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22 octobre 2007

Les mémoires d'Alfonso Guerra

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(Alfonso Guerra)

 

Lors de mon séjour académique en Espagne, j’ai assisté à une conférence sur le processus d’élaboration de la constitution lors de la transition espagnole, avec comme invité de marque : Alfonso Guerra.

 

 

Je suppose que le nom du personnage ne vous dit rien. Je vous rassure le jour de la conférence, j’étais dans la même situation que vous. En fait, ce monsieur est socialiste espagnol et à ce titre, il a joué un rôle important dans la reconstruction du PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) pendant la dictature jusqu’aux premières élections démocratiques. Mais il a aussi joué un rôle dans la construction du consensus politique nécessaire à la rédaction de la Constitution espagnole de 1977. Par la suite, de 1982 jusqu’à 1991, il a été vice-président du gouvernement espagnol, alors dirigé par Felipe Gonzalez.

 

 

Je pourrai faire un billet uniquement sur le thème de la transition espagnole, et l’événement est important et riches d’enseignement, mais je préfère aborder les mémoires politiques qu’a rédigé ce personnage atypique, et que j’ai eu plaisir à lire cet été.

 

 

L’exercice des mémoires politiques, d’autobiographie, est un exercice délicat. Tant pour celui qui l’écrit que pour celui qui les lit. L’auteur y restitue des événements, des ressentis, un vécu avec finalement le ressenti du temps présent et la sélection inconsciente et consciente qu’effectue notre mémoire. Le lecteur, encore plus lorsqu’il s’agit de mémoires politiques, a de son côté une connaissance personnelle (son propre vécu et sa propre perception/interprétation) et collective (ce qu’on a pu lui apprendre de cette période), des événements qui sont narrés dans les mémoires écrites de l’homme politique. Les autobiographies/mémoires politiques sont donc des points de vues, jamais vraiment objectifs mais pas non plus sciemment réécrits. Mais après tout le lecteur n'est jamais objectif dans ce type de lecture, on s'y lance avec des a priori, on en ressort pas indeme non plus.

 

 

Les mémoires politiques d’Alfonso Guerra sont regroupés en deux tomes : Cuando el tiempo nos alcanza et Dejando atrás los vientos. Traduit en français cela donne : « Quand le temps nous rattrape » et « En laissant derrière nous le vent/la tempête ». C’est une traduction littérale. J’ai souhaité les lires parce que l’auteur m’avait fait bonne impression lors de cette conférence avec son franc parler et ses convictions ; mais aussi pour comprendre un peu l’histoire du PSOE et de l’Espagne.

 

 

Le premier livre couvre la période de 1940 à 1982, c'est-à-dire une période qui va de l’année de naissance d’Alfonso Guerra jusqu’à la victoire du PSOE aux élections générales espagnoles. Il relate alors son enfance, il est le dixième d’une famille andalouse assez pauvre. Il aborde ses premiers rapports à l’amour et à la politique (son père est un républicain socialiste). Il raconte ses premières journées d’écoles, chez les religieuses, sachant déjà lire et écrire, on le fait passer les classes. Il sera un brillant étudiant, passionné de littératures espagnoles (1) et de théâtre, il consacre plusieurs chapitres tout au long des deux tomes, à des auteurs espagnols ou sud-américains. Il fait des études d’ingénieurs pour faire plaisir à ses proches.

 

 

Il consacre la seconde partie de son livre à son passage au socialisme et en politique. Ce qui est fondamental dans le parcours de cet homme, c’est qu’il rentre en politique (pas le métier politique qui n’a pas de sens dans une dictature surtout pas lorsqu’on est un opposant à celle-ci) par le biais de la culture. C’est parce que la dictature franquiste/fasciste interdit la lecture d’œuvres jugées subversives, et qu’il est soumis à cette censure dans le cadre du théâtre qu’il pratique, qu’il entre en politique. Et s’il rejette le communisme, très présent symboliquement et numériquement en Espagne d’alors, c’est aussi parce qu’on y interdit la lecture d’auteurs étrangers à la ligne du Parti.

