait, elle prendrait du temps. En attendant, chacun comptera sur ses propres forces et devra se préparer à être dans la meilleure situation possible pour une future négociation entre les différents ensembles économiques. Et c'est là où l'Europe fait fausse route. Notre continent est en proie à une crise sournoise. Et il va l'aggraver si sont maintenues les politiques généralisées d'austérité décidées par les gouvernements pour 2011 et au-delà. Non seulement ces politiques ne sont pas appropriées à la situation, mais le diagnostic qui les a inspirées est contestable.

En effet, les plans de relance précédents comptent pour peu dans les déficits actuels. Les plans de relance de 2009 dans l'Union européenne ont été calibrés ex ante sur un surcroît de déficit de 1,1 % du produit intérieur brut (PIB) en moyenne. Or l'accroissement de déficit a été de 4,6 %, soit plus de quatre fois plus élevé. Cela veut dire que la timidité des gouvernements européens dans la relance n'a pu nous préserver d'une sévère récession. C'est la récession et non la politique de relance qui a creusé les déficits à des niveaux insolites.

Or, aujourd'hui, l'Europe fait un contresens en choisissant l'austérité. Après la première erreur d'un faible calibrage de la relance de 2009, les gouvernements l'aggravent en basculant tous en même temps dans l'austérité. Le prolongement économique durable de la crise financière résulte du manque de dynamisme de la demande privée. De nombreux acteurs doivent se désendetter, les banques sont réticentes à prêter et la stagnation des revenus et le chômage s'autoentretiennent. On se trouve devant une situation avérée d'insuffisance de la demande. Or les élites politiques au pouvoir en Europe s'enferment dans une rhétorique étrange. Elles semblent croire que l'annonce de l'austérité va agir partout comme une baguette magique sur cette entité métaphorique que sont les marchés. Toutes les contraintes sur le secteur privé disparaîtraient d'un coup. Les ménages se mettraient à consommer et les entreprises à investir, comme si la crise n'avait pas lieu. Ce n'est pas ce que nous indique l'exemple irlandais.

De fait, des travaux récents et très élaborés du Fonds monétaire international (FMI) balaient ces illusions. En étudiant soigneusement de nombreuses situations d'austérité budgétaire, le FMI montre qu'en moyenne, pour un effort d'austérité de 1 % du PIB, il y a un effet de contraction de la croissance du PIB de 0,5 % au bout de deux ans. Malheureusement, le FMI remarque aussi que nous ne sommes pas dans une situation moyenne. En Europe, les conséquences de l'austérité budgétaire risquent d'être pires pour trois raisons : tout le monde pratique cette austérité en même temps ; les taux d'intérêt, déjà faibles, ne vont guère baisser davantage ; l'euro risque de monter au lieu de fléchir, en raison de la politique monétaire des Etats-Unis.

Sur notre continent, l'impact de l'austérité pourrait donc être de 1 %, voire de 2 % selon les circonstances. Ainsi, en 2012 et 2013, la croissance européenne risque fort d'être très basse. Bien entendu, les déficits ne diminueraient pas, ou très peu, faute de rentrées fiscales, les dettes publiques grimperaient et le chômage monterait encore. Les tensions sociales s'aggraveraient et les mouvements nationalistes et populistes, déjà en hausse en Europe, pourraient bien s'en trouver renforcés.

Pour toute personne raisonnable, ce risque ne doit pas être pris. Nos politiques doivent être changées pour redresser la croissance. Il y va peut-être même de la survie de la zone euro, qui aurait sans doute bien des difficultés à surmonter une nouvelle crise simultanée des finances publiques dans les pays les plus fragiles.

Conduire une politique de croissance est donc vital pour l'Union européenne. Est-ce à dire qu'il faut être indifférent aux dérives des budgets et de la dette ? Naturellement pas. Mais, comme dans toute crise financière majeure, ses séquelles vont s'étendre sur une dizaine d'années. Les gouvernements doivent programmer un rétablissement des équilibres budgétaires sur la fin de la décennie et abandonner l'illusion absurde d'un retour rapide des dettes publiques à 60 % du PIB, alors que toutes les organisations internationales projettent un ratio dette/PIB autour de 110 % à 120 % en moyenne dans l'ensemble de l'OCDE. Le rétablissement des finances publiques ne se fera pas par l'austérité, mais par un effort de maîtrise raisonnable et un autofinancement résultant de la croissance.

