Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27 mai 2012

Une nouvelle présidence

hollande, économie, élections, europe, espagne, aubry, moscovici


Le 6 Mai.

Quelques jours avant le vote du second tour, je disais à des amis que le score des deux finalistes serait plus serré qu’on ne le pense. Puis, à la vue des derniers sondages et des premières estimations publiés à l’étranger le jour J en fin d’après midi, je m’étais mis à espérer une victoire plus nette de François Hollande. Le résultat est net mais on voit bien que la France reste un pays ancré à droite.

J’ai passé une partie de la journée au bureau de vote. Une fois le résultat annoncé au 20h, mon secrétaire de section a invité quelques camarades à venir boire le champagne chez lui. J’ai lu beaucoup de joie et de soulagement sur les visages ce soir là. Beaucoup de mes camarades avaient en mémoire le soir du 10 Mai 1981 et désespéraient de ne pas revivre cela.

L’investiture.

Grand rituel républicain que la passation des pouvoirs entre le président sortant et le nouvel élu. Ce dernier est décoré Grand Maitre de la Légion d’Honneur, puis « adoubé » par le Président du Conseil Constitutionnel, garant du bon déroulement de l’élection présidentielle, qui rappelle les résultats définitifs du scrutin et les obligations constitutionnelles du nouveau président.

Le nouveau président fait son premier discours devant un parterre de parlementaires, de droite et de gauche, accompagné par les présidents des deux chambres du Parlement. Vingt et un coups de canon, jadis annonçant la mort du Roi, symbolise l’entrée en fonction du nouvel élu, 7ème président sous la Vème République et 24ème président toute République confondue.

Le choix du Premier Ministre.

Le choix du Premier Ministre dépend souvent du contexte politique dans lequel s’inscrit l’élection présidentielle, parfois de la nature des relations entre le Président et celui qu’il veut nommer à Matignon. Giscard avait nommé Chirac pour le remercier de son soutien en 1974, Mitterrand avait nommé Rocard en 1988 parce qu’il représentait le mieux l’ouverture etc.

Jean-Marc Ayrault, Martine Aubry, Manuel Valls ou Pierre Moscovici étaient pressentis pour occuper le poste de Premier Ministre. Au regard du message de rassemblement porté par Hollande durant la campagne et du score plutôt resserré du second tour, le choix d’Ayrault était sans doute le meilleur. Aubry est trop clivante, Moscovici trop techno et Valls trop « bleu ».

Le gouvernement Ayrault 1.

Le lendemain de sa nomination, Jean-Marc Ayrault a présenté la composition de son premier gouvernement qui sera en fonction jusqu’aux élections législatives au moins, puisqu’il est de coutume que le Premier Ministre présente sa démission au Président après le renouvellement de la chambre basse du Parlement.

Conformément aux engagements du candidat Hollande, le gouvernement Ayrault est paritaire (une première en France), représentatif de la diversité (« les minorités visibles »), avec des jeunes et des moins jeunes, et un équilibre subtil entre des gens « expérimentés » (Moscovici, Sapin, Fabius etc.) et le nécessaire renouvellement des têtes.

Comme promis la rémunération des ministres et du Président a été réduite de 30% et chaque ministre doit signer et s’engager à respecter une Charte de déontologie, visant à écarter les conflits d’intérêts. On pourra regretter un gouvernement un peu « pléthorique » avec des Ministres délégués qui auraient pu être de simples Secrétaires d’Etat et des répartitions de compétences et dénominations ministérielles un peu surprenante (redressement productif, la réussite éducative etc.)

L’Europe.

Habituellement, les commentateurs politiques (éditorialistes, journalistes, experts) regrettent de voir les questions européennes et internationales si peu présentes dans la campagne présidentielle. Sans être au cœur du débat présidentiel, l’Europe a cette fois ci été citée par les principaux candidats et en particulier par le nouveau Chef de l’Etat.

Le soir même de son investiture, François Hollande a fait son premier déplacement officiel à l’étranger en Allemagne, afin d’y rencontrer Angela Merkel qui avait refusé de le recevoir durant la campagne. Les deux s’opposant sur le nouveau pacte de stabilité et sur la politique de croissance à mener en Europe, le bras de fer européen ne fait que commencer.

