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17 juillet 2011

La prospérité du vice

Daniel Cohen est professeur à l’Ecole Normale Supérieure et à l’Ecole d’Economie de Paris. Il a écrit de nombreux ouvrages de vulgarisation sur l’économie et la mondialisation. La prospérité du vice est sortie en 2009. Lorsqu’un camarade de section m’a prêté le livre il y a quelques mois, j’ai cru au départ à un n-ième ouvrage sur la crise des subprimes. Or si le sujet est traité, on était alors en plein plan de relance, l’essai dépasse largement la question pour faire une histoire de l’économie.

Le titre du livre fait référence à la Fable des abeilles de Bernard de Mandeville, dont la morale postule que les vices privés font les vertus publiques. L’envie, le gaspillage, l’ostentation et les inégalités sont placés au cœur d’une dynamique de circulation des richesses, que des comportements plus moraux et altruistes défont. On est loin de la thèse de Max Weber, pour qui l’ascétisme et l’éthique protestante, par la constitution d’un stock d’épargne qu’ils favorisent, seraient à l’origine du capitalisme.

L’ouvrage se veut une « introduction (inquiète) à l’économie », entendue ici non comme la discipline « scientifique » qu’on enseigne dans les facultés, mais comme la manière dont une société s’organise pour produire, distribuer, échanger et consommer de la richesse (définition toute personnelle qui m’a valu la moquerie d’un jury de concours). Si l’auteur introduit quelques auteurs classiques de la pensée économique, c’est pour mieux analyser l’histoire du développement de l’Occident.

L’économie née avec l’humanité qui se sédentarise, que l’anthropologie explique (je simplifie) par les changements climatiques, la création d’outils et l’agriculture. Le progrès scientifique et technologique est déterminant dans le développement des civilisations. L’empire romain, fondé sur l’esclavage et la bureaucratie, illustre le cas d’une civilisation dont l’absence d’innovation explique le déclin. La Chine, pourtant en avance technologiquement sur l’Occident, a déclinée en se refermant sur elle-même.

L’histoire économique montre l’importance des conditions institutionnelles et sociales du développement, la prééminence du conflit sur la pacification et l’exploitation des opportunités de croissance possible parce que géographiquement contenue. La croissance européenne s’est largement fondée sur une spécialisation internationale qui a reporté sur d’autres continents la contrainte de production agricole et bénéficié de l’exploitation de ressources énergétiques non renouvelables.

Loin de servir la pacification des relations internationales, l’enrichissement des États a nourri des ambitions de puissance. Les crises militaires coïncident avec les phases de haute conjoncture et non avec celles de basses pressions comme le suggère la thèse de la compétition pour les ressources rares. Les périodes de crises se sont historiquement traduites par une tendance au repli que seule la seconde guerre mondiale semble contredire.

Dans un chapitre consacré aux « conséquences économiques de la paix », l’auteur analyse l’impact du traité de Versailles de 1918 sur l’Allemagne économique et politique. L’esprit revanchard des Français a brisé la reprise économique allemande et miné la République de Weimar. La crise de 1929 a fait le reste. Je n’ai pu m’empêcher de faire un rapprochement avec la situation de certains pays européens avec les plans d’ajustement qu’on leur impose.

De la même façon, lorsque Daniel Cohen revient sur la crise de 1929, on ne peut être que frappé par la similarité de ses causes avec celles de la crise des subprimes (crises immobilières, financières, économiques), et à un moindre degré, l’homme n’a pas tout oublié des leçons de l’histoire, par les ressemblances des réactions politiques et des institutions monétaires.

La période de forte croissance continue des Trente glorieuses est expliqué par l’amélioration des capacités de pilotage de l’économie par les autorités publiques, traumatisés par les années trente, et à la diffusion des idées keynésiennes. Mais ces dernières n’ont cependant pu s’appliquer avec efficacité qu’en raison d’un important différentiel de croissance et de gains de productivité entre l’Europe et les États-Unis. Le ralentissement des années 70 correspond à l’achèvement du rattrapage.