Sans doute les marchés exercent-ils, par la spéculation, une pression sur les pays européens les plus fragiles. Ils poussent les agences de notation, par la dégradation de leurs notes, à renchérir le recours à l'emprunt. Les acteurs financiers retrouvent ainsi, en dépit de leurs échecs, la posture de censeurs des gouvernements qu'ils affectionnent. Aussi est-il de la responsabilité des Etats - qui les ont renfloués - de ne pas accepter leurs diktats. La solidarité de la Banque centrale européenne (BCE) et des gouvernements européens face à la spéculation contre les pays fragiles, voire l'indication - déjà donnée par l'Allemagne - qu'en cas de situation extrême il faut organiser une restructuration des dettes, pourraient servir d'utile avertissement à l'égard des marchés.

Dans la situation actuelle, la croissance dépend des politiques publiques de manière cruciale. Il faut à la fois compenser l'insuffisance de la demande privée, améliorer la compétitivité de nombreux pays d'Europe (dont la France), créer des incitations à une nouvelle vague d'investissements et trouver les moyens de la financer. Il faut agir à la fois sur les ressources et sur les dépenses, donc remodeler la structure des budgets, comme l'ont fait les Scandinaves après la grave crise bancaire de 1991-1992.

Or, l'insuffisance de la demande actuelle est la conséquence d'une évolution qui vient de loin. C'est la déformation sur plusieurs décennies de la répartition des richesses qui a conduit à la fuite dans l'endettement, à un prélèvement exorbitant de la finance sur l'économie, à des pertes massives de recettes fiscales au bénéfice des fortunes privées et à une pression systématique sur les salaires.

L'accroissement de la rémunération du travail est partout la clef du redressement de la croissance. Il est vrai qu'au niveau de chômage qui sévit en Europe, et notamment en France, il ne peut y avoir - sauf peut-être en Allemagne - des hausses significatives des salaires bruts. Mais on pourrait transférer, par une remise en ordre de la fiscalité, du pouvoir d'achat aux catégories sociales qui sont trop pauvres pour être endettées et qui consommeraient 100 % ou presque du surcroît de revenu qui leur reviendrait. Une fiscalité du capital reformée, la suppression des avantages fiscaux aux ménages à hauts revenus, une révision de la fiscalité sur l'héritage, c'est-à-dire une inversion des mesures qui n'ont eu aucune efficacité économique, mais qui ont servi des clientèles particulières, s'imposent aujourd'hui pour commencer à renverser les inégalités sociales et créer un flux de demande.

Pourtant, agir sur la demande à court terme ne suffit pas. Encore faut-il se donner les moyens, sur le terrain de l'offre, de rehausser la croissance potentielle. Cela suppose des investissements publics et des incitations au secteur privé. Deux types de ressources, l'une disponible, l'autre à créer, sont envisageables pour mener des politiques ambitieuses à l'échelle de l'Europe. Ce sont la TVA et la fiscalité carbone.

L'Union européenne doit mettre un terme au dumping fiscal, dévastateur pour elle. Manipuler la TVA pour favoriser tel ou tel secteur crée des distorsions de prix néfastes. L'idéal serait un taux de TVA uniforme, sans doute à 19,6 %. L'effet régressif doit être compensé par une progressivité accrue de l'impôt sur le revenu. L'essentiel est de créer des ressources fiscales pour lancer une politique ambitieuse d'éducation sur toute la vie, corollaire indispensable de toute réforme allongeant la vie active.

Toutefois, la réforme fiscale la plus porteuse pour la croissance potentielle est la fiscalité carbone. Une taxe carbone européenne, partant d'un niveau proche du prix du marché des droits à polluer et croissant régulièrement jusqu'à 2020, créerait une valeur sociale du carbone qui changerait le système des prix relatifs. Cela ferait évoluer la consommation et ouvrirait un espace de rentabilité pour des investissements permettant à l'Europe de maintenir son avance en ce domaine.