Quand Hollande demandait en janvier une renégociation du pacte de stabilité afin de le compléter par des mesures de croissance (euro-obligations, projets-obligation, fonds structurels, augmenter la capacité de la Banque Européenne d’Investissement), Sarkozy et quelques chefs de gouvernement s’étaient foutu de sa gueule.

Quatre mois après, l’Angleterre et l’Italie s’enfoncent dans la récession malgré (ou en raison) des politiques d’austérité, l’Espagne voit ses taux d’intérêts augmenter et son système bancaire fragilisé menace de la faire tomber, et la Grèce est dans l’impasse politique depuis les dernières élections.

Chacun comprends que sans retour de la croissance, et malgré des plans de rigueur, la réduction de la dette et des déficits publics n’est pas possible. Même si tous ne sont pas sur la même ligne quant à la politique de croissance à mener, les positions des gouvernements européens tendent à converger.

De manière un peu paradoxale, François Hollande est aujourd’hui en situation de faire bouger les lignes européennes, jusqu’ici dominées par les positions allemandes. On peut d’ors et déjà écarter le scénario d’une « Europe à la française », institutions européennes obligent, mais de cette bataille dépendra la mise en œuvre et le succès du projet de François Hollande en France.

14 juillet 2011

Primaire socialiste 2012 (3)

De l’importance des listes de soutiens.

La phase des déclarations de candidatures s’est achevée hier à minuit. A moins d’un retour rapide de DSK, blanchi des accusations portées contre lui, ou d’une participation d’une autre formation politique (le MRC via Chevènement), non soumis au calendrier socialiste, la primaire comptera bel et bien six candidats.

Si l’on met de côté le cas de Jean-Michel Baylet, tous les candidats socialistes à la primaire appuient leurs candidatures sur le soutien de très nombreux élus. Aubry et Hollande affichent les plus importantes listes de soutiens, quand Montebourg, Royal et Valls plafonnent et cherchent à compenser par le recrutement de « volontaires ».

Alors que la primaire est ouverte à tous les français, ce sont les sympathisants de gauche qui choisiront le candidat en octobre prochain, la course au soutien d’élus détonne quelque peu. On se croirait dans la préparation d’un congrès. Pourtant, après réflexions, j’analyse quelques raisons justifiant la constitution de telles listes.

Tout d’abord, pour être candidat (socialiste) à la primaire, un certain nombre de parrainages sont requis. Mais comme pour la présidentielle, en avoir bien plus que le minimum requis n’est pas interdit (de mémoire, en 2007 Royal affichait 11 000 parrainages alors que seuls 500 suffisent). De telles listes sont donc très utiles pendant la phase des déclarations des candidatures.

Ensuite, une liste de soutiens assez importante montre qu’une dynamique collective s’est crée autour du candidat. Un bon candidat, c’est quelqu’un qui fédère autour de lui, en particulier des gens de sensibilité et d’horizons différents, que ces soutiens soient par intérêt ou par conviction. Un manque de soutiens peut décourager certaines candidatures (Moscovici par exemple).

Enfin, de nombreux militants socialistes choisiront leur candidat en fonction de ses soutiens, non qu’une consigne leur soit donné en ce sens mais parce que beaucoup sont à l’écoute de leurs élus (locaux, nationaux). Or les militants constituent la fourchette basse du corps électoral de la primaire, et restent les meilleurs relais des candidats (via le tractage, le porte à porte, les affiches, la présence sur les marchés etc).

L’inconnu de ces primaires reste la participation électorale des français de gauche. La mobilisation des militants et volontaires auprès de ces derniers sera déterminante. Mais c’est par leur style, l’approche politique, leur choix des thèmes et des priorités que les six candidats se démarqueront les uns des autres. Un messager est une condition nécessaire, mais avoir un message est encore plus déterminant.

Note 1 : Moscovici, candidat ?

Note 2 : Le PRG participera à la primaire socialiste

28 juin 2011

Primaire socialiste 2012 (1)

Pierre Moscovici réflechie à une possible candidature.