La fin des Trente glorieuses a mis en lumière l’addiction de nos sociétés pour la croissance, afin de financer nos systèmes sociaux ou satisfaire des aspirations au bonheur individuel. Pour Daniel Cohen, le sentiment de satisfaction est d’avantage lié à la dynamique de l’amélioration des conditions de vie qu’au niveau effectivement atteint. Quant aux dépenses collectives, dont l’évolution dépend des besoins collectifs consolidés, leur dynamique tient plus des acteurs qui les mettent en œuvre que de l’Etat, qui tend plutôt à les réfréner.

Avec l’arrivée des pays émergents (Chine, Inde, Brésil) et l’acceptation, progressive, des limites écologiques de notre modèle de développement, nous sommes amener à repenser toute l’économie. Celle-ci ne doit pas être réduite à un ensemble de contraintes auxquelles l’humanité doit s’adapter, au risque de replonger dans la logique malthusienne. Redonner de la valeur au capital humain et s’appuyer sur la production immatérielle (peu consommatrice de ressources, coût de duplication très faible) est une des pistes avancées par Daniel Cohen.

24 juin 2011

L’esprit de Philadelphie

L’esprit de Philadelphie, la justice sociale face au marché total est un essai d'Alain Supiot, publié en 2010. Alain Supiot est directeur de l’Institut d’études avancées de Nantes et membre de l’Institut universitaire de France. Il écrit souvent pour la revue Droit Social, sur laquelle j’ai travaillé un peu pour préparer le concours d’inspecteur du travail.

L’esprit de Philadelphie renvoie à la Déclaration internationale des droits à vocation universelle, signée en mai 1944, portant sur les buts et les objectifs de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Ce texte, qui proclame des principes « pleinement applicables à tous les peuples du monde (…) dont devrait s’inspirer la politique de ses membres », fait de la justice sociale la pierre angulaire du nouvel ordre juridique international.

Or la globalisation économique, et l’idéologie néolibérale qu’elle diffuse, est venue casser l’œuvre normative de l’après-guerre. La libre-circulation des capitaux et des marchandises se substitue désormais à l’objectif de justice sociale. L’homme, traité comme du capital humain, est aujourd’hui mis au service de l’économie, elle-même indexée sur les exigences de la finance.

La récente crise économique et financière a révélé un système en faillite. Face au marché total, dont l’origine et la logique sont expliqué dans la première partie du livre, Alain Supiot propose de renouer avec l’esprit de la Déclaration de Philadelphie, autrement dit, remettre la justice sociale au cœur du système. C’est le cœur de la deuxième partie de l’essai.

Les fondamentaux de l’esprit de Philadelphie.

Ni révélés par un texte sacré, ni découverts dans l’observation de la nature, les principes de la Déclaration sont affirmés par l’homme. Cette affirmation s’exprime sous la forme d’un acte de foi.

Cet acte de foi procède de l’expérience, celle des guerres mondiales et des atrocités commises sur la personne humaine, qui a montré la nécessité de protéger les droits de l’homme par un régime de Droit.

Cette expérience ayant montré les effets mortifères de la réification de l’être humain, la « dignité humaine constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ».

Le principe de dignité oblige à lier les impératifs de liberté et de sécurité. L’ordre juridique doit contribuer à « instaurer de meilleurs conditions de vie dans une liberté plus grande » : d’où le respect du travail, les libertés collectives, la solidarité.

Le lien entre liberté de l’esprit et sécurité du corps conduit à subordonner l’organisation économique au principe de justice sociale (i.e le progrès matériel et le  développement spirituel dans la liberté, la dignité, la sécurité économique)

Le grand retournement.

Selon Supiot, l’esprit de Philadelphie a cédé la place à son exact contraire, sous la double influence de la contre-révolution conservatrice anglo-américaine (Thatcher et Reagan) et de la conversion des pays communistes à l’économie de marché, après l’effondrement de l’URSS.