Le produit d'une telle taxe pourrait être partagé en trois. La première partie devrait subventionner les ménages à revenus modestes pour compenser le surcoût de la consommation. La deuxième pourrait servir à diminuer les cotisations sociales pour inciter au choix de technologies riches en emplois. La troisième serait versée au budget européen pour financer des investissements dans les innovations environnementales. Cette dernière part permettrait de capitaliser une intermédiation financière construite sur un Fonds vert européen dédié au soutien à l'innovation environnementale. Il serait ainsi possible d'émettre des obligations pour financer des investissements longs et risqués - publics ou privés - en mobilisant les investisseurs institutionnels. L'essentiel serait de créer un effet de masse suffisant pour susciter en Europe une de ces grandes vagues d'innovations sur lesquelles s'est toujours appuyé le développement économique.

Il n'est pas certain que ce type d'analyse et de propositions ait actuellement des chances d'être retenu dans l'état de crispation idéologique et de paralysie politique qui caractérise l'Europe. De même qu'il est difficile d'espérer voir celle-ci mener une politique coopérative pour la croissance.

Mais il est indispensable de lancer le débat, et ce bien au-delà des cercles gouvernementaux. Doivent avoir leur mot à dire les partis, les associations, les syndicats européens et les dirigeants d'entreprises positionnées sur le changement climatique et les questions environnementales, voire ceux des investisseurs financiers qui considèrent que l'investissement socialement responsable est porteur de rentabilité à long terme. Le modèle économique des trente dernières années - même si la France a fait quelques fois exception sous la gauche - a été caractérisé par la domination de la valeur actionnariale, l'hypertrophie de la finance spéculative, des exigences financières incompatibles avec la rentabilité des entreprises, une fiscalité favorable aux milieux privilégiés et des inégalités croissantes. C'est un tout autre modèle qui doit désormais émerger, si l'on veut tirer des leçons fécondes de la crise financière. Il doit être fondé sur un partage des revenus plus équitable, une population active mobilisée par des rémunérations décentes et à qui on offre les possibilités de renouveler ses capacités au cours de sa vie, une croissance fondée sur le respect des équilibres naturels.

Pour unir les forces de la société civile autour de ce nouveau pacte social, il faut une pensée politique s'incarnant dans des programmes au plan national et capable de faire bouger la gouvernance de l'Europe pour peser au niveau international. Donner à l'analyse économique de la nouvelle période une expression politique capable de rassembler pourrait être la tâche centrale d'une social-démocratie réformée.

Michel Aglietta, économiste 

Lionel Jospin, ancien Premier Ministre

00:05 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jospin, économie, europe

20 novembre 2010

Michel Rocard - France Info - Novembre 2010


Michel Rocard - Parlons Net du 19 novembre 2010
envoyé par FranceInfo. - L'actualité du moment en vidéo.

Je découvre ce matin, grâce à notre ami Aiglon, cet entretien de Michel Rocard sur France Info à l'occasion de la sortie de son dernier livre Si ça vous amuse. Chroniques de mes faits et méfaits.

C'est toujours avec plaisir que j'écoute cet homme qui, du haut de ses quatre-vingts ans, surclasse bien des hommes politiques aujourd'hui en activité, par la profondeur et la richesse de ses réflexions.

Interrogé par des journalistes très professionnels pendant près de cinquante minutes, Rocard a eu tout le loisir de s'exprimer sur les rapports média-politique, l'Europe et la crise, l'Otan, la Turquie, le réchauffement climatique, la guerre en Afghanistan, le remaniement ministériel et l'affaire Karachi.

Il constitue à mes yeux une certaine boussole politique, non que je me positionne en fonction de ses différentes prises de positions - que je ne partage pas toujours, l'homme a ses faiblesses et le tempo politique et médiatique rend difficile un recul - par rapport à la pensée social-démocrate qu'il défend. Il fait oeuvre de pédagogie lorsqu'il théorise l'action publique et la conduite des réformes.

Pour toute personne qui aspire, quelque soit l'échellon, à gouverner les hommes et à administrer les choses, l'expérience et la parole de Rocard constitue une vraie source d'inspiration. Ou en tout cas, cela ne laisse pas indifférent.