J’inaugure par ce billet, une nouvelle série de notes consacrée cette fois à la primaire socialiste. Celle-ci, ouverte à tous les sympathisants de gauche, est prévue le 9 et 16 octobre prochain. D’ici le vote, je vous ferais part, plus ou moins régulièrement, de mes observations et réflexions sur la campagne des candidats, et in fine, de celui ou celle que je choisirai de soutenir.

Précisons, pour ceux qui débarqueraient, que j’ai été un adversaire des primaires comme mode de désignation, pour un parti donné, de son candidat à l’élection présidentielle. Je m’en suis expliqué dans cette note. Je redoute toujours autant les conséquences de ce mode de désignation sur la vie interne des partis comme sur la politique en général. Mais les militants ont tranché.

Jusqu’au mois de mai dernier, j’avais un candidat de cœur et de raison : Dominique Strauss-Kahn. J’ai rejoint le PS par sympathie pour ses idées, que j’ai découvert via son blog, au contact de militants et sympathisants socialistes très proches de ces dernières. Au-delà de la pensée social-démocrate qu’il incarnait au PS, c’était l’homme que j’appréciais, ses analyses, son intelligence, son libéralisme politique et culturel.

Son éviction, dans les circonstances que l’on sait, me peine beaucoup. Il était en train de composer son équipe pour la primaire et la présidentielle et plancher avec celle-ci un projet complémentaire à celui du PS, inspiré d’expériences à l’étranger. Lié avec Aubry, Fabius et bien d’autres, sa candidature semblait ouvrir la voie à un rassemblement large (certes pas unanime) des socialistes. Ce n’est pas en soi un objectif mais dans une campagne présidentielle, la cohésion est primordiale.

DSK empêché, la donne politique au PS s’en trouve changé, plus ouverte aussi. Aujourd’hui, 28 juin, marque l’ouverture officielle des candidatures à la primaire. Martine Aubry a fait acte de candidature, précédée plus ou moins récemment par François Hollande, Arnaud Montebourg, Manuel Valls et Ségolène Royal. On aura mi juillet la liste définitive des candidats, après vérification faite du nombre de parrainage requis.

Pierre Moscovici pourrait être le sixième candidat. Il devrait décider, avec son équipe Besoin de Gauche, de sa (non)-candidature jeudi ou vendredi. Il laisse planer le doute sur ses intentions, regrettant l’absence d’une candidature authentiquement « réformiste, social-démocrate et européenne », qualités qu’il trouve ni chez François Hollande, ni chez Martine Aubry, les « deux favoris » de la primaire.

A mon sens le PS est aujourd'hui très majoritairement de tendance réformiste et social-démocrate, sur le plan de la pratique gouvernementale et sur le plan des idées. Si l'on regarde les motions de Reims, sur le plan des idées, les motions A (Delanoé, Hollande, Moscovici), D (Aubry, Fabius, Cambadélis), E (Royal, Peillon, Collomb) s'inscrivent grosso modo dans cette mouvance.

Ceci ne signifie pas dire qu'il n'y a pas de différences entre ces motions et les personnes qui les portaient alors. La trajectoire politique (constance ou pas), la pratique gouvernementales (plus ou moins dirigiste ou pas) et certaines propositions, parfois insolites, suffisent à distinguer ces personnalités et à les juger à l’aune du référentiel soc-dem.

A la différence d'autres courants, le courant Socialisme et Démocratie puis Besoin de Gauche (mais en bien moins performant) revendique cette culture social-démocrate (d’inspiration anglo-saxonne ET scandinave) et a su structuré la pensée soc-dem au sein du PS. Aujourd’hui, la spécificité de Besoin de Gauche (les amis de Moscovici) me semble être l’Europe, et franchement au PS où le sujet a du mal à passer, ce n’est pas rien.

L'aile-gauche, l'autre tendance que j'appelle social-républicaine et qu'incarnait à merveille Jean-Luc Mélenchon, pèse à peine 20%. Et malgré quelques postes à forte visibilité, cette tendance est divisée (Hamon, Emmanuelli, Montebourg, Filoche) et sans « doctrine » structurée, incapable de s’imposer ou de peser durablement sur la ligne majoritaire du PS.