 

 

Il rapporte ensuite sa rencontre avec des membres du PSOE clandestin (je rappelle qu’il est interdit en Espagne), sa lecture d’auteurs socialistes espagnols (dont Pablo Iglesia, père fondateur du PSOE) et étrangers, la mise en place d’une organisation de militants actifs. C’est alors qu’il rencontre Felipe Gonzales avec qui il se lie d’une solide amitié, que seule la pratique du pouvoir (au gouvernement donc) détériorera.

 

 

Sous la menace permanente du contrôle policier répressif de la dictature, il participe à la rencontre et à la fusion de plusieurs groupes socialistes jusqu’ici isolés partout en Espagne, en une entité le « PSOE de l’Intérieur » en référence (et en contraste) au PSOE officiel en exil en France, réfugié à Toulouse (2).

 

 

Il entretient justement des contacts conflictuels avec la direction du PSOE en exil, parce qu’il y a une différence de génération, parce qu’elle est surveillé par la police franquiste, parce qu’elle est enfermée dans ses luttes internes. Les « vieux » dirigeants de l’exil semblent se méfier du travail et surtout de l’influence de ces jeunes dirigeants de l’intérieur. Ce sera au travers du soutient apporté par les partis de l’Internationale Socialiste (avec en tête Willy Brandt) que les jeunes socialistes de l’intérieur gagneront la légitimité de diriger le PSOE. Je crois que c’est par un meeting en France, que les représentants du PSOE réunifié désigneront Felipe Gonzalez secrétaire général du parti.

 

 

Au travers des chapitres, les années passants, le contrôle répressif de la dictature se relâche. Le dictateur vieillissant, le système et le régime se préparent à sa succession et aux changements. Le PSOE bien qu’illégal est toléré. Franco meurt, Juan Carlos accède au trône. Adolfo Suarez succède à Arrias Navarro, et engage les réformes politiques et le processus de transition. Les premières élections générales ont lieux en 1977, Alfonso Guerra prend en charge la campagne du PSOE qui obtient 118 sièges. Il raconte à l’occasion de petites anecdotes sur le déroulement des élections, forcément le peuple espagnol n’ayant pas voté depuis 41 ans, les gourdes se multiplient.

 

 

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(Felipe Gonzalez en meeting)

 

Il explique aussi le Congrès du PSOE de 1979 par lequel le parti se convertit au réformisme. J’aborde cet épisode à l’adresse des socialistes français. Tout a commencé par une interview à quelques jours du Congrès, de Felipe Gonzalez dans le journal El Pais. Felipe annonce le souhait que son parti abandonne les références marxistes. Du coup les socialistes s’agitent et le Congrès tourne vite autour de la question d’une ligne « marxiste » ou « pas marxiste ». La ligne non marxiste est défendue par Joaquim Almunia, la ligne marxiste par Peces-Barba et une partie des socialistes de la direction de l’exil. Le vote tombe, le Congrès vote la ligne marxiste. Felipe Gonzalez démissionne donc, à la surprise générale des militants et représentants qui souhaitait garder le charismatique « Felipe ». Une nouvelle direction se forme mais on annonce un Congrès extraordinaire. C’est au cours de celui-ci que le PSOE adopte une résolution fourre tout dans lequel il garde le marxisme comme référence historique tout en n’en faisant pas une grille de lecture première, ce qui permet à Felipe Gonzalez d’être re-désigné secrétaire général. Alfonso Guerra penchait pour la ligne non-marxiste mais n'en faisait pas une affaire de priorité. Il juge en tout cas que cette crise a été salutaire pour la suite du PSOE, notamment lorsque celui ci accède au pouvoir.

 

Après la tentative de coup d’Etat de février 1981 par le lieutenant-colonel Terejo, épisode au quel Alfonso Guerra consacre un très long chapitre mêlant vécu et analyse a posteriori, les élections générales du 28 octobre 1982 donnent la majorité absolue au PSOE.

 

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(Alfonso Guerra et Felipe Gonzalez en 1982)

 

 

Lors d'un Congrès du PSOE à Paris, bien avant 1982, François Mitterrand appelle les socialistes espagnols à prendre en compte le fait qu'ils seront amenés à prendre le pouvoir, que le thématique du pouvoir ne sera pas pour la génération suivante, mais bien pour celle-ci. Alfonso Guerra refuse de se projeter dans cette optique là, et ce n'est que sur l'insistance de Felipe Gonzales, qu'il accepte d'entrer au gouvernement comme vice-président (en quelque sorte, premier ministre bis). Il y restera jusqu'en 1991.