15:33 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : rocard, média, europe

13 juin 2009

Retour sur les résultats des européennes 2009

Me voilà de retour après cinq jours en déplacement à Pau. Bien qu’un peu épuisé par des journées de travail assez longues – obligation de finir le chantier pour aujourd’hui – je suis content de m’être déconnecté du net quelques jours et surtout, d’avoir pu changer totalement d’environnement après trois semaines de relatif farniente à la maison. Toutefois, ces vacances – au sens premier du terme – ne m’ont pas empêché de penser un peu aux résultats des élections européennes du weekend dernier.

L’enjeu majeur de ces élections, en tout cas tel que je l’ai appréhendé en tant que citoyen, était de savoir quelle majorité politique nous souhaitions, pour les cinq ans à venir, au Parlement européen (PE). Concrètement, le scrutin européen consistait à choisir entre la reconduction des conservateurs (rassemblés au sein du Parti populaire européen), adeptes de la non-intervention de la puissance publique dans l’économie et réticents à l’approfondissement de la construction politique de l’Europe, et les forces de gauche, avec en tête les socialistes européens. Ces derniers, pour la première fois depuis l’élection du PE au suffrage universel, ont proposés un texte commun-programme, le Manifesto, pour un véritable changement en Europe.

Les urnes ont parlées. L’abstention est la grande gagnante de cette élection (en qualité d’assesseur le jour du vote, j’ai bien vu que les gens de ma commune ne se bousculaient pas pour voter), les européennes ne passionnant décidément pas les peuples européens, même ceux qui « profitent le plus » de l’Union européenne. Mais sur le plan électoral, la droite reste majoritaire au PE et gagne même des sièges. Les libéraux (ADLE) et les Verts progressent un peu. Les grands perdants restent les socialistes. En France le PS, loin derrière l’UMP et talonné par Europe-Ecologie, enregistre un de ses plus mauvais résultats électoraux. Il perd la moitié de ses élus par rapport à 2004. Je dois avouer que je n’imaginais pas qu’on pourrait tomber si bas. Cela dit je ne m’attendais à pas un grand score non plus.

Après le temps de la déception, vient le temps de l’analyse, de la compréhension de ce résultat. Il faudra bien en tirer des leçons pour l’avenir. Au niveau du résultat européen, je retiens trois facteurs pouvant expliquer le mauvais score du PSE. D’abord la mauvaise image des partis socialistes/sociaux-démocrates dans les « nouveaux » entrants, où le socialisme est encore assimilé au communisme soviétique (j’ai pu le vérifier en parlant politique avec mes amies polonaises). Ensuite, le nombre de sièges par pays étant accordé selon le critère démographique, la défaite (ou stagnation) des socialistes dans les « grands pays » (Allemagne, France, Italie, Grande-Bretagne, Espagne, Pologne) entraine une baisse automatique sur le nombre total d’élus socialistes au PE. Enfin, malgré une crise économique et financière qui réhabilite les idées de régulation et du rôle de la puissance publique dans l’économie, thèmes chers aux socialistes, ces derniers ne parviennent pas à se faire entendre et à se démarquer suffisamment de la droite, quand ils ne sont pas désignés comme coresponsables de la dite crise pour leur gestion de l’économie dans les années quatre vingt dix.

Le faible score du Parti socialiste français peut s’expliquer par au moins cinq raisons. Ces raisons n’ont pas le même poids : certains facteurs sont structurelles, d’autres conjoncturelles, certains sont prédominants quand d’autres sont marginales.

Il y a d’abord ce que j’appelle l’effet balancier : lorsqu’un des grands partis recueille le plus de sièges à une élection, il lui est difficile d’égaler et encore plus d’augmenter son résultat à la prochaine élection. Du coup, il part « perdant » et il y a comme un effet de balance qui joue en faveur de son concurrent. C’est ce qui est arrivé à la droite aux municipales l’année dernière par rapport au très bon score de 2001. C’est ce qui est arrivé au PS aux européennes et c’est ce qui l’attend vraisemblablement demain aux régionales.