Hayek, un des fondateurs de la pensée néolibérale, critiquait les textes inspirés de l’esprit de Philadelphie. Pour lui, les droits économiques et sociaux consacrés par la Déclaration universelle de 1948 « ne pourraient être traduits dans des lois contraignantes sans du même coup détruire l’ordre de liberté auquel tendent les droits civils traditionnels ». Dès lors, il recommandait de mettre « l’ordre spontané du marché à l’abri du pouvoir des urnes ».

En abandonnant l’économie politique au profit des sciences économiques, on a fait de l’économie une idéologie scientiste. Les principes néolibéraux (l’infaillibilité du Marché, les bienfaits de la concurrence généralisée, la privatisation des services publics, la dérèglementation du travail, la libre circulation des capitaux et des marchandises) constituent une sorte de religion officielle.

Avec l’effondrement des régimes de l’Est, on assiste à l’apparition d’une économie communiste de marché, empruntant à l’ultralibéralisme la mise en concurrence de tous contre tous, la libre circulation des capitaux et des marchandises, la maximisation des utilités individuelles, et au communisme « la démocratie limitée », l’instrumentalisation du Droit, l’obsession de la quantification, et la déconnexion du sort des dirigeants et des dirigés.

La contre-révolution néolibérale entraine la privatisation de l’Etat social. La définition des droits de chacun n’a plus besoin de se référer à un principe de justice qui les transcende mais qui procède seulement du jeu de leurs différences et de leurs oppositions. Toute imposition d’une règle extérieure aux individus est désormais perçue comme un mal. Or cette déconstruction fait perdre au Droit social sa capacité de rendre les citoyens solidaires.

Cependant la privatisation de l’Etat social ne conduit pas à faire disparaitre les droits sociaux mais elle en concentre le bénéfice sur ceux qui en ont le moins besoin. C’est l’effet Matthieu. Cette privatisation touche la fonction publique (introduction du nouveau management public, développement du pantouflage) et le droit du travail et de l’emploi (simplification des règles de licenciement etc).

Mais contrairement à la foi naïve des adorateurs du Marché, le démantèlement des droits nationaux ne permet pas l’avènement de l’ordre spontané du Marché. En revanche, il conduit surtout à saper les bases institutionnelles des marchés (soit la diversité des dispositifs juridiques instituant différents types de marchés).

Là où la Déclaration de Philadelphie envisageait les règles commerciales comme un moyen dont l’efficacité devait être apprécié au regard des objectifs de justice social assignés aux Etats, l’Accord OMC voit disparaitre toute hiérarchisation des moyens et des fins. Le démentiellement des frontières commerciales est posée comme une fin en soi, rendant inutile toute évaluation de ses effets.

Le marché total conduit à un darwinisme normatif, soit la mise en concurrence des ordres juridiques nationaux. La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) est l’instrument de ce darwinisme normatif au niveau européen (elle a consacré le droit pour une entreprise d’éluder les règles de l’Etat où elle exerce toutes ses activités, tout en s’immatriculant dans un autre Etat où les règles sont moins contraignantes). En produisant chaque année un rapport évaluant les droits nationaux à l’aune de l’efficacité économique, la Banque Mondiale fait de même au niveau international.

En faisant de la compétition le seul principe d’organisation du monde, Supiot juge qu’on remet en cause l’une des rares certitudes de la « science du Droit » : « c’est parce que l’égoïsme, la cupidité, la lutte pour la survie sont présents dans le monde tel qu’il est qu’ils doivent être contenus et canalisés par une référence commune à un monde tel qu’il doit être ».

Le marché total se matérialise enfin par la gouvernance par les nombres. Alors que le gouvernement par la loi repose sur l’exercice de la faculté de jugement et d’interprétation des textes, la gouvernance par les nombres, qui vise l’autorégulation des sociétés humaines, repose sur la faculté de calcul, de programmation des comportements.

Or la statistique économique et sociale ne mesure pas une réalité qui lui préexisterait mais construit une réalité nouvelle en tenant pour équivalents des êtres et des forces hétérogènes. La gouvernance par les nombres repose sur la croyance dans la réalité des objets que les catégories statistiques sont censées représenter et sur l’oubli des conventions d’équivalence qui ont présidé à leur construction.