Alors en dépit de toute la sympathie que j’ai pour Pierre Moscovici - j’aime son sérieux, son ton posé, sa nuance - je ne le vois pas aujourd’hui porter autre chose qu’une candidature de témoignage. Sur le fond, hormis peut être la question européenne, je ne vois pas comment il pourra se distinguer de François Hollande et de Martine Aubry, aux yeux des sympathisants de gauche susceptibles de voter à la primaire citoyenne.

Sur la forme, Moscovici n’est pas actuellement organisé pour mener une campagne de primaire. Son réseau d’élus est plutôt réduit (aurait-il les parrainages nécessaires) et son courant semble peu structuré et mal animé. Ses partisans sont peut être concentrés sur quelques zones géographiques, affaiblissant par là les moyens de relayer ses idées et sa candidature.

Par rapport à d’autres candidats - Aubry et Hollande pour le soutien des élus, Montebourg et Royal pour le soutien des « volontaires de terrain » - les lacunes de Pierre Moscovici sont importantes. Et si une campagne électorale, fut-elle « interne », est affaire de rythme et d’interactions, je vois mal comment il pourrait rattraper son retard. Je crois en réalité que les tergiversations de Pierre masquent son prochain ralliement à François Hollande.

11 août 2010

Pourquoi il faut partager les revenus - Artus/Virard

Artus-Pourquoi-il-faut-partager-les-revenus.jpgPatrick Artus, économiste et directeur de recherche de Natixis, et Marie-Paule Virard, journaliste économique indépendante, sont des prolifiques auteurs d’essais économiques « grand public » et prospectif : Le capitalisme est en train de s’autodétruire (2005), Globalisation, le pire est à venir (2008), Est-il trop tard pour sauver l’Amérique ? (2009). Pourquoi il faut partager les revenus est leur dernier ouvrage. Le titre est éloquent. C’est un intervenant sur le blog de Moscovici qui m’a donné envie de le lire.

Dès l’introduction, les auteurs posent le cadre : la crise de 2007-2009 n’est pas une simple parenthèse, mais plutôt le point de départ d’une nouvelle phase de la globalisation. Cette nouvelle phase, qu’ils appellent « déglobalisation », serait marquée par le dynamisme autonome des pays émergents et la stagnation des économies occidentales, qui rencontrent les plus grandes difficultés à se réformer, et leur recul dans l’économie mondiale (I). Confrontés à un risque  de spirale déflationniste à la japonaise (II), les économies développées ne peuvent plus compter sur les politiques économiques classiques aux effets limités, voir contreproductifs (III). La France peut s’en sortir en modifiant le partage des revenus entre salaires et profits (IV), mais surtout en œuvrant pour que se mette en place une véritable solidarité européenne (V).

Un nouveau contexte : la déglobalisation. 

La déglobalisation est défini par les auteurs non pas comme la fin de l’ouverture économique et financière ou un retour du protectionnisme (retour perceptible dans certains combats douaniers ou dans le retour du contrôle des capitaux[i]) mais comme une situation où les échanges commerciaux sont moins dynamiques qu’avant la crise 

L’économie internationale connait une évolution décisive, véritable menace pour les « vieux pays » : les pays émergents, où la demande intérieure est déjà repartie, substituent de plus en plus la production domestique aux importations. Il est illusoire pour les pays de l’OCDE d’espérer un soutien de leur croissance par la demande des pays émergents (soit nos exportations). 

La part des pays émergents dans le commerce international augmente très rapidement : avec 12% du commerce mondial, la Chine est devenue le premier pays exportateur mondial. Par ailleurs, les économies émergentes sont passées d’une spécialisation « bas de gammes » à une spécialisation « haut de gammes ». La Chine par exemple a vu ses produits hauts de gammes passer de 21% des exportations chinoises en 1998, à 33% dix ans plus tard. 

Cette montée en gamme s’explique par la diffusion de l’innovation depuis les entreprises étrangères, par le rôle de l’Etat (soutient aux industries de hautes technologiques), par le développement de l’éducation supérieure (on est passé de 2 millions de diplômés universitaires en 1982 à 80 en 2007), et par l’augmentation rapide de la productivité globale des facteurs (1999-2009 : une moyenne de 3,5% par an). 