 

 

Cette période des responsabilités c'est l'objet du second tome.

 

 

On saisit mal les charges qui incombent au vice-président du gouvernement à part celui de remplaçant du président du gouvernement lorsque celui-ci part en déplacement. De fait, Alfonso Guerra jouit d'une grande liberté d'action avec une administration qui compte une dizaine de personne tout au plus. Cela n'empeche pas le vice-président d'agir.

 

 

Il raconte alors comment il a eu à gérer une prise d'otage de ressortissants espagnols en Algérie, ou comment il a eu à traiter avec l'Eglise pour la pacification des relations Etat-Eglise. Il explique comment avec Felipe Gonzales ils arrivent à imposer l'autorité sur les forces Armée et à gagner leur respect (lors de l'enterrement d'une officier). Il explique aussi qu'il a contribué à renforcer la coopération anti-terroriste entre la France et l'Espagne suite à une conversation avec Lionel Jospin, Premier Secrétaire du PS français. Il aborde également les difficiles négotiations avec les Etats-Unis pour la rénovation des accords militaires USA-Espagne.

 

 

En matière d'affaires étrangères, il apporte son témoignage sur la révolution au Nicaragua, sur le régime castriste, sur l'évolution et la décadence de l'URSS (lorsqu'il est invité à cérémonie pour la mort de Brejnev), sur les changements opérés en Chine (il rencontre Deng Xiaping). Il semble s'être lié d'amitié avec Gorbatchev, le président de la République italienne ou encore Oskar Lanfontaine.

 

 

Le reste du livre est centré sur la pratique, l'exercice du pouvoir et ce qu'il faut endurer. C'est marrant de voir qu'Alfonso Guerra pense et propose plusieurs fois sa démission qui est toujours refusé par le président du gouvernement. Pour lui le pouvoir a été une sorte de sacrifice, puisqu'il a du délaissé ses enfants pour assurer les responsabilités et répondre à la confiance que les gens lui ont témoigné.

 

 

On voit que dès l'arrivé aux pouvoirs des socialistes espagnols, des tensions apparaissent au sein du gouvernement. Tensions entre les ministres en charges des affaires économiques et les ministres en charges des affaires sociales, j'ai envie de dire, tensio classique entre les ministres qui tiennent la bourse et les ministres de dépenses. Mais au delà, c'est une fracture qui apparait entre les tenants d'une ligne plus social-démocrate et les tenants d'une ligne social-libéral. Pour certains, en France notamment, social-démocrate et social-libéral c'est la même chose, mais je pense que c'est pas vraiment le cas. Les tensions vont jusqu'à créer une crise ministérielle lorsque le ministre de l'économie (Boyer) devant les média, se permet de distribuer les bons points aux différents ministres avec comme ambition d'être nommer vice-président. Ce qu'il ne sera pas. L'auteur raconte alors comment il s'est efforcé de rassurer un certain nombre de ministres parmis lesquels Solchaga, qui deviendra plus tard l'ennemi déclaré de Guerra.

 

 

Il est aussi question des critiques qu'il a du supporter de la part de la droite (parti populaire alors dirigé par le franquiste Fraga) mais surtout des média qui ne cessent de vilipender toute action de sa part avec des procédés par toujours déontologiques (interviews tronqués ou orientés). Et étant donné qu'il y revient souvent, on comprend que c'est quelque chose qui l'a profondément blessé. Les média n'ont cessé d'avoir une relation ambigue à son égard puisqu'ils le persecutent en même temps qu'ils le solicitent, sans succès, pour un interview ou une prestation télévisée très souvent assurée de succès dans l'audimètre. A mon avis, son franc parler et surtout sa grande ironie y sont pour beaucoup.