L’actualité de la justice sociale.

Supiot rappelle que pour pouvoir fonctionner convenablement, les marchés doivent s’inscrire dans un monde institutionnel à trois dimensions, où les rapports entre les opérateurs économiques se trouvent placés sous l’égide d’une instance tierce, garante de la loyauté de leurs échanges. En l’absence d’un tel garant, le contrat ne signifie rien d’autre que la loi du plus fort.

Ce monde institutionnel délimite l’espace marchand. Or la dérèglementation des marchés (notamment financiers) et la mise en concurrence des législations sociales et environnementales sont venues saper les bases institutionnelles du Marché. Supiot en conclu que la crise financière actuelle est d’abord une crise du Droit. Et pour retrouver l’esprit de Philadelphie, l’auteur nous enjoint à retrouver le sens des limites, de la mesure, de l’action, de la responsabilité et de la solidarité.

L’effacement des frontières affaiblie la capacité des Etats de faire régner un régime de droit sur leur territoire. Cela favorise la prolifération des paradis fiscaux et sociaux et sape les bases des solidarités nationales. L’argent devient le critère indiscutable de distribution des places et toute différence qualitative entre les personnes ou entre les choses.

Dans un monde géré comme un ensemble de ressources quantifiable, l’égalité ne peut être pensée autrement que comme une indifférenciation et la différence comme une discrimination. Politiquement, cela se traduit par le démantèlement des statuts professionnels et des services publics par la droite néolibérale, et par le démantèlement des statuts civils et familiaux par la gauche sociétale, et en réaction, par la montée du nationalisme et du communautarisme.

L’urgence, nous dit Supiot, est de replacer l’économie de marché sur des bases institutionnelles solides, qui mettent en concurrence les entreprises et pas les systèmes juridiques. C’est par le Droit qu’il convient d’élargir ou de restreindre le libre-échange, ou encore de tracer des limites aux pouvoirs des actionnaires (redéfinition du droit des sociétés).

Pour retrouver le sens de la mesure, il faut replacer le sort des hommes au cœur du système d’évaluation des performances économiques. L’objectif normatif doit être la justice sociale. Mais les conditions de sa mise en œuvre effective doit dépendre des engagements contractuels des Etats avec les institutions financières internationales, et en concertation avec les organisations représentatives des travailleurs.

Retrouver une capacité d’action suppose de donner aux travailleurs des moyens concrets d’exercer leur liberté d’agir. Il faut pouvoir convertir les rapports de force en rapports de droit. Pour ce faire, le droit du travail doit nécessairement reposer sur un trépied juridique constitué par l’organisation, l’action et la négociation collective.

La responsabilité implique une relation entre un responsable, un demandeur, et un tiers (juge ou arbitre). Or avec la libre circulation des marchandises et des capitaux, il n’est plus évident d’identifier les vrais opérateurs économiques, à l’origine d’une catastrophe industrielle par exemple. Le sens de la responsabilité implique que l’identification du responsable doit pouvoir s’opérer en remontant la filière de production et de distribution d’un produit et en organisant la traçabilité des produits.

Enfin, le propre de la solidarité est d’instituer au sein d’une collectivité humaine un pot commun dans lequel chacun doit verser selon ses capacités, et puiser selon ses besoins. Supiot propose (entre autre) d’installer le principe de solidarité au cœur des règles internationales du commerce et de mettre fin à la concurrence fiscale et sociale au sein de l’UE.

*

A mes yeux, l’intérêt principal de l’ouvrage est d’analyser la mondialisation sous un angle plus juridique, alors qu’on traite souvent le sujet sous l’angle économique. Supiot offre un regard épistémologique sur la science économique et une critique intéressante sur le rôle supposé/attribué à la norme juridique.

Lors de mes études du droit du travail, j’ai été frappé par la multiplicité des sources (à savoir conventions internationales, droit communautaire, loi, règlement, accords et conventions collectives etc) et plus encore de la possibilité offerte aux entreprises de déroger à certaines règles par accord collective.