La désunion des socialistes peut être une deuxième raison de cette défaite. Le congrès de Reims en novembre dernier n’a pas permis de réaliser la synthèse – que tous les acteurs condamnaient – ou de dégager une majorité franche, le parti étant grosso-modo coupé en quatre forces à peu près égales. L’élection du Premier secrétaire n’a pas davantage aidé à la clarification puisque la victoire de Martine Aubry sur Ségolène Royal s’est jouée à quelques voix. Un si faible écart de voix et l’arbitrage de la commission de recollement, dont la composition est basé sur le score des motions, n’a pas donné une légitimité suffisante à Martine Aubry. Les accusations mutuelles et publiques de tricheries et les menaces, elles aussi publiques, d’action judiciaire ont porté un coup à la crédibilité politique et électorale du PS. La composition de la direction du PS n’a pas reflété le poids obtenu par chaque motion à Reims alors qu’en l’absence de majorité, c’était la solution la moins mauvaise. Pendent près de six mois, quelque soit le travail et la position du PS, il s’est toujours trouvé un socialiste pour venir dans les média en faire la critique : Rebsamen vis-à-vis du contre plan de relance, Lang vis-à-vis de la loi d’Hadopi, Collomb ou Peillon vis-à-vis du déroulement de la campagne des européennes… Durant cette campagne, certain(e)s militants ont fait le service minimum, quand d'autres étaient aux abonnés absents. Comment peut-on avancer dans ces conditions ?

Troisièmement, la campagne socialiste a connu des ratés. L’organisation des meetings manquait de préparation. Pour ne prendre qu’un exemple, le meeting de lancement de campagne à Toulouse a été décidé à peine trois semaines avant, et les tracts à distribuer à cet effet ont été livrés à la fédé quasiment la veille ! Seuls deux tracts nationaux (à ma connaissance du moins) ont été prévus pour toute la campagne avec un message insuffisamment mobilisateur. L’appel au vote sanction (à Sarkozy et à Barrosso) ne constitue pas un vote positif (« en faveur de ») et porteur d’espoir, mais un vote par défaut. Outre que la logique était reprise par d’autres partis, elle ramenait la campagne à une dimension trop nationale. Toutefois, lorsqu’on voit les satisfecit de la droite le soir des résultats (« Tout le monde dit I love you à Sarkozy » selon Karoutchi, « un soutien aux réformes du gouvernement » pour d’autres), on peut se demander si ce n’était pas pertinent au regard des principes. Il me semble que le PS a insuffisamment mis en valeur le Manifesto et ses propositions pour les 100 jours à venir. Enfin, il s’avère que le bulletin de vote pour les listes PS n’était si facilement identifiable.

Par ailleurs, je pense que les socialistes français ont payés la fracture européenne du référendum de 2005 (ouiste et noniste) et l’adoption du traité de Lisbonne par voie parlementaire en 2007. Certes, le camp du non de gauche en 2005 (une partie du PS, le PC, la LCR, LO, MDC, altermondialistes), qu’il est difficile d’identifier aujourd’hui tant la configuration politique a changé, n’a pas recueillis autant de voix qu’on ne l’aurai cru (Front de gauche, LCR, LO), mais le départ de Mélenchon de la famille socialiste a sans doute contribué à éloigner quelques voix – à mon avis les plus politisés – du vote socialiste. Quant à l’adoption du traité de Lisbonne par le Parlement français, il est considéré comme une confiscation de la démocratie. Pourtant Sarkozy avait été clair sur le sujet pendant les présidentielles : il négocierait un mini-traité par voie intergouvernementale (sans passer par la case comité paneuropéen et non politique comme ce fut pour le TCE) et le ferait adopter par voie parlementaire. Le PS, qui n’en a pas été l’initiateur et n’avait pas son mot à dire quant au choix du mode d’adoption, ne pouvait pas faire grand-chose de plus.