L’année 2010 devrait marquer le basculement du centre de gravité de l’économie mondiale vers les pays émergents. A eux seuls, les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) représentent 50% de la croissance de la consommation mondiale. C’est la consommation domestique qui va constituer le moteur du dynamisme économique des pays émergents. Ces derniers vont tôt ou tard passer d’un modèle mercantiliste de croissance à un modèle de croissance basé sur la demande intérieure (développement rapide des classes moyennes et aisées). 

Ce changement de modèle de croissance n’est pas sans conséquences pour les économies de l’OCDE, condamnées à une croissance durablement faible (le désendettement des ménages et entreprises, la multiplication de plans réduction des déficits publics et la faiblesse de l’emploi entretiennent une demande intérieure morose) et atteint par le phénomène de désindustrialisation (la France a perdu près de 2 millions d’emplois industriels depuis 1980, dont 500 000 perdus entre 2000 et 2008[ii]). 

Les pays de l’OCDE devront faire face d’une part à une hausse des prix des matières premières (pétrole,  plomb, argent, étain, zinc), conséquence de l’amélioration de l’activité industrielle des pays émergents et de l’excès de liquidité mondiale, et d’autre part à une hausse probable des taux d’intérêts à long terme qui devrait alourdir le poids de la dette.

Plus important encore, ce changement de modèle de croissance devrait modifier le régime de changes de certaines économies émergentes. Certaines stabilisent leurs monnaies par rapport au dollar pour conserver leur compétitivité prix, se privant par là même de l’outil monétaire. Par exemple, le lien fixe entre le dollar et le yuan empêche l’utilisation par la Chine de la politique monétaire comme instrument de régulation du taux d’intérêt et de contrôle de la création monétaire ou encore de la distribution du crédit. 

Ainsi, la Chine soutient la monnaie américaine. Lorsque celle-ci se déprécie, la Banque centrale de Chine achète des dollars et crée ex-nihilo sa monnaie et acquiert des actifs en dollars sur le marché. Si les autorités chinoises décidaient de laisser flotter leur monnaie, les conséquences seraient sérieuses pour la zone euro et les Etats-Unis : d’une part, la dépréciation du dollar et de l’euro vis-à-vis des devises des pays émergents provoquerait une hausse des prix importés, donc une détérioration des termes de l’échange, et d’autre part, une augmentation des taux d’intérêt de long terme susceptible d’aggraver la dépression de la demande. 

Prise dans sa dimension financière, la déglobalisation devrait conduire chaque région à ne compter que sur sa propre épargne pour financer sa croissance. Or l’épargne domestique des pays de l’OCDE est insuffisante. C’est l’épargne des pays émergents qui a financé tout au long des années quatre vingt dix les déficits publics américains et européens et l’endettement privé de ces mêmes zones. La déglobalisation financière va marquer la fin des conditions de financement très favorables pour les économies de l’OCDE. 

Le spectre de la maladie japonaise : le risque de stag-déflation.

Le choc qui a déclenché la crise (excès d’endettement associé à des bulles sur les prix des actifs, crise bancaire lorsque les bulles éclatent, désendettement durable qui réduit la demande, inflation très faible qui fait monter les taux d’intérêts réels, freinage ou même recul des salaires) ressemble furieusement à celui ayant initié la dynamique déflationniste qui sévit le Japon depuis le début des années 1990. 

A la fin des années quatre vingt, le Japon jouissait d'une grande prospérité économique, et enregistrait d’importants excédents commerciaux. Toutefois, en raison d’une politique monétaire accommodante, le surplus de liquidité engendré a fait progresser le niveau de crédit et le prix des actifs. L’indice du NIKKEI est passé de 13 000 à 39 000 points en trois ans, et les prix de l’immobilier ont augmenté de 60% pour la seule année 1989. La spéculation financière et immobilière était bien présente.

C’est la remontée des taux d’intérêt pour faire face au retour de l’inflation (conséquence de la tension sur le partage de la valeur ajoutée, du vieillissement, de la surchauffe économique) qui a provoqué le retournement économique et l’explosion de la bulle immobilière et financière. S’en est suivi un effondrement de la bourse et des prix des actifs et la multiplication des faillites bancaires. 