Or étant candidat (malheureux) à quelques concours de la fonction publique auprès de ministères chargés d’assurer, par l’application du droit (social, douanier, financier), une certaine équité entre les acteurs, je me suis alors demandé comment l’Etat pouvait garantir l’effectivité de la concurrence.

Supiot m’a finalement aidé à mettre un nom sur ce phénomène (la concurrence des normes juridiques), et à comprendre la logique qui va avec. Et j’en suis arrivé à la conclusion que le néolibéralisme était moins la mise en en concurrence des hommes que la constitution de marchés oligopolistiques. Autrement dit, loin de chercher à constituer un marché unique, on produit des marchés fragmentés, dérégulés (donc hors de portée du contrôle des Etat), avec la domination de quelques firmes.

08:30 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : économie, capitalisme

01 mai 2011

Le travail en mutation

Aujourd’hui 1er Mai, c’est la Fête du Travail et des Travailleurs. Difficile de célébrer ce jour quand on sait le nombre de personnes privés de travail en France, en Europe et dans le monde, du fait de la crise surtout mais pas seulement. Pourtant le travail occupe une place centrale dans nos vies de manière générale et dans notre système économique en particulier.

Au niveau individuel, de manière schématique, on peut dire que chacun y consacre 8 heures par jour, 5 à 6 jours par semaine, 47 semaines par an, 42 années de sa vie. Sans minimiser l’importance et le temps consacré à la vie familiale et sociale, la vie professionnelle domine le quotidien.

Le travail procure à celui qui en a une identité et un statut social. On noue beaucoup de relations via le monde du travail. On nous défini généralement par notre travail plus que par nos traits personnels. Le travail fournit des revenus qui, à travers des modes de consommation qu’ils permettent, nous situent dans la hiérarchie sociale.

Sachant tout ceci, se retrouver en situation de demandeur d’emploi de longue durée ou allocataire prolongé de minima sociaux est un drame humain et social. C’est le problème de l’image qu’on a de soi et celle que nous renvois les autres, si prompts à coller des étiquettes. Les autres, les polytraumatisés (il n’y a là rien de péjoratif dans mon esprit), ne se posent peut être plus ces questions.

Mais si être exclu du marché de l’emploi est un drame social, et il doit être vu comme tel collectivement, le fait d’être pourvu d’un travail ne met personne à l’abri aujourd’hui d’autres difficultés. Je pense à la question des travailleurs pauvres mais aussi au mal-être au travail. L’actualité récente nous a livré quelques exemples tragiques de salariés mettant fin à leurs jours à cause de leur travail.

Les mutations de l’économie survenues au début des années soixante-dix expliquent en grande partie l’émergence et la résistance du chômage. L’essoufflement du modèle de régulation keynésien-fordiste, la quasi-satisfaction de le demande en biens d’équipements et autres biens courants, le progrès technique (automatisation puis informatique), la tertiarisation, ont fait basculé l’économie dans le sous-emploi.

Aujourd’hui, on produit autant, en moins de temps, et avec de moins en moins de mains-d’œuvre. Le développement des services et la concurrence internationale ont contribués à la fragmentation du temps de travail (le just in time, le toyotisme) et à externaliser de nombreuses opérations jusqu’ici assurées par les entreprises-mères. D’où la sous-traitance (parfois en cascade), l’intérim et le temps partiel etc.

L’individualisation des rapports sociaux (et donc professionnels) est un phénomène économique (fruit de la tertiarisation, désindustrialisation, et externalisation) et social (consumérisme différencié, stratégies face au chômage, augmentation du niveau éducatif), placé au cœur des nouveaux modes de managements. La financiarisation des stratégies d’entreprises (obligation de performance et de rentabilité) vient accroitre la pression sur le salariat.

Avec l’essor du management « participatif » (le cadre va fixer lui-même ses objectifs, développement des primes d’intéressements ou aux résultats, on parle de collaborateurs) et des NTIC (internet, e-commerce, e-travail), on a voulu (nous faire) croire que le fonctionnement en réseau effaçait toute hiérarchie, toute relation de pouvoirs et toute divergence d’intérêts.