Enfin, malgré l’élaboration et la proposition d’un texte-programme commun à tous les partis socialistes, sociaux-démocrates et travaillistes européens, la campagne des socialistes européens, déclinée et adaptée à chaque pays et culture nationale, a cruellement manqué de coordination. Alors que l’élection du Parlement européen devrait mettre en valeur un intérêt général européen, chaque parti semble rester sur la défense du statut quo européen (co-gestion entre le PSE et le PPE) et la logique de ses intérêts nationaux (en particulier lorsque le parti est au gouvernement). Les socialistes européens avaient beau appeler à changer la majorité du PE et à une nouvelle composition de la Commission, ils ont été incapables de s’accorder sur le nom d’une personnalité alternative à celle de Barrosso. Pire ! Les socialistes espagnols et portugais, les travaillistes anglais et les sociaux-démocrates allemands ont soutenu plus ou moins ouvertement la candidature de Barrosso : les Portugais par solidarité nationale ; les Espagnols pour conserver deux puissantes commissions (sauver la place à Joaquim Almunia et à Javier Solana) et préparer la présidence espagnole de l’UE prévue de janvier à juillet 2010 ; les Anglais pour s’assurer que la Commission ne viendra pas réglementer la finance européenne dont la City est la pierre angulaire et le moteur de la croissance britannique ; les Allemands enfin, pour s’assurer une répartition à peu près égale des postes européens revenant à l’Allemagne entre la CDU et le SPD qui forment actuellement un gouvernement de coalition. Sans doute que le PS français a eu tord de focaliser sa campagne sur la personne de Barrosso mais avec des alliés pareils, il est difficile de croire en une alternative politique.

Et maintenant ? J’ai beau ne pas être très optimiste sur l’avenir du PS comme force alternative au sarkozysme, je ne participerai pas à l’autoflagelation ambiante, exercice qu’affectionnent certains camarades, ni à l’écriture de scénario de politique-fiction de ceux qu’on appelle encore aujourd’hui, « journalistes ». Ceux qui au PS croient qu’il faut un nouveau congrès ou qu’avec une autre personnalité à sa tête on aurait fait mieux, n’ont visiblement rien compris. Royal sans les hommes et femmes fortes du PS, qu’elle a volontairement écarté par rejet de la « jospinie », n’a pas pu gagner en 2007, Aubry et les autres n’ont pas pu gagner davantage les européennes sans Royal et ses amies. De mon expérience militante locale, j’ai appris qu’on ne peut pas fonctionner en écartant les uns et les autres selon sa convenance personnelle. L’Unité et la solidarité militante est la condition première d’un retour des socialistes. Mais l’ambiance est tellement pourrie qu’elle semble compromise, voir improbable. Le retour des socialistes ne peut passer que par un vrai travail de refondation – organisationnelle et programmatique – du plus vieux parti de France. Mais le verbe n’est pas l’action, et on attend du PS qu’il fasse ce travail et cesse de rester dans l’incantatoire (« y’a qu’à », « faut qu’on »).

Garder son esprit critique sur son propre parti est nécessaire, n’avoir que la critique à l’esprit est par contre suicidaire d’un point de vue collectif. L’ambiance nationale et locale font que je ne suis pas certain de rester militant socialiste encore très longtemps. On verra…

06 juin 2009

Pour l'Europe

 

Felipe_Gonzalez.jpg

Tribune de Felipe González,

ancien Président du Gouvernement espagnol,

en vue des élections européennes.


(version originale ici)


J’ai toujours pensé que le destin de l’Espagne était de s’intégrer à ce qu’aujourd’hui, suite au Traité que nous avons négociés il y a 20 ans de cela, nous appelons l’Union Européenne. J’étais et je suis un européen européiste, une chose qui transcende certaines positions idéologiques déterminées, mais qui imprègne l’immense majorité du courant social-démocrate européen. Européens nous le sommes tous, mais européistes nous le sommes moins, il semble même qu’on le soit chaque fois moins.


Nous autres espagnols, sommes européens avec les mêmes droits et devoirs que les autres composants de l’Union depuis le 1er janvier 1986, lorsque nous avons intégrés la Communauté européenne. A l’intérieur de notre pays, l’élan intégrateur fut très grand, même s’il semble qu’il nous quitte lorsque nous en avons le plus besoin.


Les européistes sont les européens qui croient en l’Union européenne comme espace public partagé par les pays membres. Quelque chose de plus, encore que c’est déjà important, qu’un espace de marché unique ou qu’une monnaie commune. C’est ce qui nous permet d’avancer vers une forme de citoyenneté partagée, compatible avec celle de chaque Etat-nation.


Si cela fut, lorsque nous luttions pour cesser d’être les sujets d’une dictature qui nous éloignait du destin commun de l’Europe des libertés et de la justice sociale, cela devrait l’être encore plus aujourd’hui, contre les courants des nationalismes conservateurs et anti-européens qui paraissent dominer la scène, en freinant la constructions d’une Europe capable d’affronter, unie, les grands défis de la mondialisation.