 

 

Une série de chapitres sont consacrés à deux évenements majeurs, du moins qui me semblent l'être, à savoir: le divorce entre le syndicat socialiste UGT (Union Générale des Travailleurs) et le PSOE/Gouvernement d'une part, et le réferendum sur l'OTAN d'autre part. Alfonso Guerra raconte comment le comportement de certains ministres vis à vis des syndicats ET la concurrence que souffrait UGT de la part de Comisiones Obreras (CCOO), l'autre grand syndicat, ont tué l'union syndicat-parti. Une union qui date des origines du syndicat en 1888, fondé par Pablo Iglesias (le PSOE lui étant créée en 1879). Concernant l'OTAN, il faut comprendre que le PSOE a promis en 1982 un réferendum concernant le maintient ou non de l'Espagne dans l'organisation transatlantique, avec quand même un penchant pour le non. Or pour le referendum de 1986, les socialistes se retrouvent les seuls à défendre le OUI contre les communistes et la droite qui prône l'abstention.

 

 

Alfonso Guerra se présente un peu comme l'ingénieur du consensus au sein du PSOE comme au sein du gouvernement. Il essaye toujours, dans les respect de la hierarchie qu'il s'impose face à Felipe Gonzales, seul détenteur selon lui de la légitimité des urnes, de calmer les tensions internes entre les ministres ou dans les affaires du PSOE, ce qui assurément renforce cette idée qu'il en est le maitre tout puissant. Mais il comprend bien lors de la préparation de l'Expo de 1992 à Séville ou bien lors de l'élaboration du Programme 2000 en 1990, qu'il est contesté par une partie des socialistes de la ligne social-libérale. Les relations avec Felipe Gonzales se dégradent, ce dernier semblant se rapprocher de la ligne des "rénovateurs". Le Congrès de 1991 symbolise la guerre ouverte entre ce que les média appellent les "guerristas" (partisants de Guerra) et les "renovadores" (rénovateurs/ réformateurs/ modernisateurs). Les "guerristas" gagnent le Congrès mais Alfonso Guerra, suite à une lettre très personnelle de Felipe Gonzalez, décide de quitter le gouvernement pour se consacrer au Parti. Pour la petite histoire, c'est au cours du Congrès de 1994 que les "renovadores" l'emportent sur les "guerristas".

 

Ainsi s'achève les mémoires politiques d'Alfonso Guerra. Peut être écrira-t-il ce qu'il a fait depuis dans un 3eme tome... Je pense que ça en vaudrait la peine.

 

 

* * *

 

Depuis que j'ai achevé la lecture de ces mémoires politiques, j'avais en tête de rédiger une note la dessus. Là voilà donc. Elle est longue car très détaillé. J'aurai pu être plus précis dans les anecdotes ou les positions de l'auteur en ce qui concerne les privatisations/nationalisations, le socialisme au XXIème siècle, sur les nationalismes en Espagne, sur ce qu'il pense de l'action du gouvernement auquel il a appartenu... mais pour des non espagnols, ça n'a peut être pas tellement d'intérêt.

 

 

Je vous avoue avoir vraiment aimé ces deux livres. Le style de l’auteur, sa franchise, son ironie parfois, m'ont plu. Ces deux livres me paraissent être un formidable témoignage de 50 années d’histoire espagnole, avec l’évolution de la société espagnole qui va avec et l'évolution d'un parti qui passe de la clandestinité aux responsabilités politiques pendant 14 ans. C'est aussi une leçon de vie et une leçon de politique.

 

Pour finir je donnerai mon humble et naive opinion: le socialisme espagnol, avec tous ses défauts, a beaucoup apporté à l'Espagne en l'espace de 30 ans de démocraties.

 

Ils ont consolidés la démocratie espagnole,

Ils ont mis en place un welfare state inexistant auparavent,

Ils ont restructurer l'économie espagnole à l'aide des subventions européennes,

Ils ont fait entrer l'Espagne dans l'Europe et ont contribués, surtout dans les années 80, à renforcer l'Europe,

Ils ont symbolisé le retour de l'Espagne sur la scène internationale à travers l'euroméditerranée et la politique latinoaméricaine.

 

 

(1) Je l'aborde peu hélàs dans mon propos mais j'ai une mémoire des noms catastrophique, mais j'insiste, la culture et la littérature sont très présent chez cet homme.

(2) C’est pour ça que pendant longtemps le PS français et le PSOE ont eut des liens très forts, et ça a joué dans les années 80. C'est beaucoup moins vrai aujourd’hui, c’est une autre génération aussi.