Le Japon est alors entré dans un équilibre déflationniste : un taux d’inflation inférieur à zéro et une politique monétaire pro-cyclique. Celle-ci signifie que, plus les prix baissent avec la demande, plus les taux d’intérêts réels augmentent. En conséquence, les ménages et les entreprises sont alors prêts à tout pour préserver leur niveau de profitabilité (pression sur salaires, solder les stocks). 

Ni la baisse des taux d’intérêt, ni les plans de relance ne viennent renverser la situation. Malgré deux plans de relance pour la seule année 2009 – celui de septembre 2009 (92 300 milliards de Yen soit 704 milliards d’euros) et celui du 7 décembre 2009 (7200 milliards de Yen soit 1,5 point de PIB) – la récession était de 5,7% en 2009. La croissance japonaise moyenne entre 1992 et 2008 était inférieure à 2%. 

Afin de satisfaire les actionnaires très exigeants sur le rendement du capital et de préserver des capacités d’autofinancement au moment où l’épargne privée est confisquée pour le financement des déficits publics, les entreprises cherchent à diminuer les salaires. Résultats : destruction des capacités de production, délocalisation et pertes d’emplois (-20% sur 10 ans), dette publique atteignant presque 200% du PIB. 

L’hypothèse d’un scénario déflationniste à la japonaise pour la zone euro et les Etats-Unis n’est pas à exclure.

La chute des prix d’actifs a conduit à un recul de l’inflation et au frein sur les salaires, ce qui pèse sur la consommation et la demande. Et comme l’épargne est captée par le financement des déficits publics, on enregistre une baisse des investissements privés et des salaires nominaux (baisse du temps de travail, baisse en général du salaire, multiplication du temps partiel), qui maintient la faiblesse de la demande. 

Les limites des politiques économiques classiques

 

Zone euro

France

Japon

USA

Royaume-Uni

Déficit public

6,3%

7,9%

8%

9,9%

12,9%

Dette publique

78,8%

77,2%

1832%

53,%

73,2%

Entre 1998 et 2007, les pays de l’OCDE ont sauvé leur croissance via le développement du crédit (qui a remplacé le revenu, laminé par la globalisation) permis par une politique monétaire expansionniste. Il a été calculé que sans l’endettement du secteur privé, la croissance aurait été environ de 2% aux USA (contre 4%) et de 1% dans la zone € (contre 2-3%). 

Vertus et limites des déficits. 

Lorsque le crédit a été coupé, la part de la demande privé financée par le crédit s’est évaporé (biens des ménages, investissements pour les entreprises ou développement du commerce international) d’où le recours à des plans de relance massifs. Mais si la relance budgétaire (sous forme de baisse d’impôt ou d'augmentation de la dépense) a permis un redémarrage de la consommation[iii], il faut creuser toujours plus le déficit pour augmenter l’activité (effet dynamique). 

Or l’effet normalement positif du déficit budgétaire (logique du multiplicateur keynésien) est atténué voir anesthésié par le phénomène d’anticipation des agents économiques : l’épargne de précaution (tout hausse du déficit dans le présent non compensé par des impôts immédiats est perçu comme des impôts futurs, les ménages préfèrent alors épargner en prévision des futurs prélèvements). Le taux d’épargne des ménages français est ainsi remonté à 17%. 

La monétisation des déficits publics, un engrenage diabolique. 

Sachant que les besoins de financement public étaient supérieurs à ce que les investisseurs privés (banques, assurances, fonds d’investissements) étaient prêts à financer en achetant des titres publics sur les marchés, les banques centrales n’ont pas hésité à organiser le rachat (ou la prise en pension) par les banques de titres publics avec en contre partie, une création monétaire ex-nihilo (les banques centrales achètent obligations émises par les administrations qui reçoivent  en échange de quoi financer leurs dépenses). 