C’est pour cela que le compromis d’alors, qui m’amena à lutter pour briser les barrières qui nous séparaient et à être l’un des plus actifs dans la construction d’une Europe plus intégrée, plus solidaire, plus politique, plus significative pour ses citoyens et pour le monde, s’est renforcé aujourd’hui face à la crise et à la récession mondiale que nous sommes en train de vivre. Il s’est renforcé depuis la connaissance rationnelle des défis globaux auxquels nous nous confrontons. Avec l’Europe nous pouvons faire des choses très importantes, sans elle, nous serions insignifiants dans le contexte mondial. Cela vaut pour nous mais aussi pour les autres pays de l’Union, qu’ils soient grands, moyens ou petits.


C’est pour cela que je participe à la campagne électorale pour le Parlement Européen, en expliquant son importance, biaisée par (un griterio) vide de sens, chargée de lieux communs et de démagogies locales.


On continue de voir l’Europe comme quelques chose d’étranger et d’éloigné, et non comme une chose nous appartenant, et qui conditionne notre destin, pour le meilleur lorsque se font les choses qui doivent se faire, ou pour le pire, lorsqu’on renonce à utiliser l’unique grand instrument que nous disposons pour faire face à la crise financière globale, à la récession mondiale, ou aux défis comme l’énergie et le changement climatique, comme le passage d’une société industrielle à une société basé sur la connaissance à laquelle il faudra adapter notre cohésion sociale. Ou encore pour affronter des problèmes et des besoins comme la régulation des flux migratoires. Ou enfin pour affronter le défi de la criminalité organisée et du terrorisme international.


Domine aujourd’hui la nouvelle de la faillite de General Motors, icône nord-américain et mondial de l’industrie la plus représentative de l’ère industrielle. Nous voyons sa répercussion européenne et nous assistons à ce phénomène comme à quelque chose qui nous affecte, mais sans le mettre en relation aux élections du 7 juin, avec les possibilités et les difficultés de l’Europe. Comment peut on garder cette cécité localo-locale dans le débat ? Des milliers d’emplois sont en jeu, le futur d’une industrie, qui avec d’autres, ont été l’essence du modèle européen de développement et de bien être social comme puissance industrielle. Ici nous discutons des mesures d’aide du Gouvernement et nous dispersons, dans certaines Communautés autonomes, l’effort nécessaire. Il devrait être européen, mais nous ne le concevons même pas comme un effort national. Quelle absurde conception des problèmes !


A l’exemple de sa voisine américaine, l’industrie automobile européenne devra s’interroger sur sa capacité à faire face à la concurrence sur la scène mondiale, sinon les aides resteront du pain pour aujourd’hui en attendant la faim du lendemain, à la charge du contribuable. Ce n’est pas un défi auquel l’Espagne peut faire face en tant que pays. Ni la France, ni l’Allemagne, ni l’Italie. Il faut que l’Europe s’en occupe, comme tentent de le faire les Etats-Unis. De la même manière, il lui revient d’appréhender la crise financière et les normes de contrôle du système et des entités. Il doit y avoir un cadre régulateur européen, pour des entités qui travaillent dans toute l’Europe, et dans le monde. Par ailleurs, il faut négocier ce cadre de régulation avec les autres : les Etats-Unis, le Japon, la Chine, le Brésil, le Mexique etc. Dans le cas contraire, à peine sortie de cette crise, nous serons en trains de préparer la suivante.


L’Europe dépend des énergies fossiles dans un pourcentage voisin à celui des Etats-Unis et a contribué au changement climatique en raison de l’usage et de la consommation de ces dernières. Est-il possible de rester chaque pays de son coté, au moment d’élaborer une stratégie énergétique qui soit respectée, qui induise un nouveau modèle de production et de consommation, qui nous donne un avantage dans la lutte contre le changement climatique ?


Nous pourrions continuer avec tout type de problème, de défis que nous avons à affronter mais nous nous croiserions toujours l’espace européen comme une nécessité pour articuler les stratégies à succès : migrations, sécurité, politique extérieure…


Le Parlement européen co-légifère pour nous tous dans les 70% des normes qui nous affectent. Son pouvoir budgétaire et législatif va augmenter. Nous devons décider si les majorités qui les intègrent seront en faveur de l’Union européenne avec des objectifs qui conditionne notre future, ou en seront opposés, avec des politiques moins européennes et plus nationalistes.