Or toute relation de travail est fondée sur un pouvoir de négociation inégal et des intérêts divergents, que l’intérêt de l’entreprise commande de rapprocher, et que seule l’intelligence de chacun facilitera. Dans ces relations difficiles, non dénués de tensions et d’une certaine violence plus ou moins policée, c’est tout le rôle du droit du travail que de définir le cadre de régulation de ces rapports sociaux particuliers.

18 septembre 2010

Petite révolution cubaine

Ces dernières semaines, quelques dépêches concernant Cuba laissent apparaitre les changements qui touchent le régime et l’économie castriste, en place depuis 1959, initiés par Raul Castro depuis son arrivé en 2008.

Face aux difficultés économiques et financières que traverse l’île depuis 1991 (au moins) et aux pressions politiques autant internes (contestations) qu’internationales (blocus américaine, pression européenne), Raul Castro a lancé quelques timides réformes.

Citons parmi celles-ci, la distribution de certaines terres agricoles aux paysans, l’abandon de l’égalitarisme salarial, l’assouplissement des règles de circulation des cubains vers l’étranger, la possibilité d’accéder à internet et autres produits de consommation (ordinateurs, scooters), et la libération de prisonniers politiques.

Et là, après avoir lu Fidel Castro admettre dans un entretien que le modèle cubain ne marchait même pas pour ses habitants (avant toutefois de se rétracter), on apprend que le régime entend licencier 500 000 fonctionnaires (sur 5 millions) et développer le secteur privé (occupant actuellement 590 000 personnes).

Si on peut supposer que la réforme sera progressive et limitée, cela reste tout de même un symbole : un des derniers bastions communistes au monde prépare sa conversion à l’économie de marché. J’entends déjà quelques néolibéraux bien suffisants clamer la victoire définitive du capitalisme, amalgamant au passage « économie administrée » et « gestion socialiste de l’économie de marché ».

La survie du régime castriste presque 20 ans après la fin de l’URSS, qui lui apportait une aide financière et matérielle conséquente, malgré un embargo économique des Etats-Unis qui lui prive l’accès à biens des ressources, relève pourtant de l’exploit. Je me demande d’ailleurs si des économistes et des sociologues ont déjà pensé à étudier cette « économie de la débrouille », ces stratégies d’adaptations et de survie.

Reste aujourd’hui à savoir si ces réformes économiques traduisent un début, même embryonnaire, de transition politique ou une simple fuite en avant de la part des responsables cubains.

En sciences politiques, on admet au moins trois modèles de transition politique :

-      Une transition de rupture, regroupant les opposants radicaux et modérés d’un régime donné. C’est le cas du Portugal en 1975 ou de Cuba en 1959.

-      Une transition négociée, menée par l’opposition modérée et les réformateurs du vieux régime. C’est le cas de la Transition espagnole, pactée par l'ex franquiste Adolf Suarez et les socialistes alors mené par Felipe Gonzalez.

-      Une transition contrôlée, aux seules mains de réformateurs du régime qui doivent ménager les « durs » du régime. C’est le cas du Chili vers la fin de l'ère Pinochet.

Pour l’instant, Raul Castro semble plus s’inspirer de Deng Xiaoping, le dirigeant chinois qui a ouvert la Chine à l’économie de marché, que de Gorbatchev, qui lui avait tenté de réformer économiquement et politiquement l’URSS. On peut tout à fait imaginer, à moyen et long terme, un régime cubain économiquement libéral et politiquement autoritaire. Et je suis persuadé qu’une telle situation recevrait l’appui des autorités américaines. L’inconnu resterait alors le rôle de la communauté cubaine en Amérique.

ERRATUM: un site intéressant sur la situation cubaine vu par les opposants du régime (dont les socialistes démocratiques), par contre c'est qu'en espagnol. http://partidoarcoprogresista.org/fr/

16 août 2010

La crise du capitalisme en images

Trouvé sur le blog d'Abadinte