10 septembre 2007

Colère, indignation, impuissance et culpabilité

Bonsoir...

Etrange titre que celui ci. Je ne vois pas d'autres mots pour décrire ce que je ressens en ce moment. C'est une expérience qui n'est pas à mon honneur, aussi je demande clémence dans votre jugement...

*

Juste avant la rentré universitaire en semaine prochain, j'entame ma dernière semaine de boulot de peintre. Alors que je m'étais levé dans l'idée d'aller reprendre le chantier de l'immeuble en constructions dans ma petite ville (c'est assez rare d'avoir un chantier aussi près), mon oncle-patron nous envois dans une toute autre direction, pour une toute autre besogne...

Besogne est un bien joli mot, un travail ingrat voir célérat conviendrait mieux... parce que voyez vous, il m'a été demandé d'enlever les affaires d'une femme qui venait de se faire expulser vendredi.

Je peux vous dire qu'allez chez quelqu'un, quand bien même elle n'y est pas, et toucher à ces affaires pour les lui foutre dehors (dans le cas précis dans un lieux à l'abri des regards en attendant le jugement) c'est dûr.

La première fois, c'était il y a une semaine, dans le même immeuble mais pour un autre appartement. Nous avions repeins tout l'appartement qui était vide à l'origine (c'est à dire quand nous avons commencé les travaux) et il nous avait été demandé d'aller vider la cave.

Dans cette cave, on trouvait, si vous me permettez l'expression, à boire et à manger. Une vieille paire de ski usée et inutilisable, quelques jouets (des morceaux d'une dinette, quelques voitures miniatures), des meubles (une table), des vieux accessoires (un balladeur, une radio, un velo etc) des habits, et des livres.

Nous étions 4 pour vider la cave, tout embarquer dans la fougonette et aller le jeter à la déchetterie. Nous avons fait la chaine pour aller plus vite. J'étais celui qui amenait, au grand jour en pleine rue et devant les regards des passants, les affaires jusqu'à mon collègue qui les rangeait dans le fourgon. J'ai honte à le dire, mais si scrupules il y a eu, cela concernait les livres. Ils étaient sales, un peu abimé (certains beaucoup), plutôt anciens, pas forcément les grands classiques de la littérature. De mémoire, il y avait un Pagnol, et quelques ouvrages d'enseignements plutôt anciens... et j'ai reconnu Le Tunnel, un roman que j'avais lu il y a longtemps, sur un français dans un camp de travail nazi en Yougoslavie.

Je les ais amenés d'un pas lent, je prennais connaissance de titres d'un regard furtif.... enfin peut être pas si furtif que ça puisque les choses s'entassaient à la sortie de la cave, preuve que je prenais du retard. Un papy est arrivé et a fouillait les livres, ce qui m'a sciemment fait ralentir. Après tout, 2,3 livres de sauvés, c'était toujours ça.

En regardant tous ces livres je suis tombé sur La Rose et le Noir de Catherine Nay. Le livre m'a tappé dans l'oeil parce qu'il y avait Mitterrand sur la première page de couverture. Mais après réflexions et après lecture rapidos du bouquin, j'ai estimé qu'il n'en valait pas la peine. Je m'attendais à une critique du Mitterrandisme or le livre s'arrête en 1984...

Toujours est-il que lorsqu'il m'a fallu les jetter à la déchetterie, c'est la mort dans l'âme et les "yeux interieurs" fermés que je l'ai fait.

* *

Aujourd'hui, c'était différent car nous avons pénétré dans un appartement meublé, chargé d'affaires en toute sorte, et donc quelque part chargé de vie, d'une vie. Quel étrange paradoxe: un appartement inhabité mais chargé de vie !

C'était en réalité un tout petit studio, au 7ème étage d'une tour, avec une pièce qui faisait chambre-salon-cuisine et à côté, une petite salle de bain.

Lorsque je suis entré dans le studio la première fois, ça a été un petit choc. La première chose qui frappe c'est l'odeur. Celle de la poubelle qu'on a oublié de sortir et qui reste là pendant des jours, celle du renfermé et des chats aussi.