Le vote pèse pour orienter la sortie de crise, pour atteindre un Parlement capable de faire des propositions de dialogue social, économique et politique qui nous rapprochent des accords dont nous avons besoins dans les domaines que j’ai déjà mentionné. Quel domage que nous ne soyons pas capable de créer une conscience citoyenne pour que tout le monde ait envie de voter. Et décider du destin de l’Europe qui est le notre !

04 juin 2009

Un programme, une majorité et un candidat pour changer l’Europe

 

 

Déclaration par des personnalités de la famille socialiste et social-démocrate

 

La crise en cours a ouvert une période de choix historiques. Ceci peut conduire soit à une dépression avec chômage en masse nouée avec un repli économique et politique, soit à une opportunité unique de faire émerger un nouveau model de croissance avec plus de justice sociale et développement durable noué avec la réforme de l’ordre internationale.

 

Les socialistes et les social-démocrates ont une responsabilité centrale en face de ces choix historiques. C’est à eux de présenter des proposions pour cette transformation. C’est à eux de lutter par le leadership au niveau national, Européen et international.

 

C’est pourquoi les prochaines élections européennes sont particulièrement décisives. Les socialistes et les social-démocrates ont été déjà capables de présenter un plan pour dépasser cette crise qui définit une vraie alternative et qui montre pourquoi une solution durable exige une Europe plus forte, capable d’éviter le chômage en masse, de coordonner la relance économique, de réformer le système financier, de promouvoir la croissance verte et intelligente et d’émerger comme un vrai acteur mondial dans la réforme de l’ordre mondial.

 

L’alternative socialiste et social-démocrate est claire. Il faut maintenant la traduire dans les meilleurs résultats électoraux, visant à renforcer la présence des socialistes et des social-démocrates dans les institutions européennes, pas seulement dans le Parlement Européen mais aussi dans la Commission et dans le Conseil.

 

Le parti populaire européen (PPE) a déjà soutenu son candidat officiel pour la Présidence de la Commission Européenne. C’est avec expectative que les socialistes et les social-démocrates et beaucoup d’autres progressistes attendent un candidat provenant du Parti Socialiste Européen, le seul parti européen qui peut présenter une vraie alternative à la direction européenne par le PPE. Dans la situation économique et politique présente, il est possible de faire émerger une nouvelle majorité dans le Parlement Européen, créant une réelle opportunité pour un candidat du Parti Socialiste Européen.

 

C’est avec ce propos que nous dirigeons cet appel aux socialistes et social-democrates, sur la base de notre responsabilité historique commune, pour que ce nouveau pas fondamental soit entrepris.

 

Felipe GONZÁLEZ, ancien premier-ministre de l’Espagne

Lionel JOSPIN, ancien premier-ministre de la France

Paavo LIPPONEN, ancien premier-ministre de la Finlande

Aleksander KWASNIEWSKI, ancien président de la république de la Pologne

Gerard SCHROEDER, ancien premier-ministre de l’Allemagne

Constantino SIMITIS, ancien premier-ministre de la Grèce

Mário SOARES, ancien président de la république et premier-ministre du Portugal

Franz VRANITZKY, ancien premier-ministre de l’Autriche

 

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Hier soir a eu lieu le dernier meeting de campagne de la liste socialiste du Grand Sud, conduite par Kader Arif. Mentor politique mais surtout ami de longue date de ce dernier, Lionel Jospin était présent et a tenu à s'exprimer. Depuis son retrait en 2002, la parole du dernier Premier Ministre socialiste de l'histoire de France - et on espère qu'il y en aura d'autres - s'est faite plutot rare. C'est donc avec plaisir et une attention particulière que les militants l'ont écouté hier soir. Avec sa voix forte et qui porte, et son style bien à lui, il a  mis de l'ambiance dans la salle. Il a surtout fait une très intéressante critique du lynchage médiatique que subit le Parti socialiste actuellement. Ses propos viennent conforter ma réflexion récente sur la dérive des média français et la nécessité pour la Gauche de se mobiliser. Il a enfin appelé à voter massivement pour les listes socialistes en France et en Europe. Gageons que sa parole soit entendue.