La seconde chose qui m'a marqué c'est l'état pitoyable du studio. Il y avait des graffitis partout, quelques signes anarchistes ici ou là, des petits bouts de message que s'écrivaient les occupants (la locataire et ses amis) entre eux, des phrases un brin philosophique... J'ai retenu "Ne sous-estimez pas le poids de la mauvaise conscience lorsque vous nous mettrez dehors", "Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie" et un "tu sautes, je saute".

Les murs étaient très noir, surement du à l'effet du tabac. Il y avait beaucoup de poster (un poster de Brassens, Ferre et Brel ensemble notamment), de cartes postales accrochés dessus. En dessous de la fenêtre, le radiateur avait disparu et une plaque de placo a été détruite par des coups de pieds. Idem à un autre endroit, le placo a été bouzillé. Le volet en pvc qu'on fait descendre avait un trou caché par du schoch. Le pire doit être la porte de la salle de bain avec un énorme gros trou au milieu... en fait il ne restait que les bords de la porte.

Côté mobilier forcément, vu la petitesse du studio, il n'y avait que le minimum. Un matela à même le sol servait de lit et de canapé. Il y avait 2 meubles étagères dans un état tel qu'on se demandait comment ça tenait, et où s'entassait au choix, des fringues (plein de poils de chats), des bouteilles (vides) et autres bibelots. Un petit frigo servait de coffre fort, où la dame rangait des K7 de musiques, des piles. Dans la salle de bain, une chose m'a surpris. La douche servait d'entrepos de malletes et de litière de chat, ce qui me donne à penser que la dame ne se lavait pas.

C'est dans une colère froide, le dégoût et un brin de peur que je me suis mis à bosser, après m'être mis des gants. Il nous aurait surtout fallu un masque, je n'ai pas pu avaler ma salive de toute la matinée. Et en rentrant pour manger, je me suis pris un douche, comme pour me laver psychologiquement de ce que je ressentais.

- Colère froide pour le fait qu'on puisse nous donner ce type de travail de merde, je dirai même un putain de mauvais cadeau. Pourquoi c'était à nous de nous occuper de cela, de participer à cette expulsion... ? à ce sytème...

- Dégoût parce que vous l'aurez compris le studio c'était une vrai merde et l'odeur ne nous facilitait pas la tâche.

- Peur parce que la femme pouvait très bien revenir et que c'était une violente. A l'entrée de l'immeuble, elle a fortement abîmée la vitre de la porte d'entrée, je vous parle même pas de la porte de la cave. Elle était craint dans l'immeuble. Il va de soit que si elle s'était manifesté, elle ne nous aurait pas fait des embrassades... comment vous réagiriez vous en voyant qu'on sort vos affaires ?

Nous avons tous mis dans des cartons et nous avons tout descendu, non sans difficulté vu le petit ascenceur qui y avait.

Ne pouvant emporter les chats, ni les fouttre dehors (ils vivaient entre le studio et le toi de l'immeuble), nous nous sommes assurés qu'ils auraient de quoi boire et manger. Ils cherchaient toujours à rentrer et rester très pereux à notre égard. L'un d'eux m'a fait peur lorsque j'ai vidé l'étagère des fringues... il s'y était caché et lorsque j'ai vu une tête de chat, j'ai crié! Benh ouais...

* * *

Je vous cache pas que je reste un peu sous le choc de cette histoire.

J'ai du mal à comprendre un certain nombre de choses...

Cette femme d'abord, alcoolique et violente apparament, sans travail, sans hygiène non plus, qui ne payait pas le loyer. Une "vie" à part, plus centrée sur ses chats et ses amis qu'autre chose.

D'où vient-elle ? Pourquoi vivait-elle ainsi ? Que lui est-il arrivé ?

Ce système enfin...

Un homme (le propriétaire) concentre (via un accord) sur un immeuble presque, seulement des "cas-sociaux" comme on les appelle, et qui assume les coûts (les loyers impayés et les réparations, les problèmes... et on y retourne souvent) à sa seule charge... il n'est pas le plus à pleindre certes.

Et ces gens qu'on parque dans ces immeubles sans qu'on ne fasse rien d'autre que leur donner les minima... et qu'on expulse un jour...

Etrange monde...