En situation d’insuffisance de la demande mondiale (sous-emploi), d’excès d’épargne et de faiblesse de l'inflation, on peut supporter une politique économique expansionniste. Mais la base monétaire a encore augmenté (+30%), ce qui laisse entrevoir de nouvelles bulles spéculatives en formation (ex : sur le cuivre, le sucre, l’or, l’immobilier du luxe etc). 

La guerre des taux de change est devant nous. 

La guerre des taux de change est une tentative de gagner des parts de marché en sous évaluant la monnaie. Avec un dollar faible comme ce fut le cas entre 1994 et 1999, puis entre 2005 et 2008, le commerce extérieur américain s’était amélioré. 

Mais lorsque le dollar baisse, le yen et l’euro subissent l’essentiel de l’ajustement alors que ces économies sont déjà en déflation (Japon) ou connaissent un important risque de déflation (zone euro). Ce faisant les américains améliorent leur compétitivité (moins dépendant de la demande intérieure) et transfèrent les risques déflationnistes sur des pays à devises flexibles et à faible autorité politique. 

Un nouveau partage, l’antidote à l’appauvrissement collectif. 

Artus et Virard appellent à en finir avec un modèle de capitalisme qu’ils jugent exténué. Ce modèle, fondé sur la gestion des entreprises au profit des actionnaires, la faiblesse des salaires mal compensée par le crédit et le développement de création d’emplois dans les secteurs liés au crédit (distribution, construction), fait des salaires la variable d’ajustement privilégiée. 

La déformation du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits qu’on observe depuis une vingtaine d’années devrait non seulement durer mais s’amplifier. En effet, quand il y a moins de richesse créée, le conflit sur sa répartition augmente : l’Etat voit ses recettes fiscales diminuer, les entreprises voient leurs profits baisser et les ménages voient diminuer le nombre d’emploi et le niveau de salaire. 

Or les entreprises doivent faire face à une croissance plus faible de leur activité et satisfaire les exigences de leurs actionnaires, ce qui accentue la pression sur les salaires. Les exigences des actionnaires sont d’autant plus fortes que la politique monétaire est accommodante : l’excès de liquidité fait que l’argent devient bon marché, ce qui encourage la spéculation, donc l’investissement boursier. 

Artus et Virard proposent alors d’infléchir le partage en faveur des revenus dépensés. 

Réformer la fiscalité :

-          Diminuer la pression fiscale sur le travail (baisse des charges sociales) compensée par une hausse de la pression fiscale sur les revenus du capital.

-          Augmenter les salaires bas et moyens via un transfert prélevés sur les profits non investis et les revenus du capital non dépensés.

-          Harmoniser la taxation des plus values en capital à court terme au niveau international 

Modérer l’exigence de rendement du capital des investisseurs :

-          Les pouvoirs publics doivent jouer leur rôle d’actionnaire avec un objectif de rentabilité inférieur à la norme privée (via la Caisse des Dépôts et des Consignations et le Fond Stratégique d’Investissement – doté de 14 milliards d’euros – tout en laissant la sélection des projets au secteur privé).

-          Modifier les normes comptables (IAS) et prudentielles (Solvency II) afin que les investisseurs de long terme puissent investir davantage dans le capital des entreprises. 

Stimuler la demande via la baisse des prix : faire disparaitre les rentes d’oligopoles (barrières à l’entrée) 

Mener une politique spécifique d’emploi ciblé sur les jeunes :

-          Lutter contre le chômage des jeunes via la formation et l’apprentissage en alternance

-          Mettre en place des quotas d’embauche pour les jeunes diplômés (contrat en alternance etc) 

L’impératif de solidarité européenne. 

Toute union monétaire est une machine à fabriquer de la divergence entre économies dès lors qu’il n’existe aucun mécanisme stabilisateur susceptible d’absorber les chocs pouvant affecter tel ou tel pays (dit choc asymétrique). 

L’union monétaire n’est une zone monétaire optimale définie par Robert Mundell selon deux conditions : il ne doit pas avoir de chocs asymétriques, et les facteurs de production (travail et capital) doivent circuler librement. 

En l’absence de politique concertée sur le plan social (marché du travail), budgétaire ou fiscal, chaque Etat membre a mis en œuvre une politique économique et industrielle qu’il considérait comme la plus conforme à ses intérêts. 

Cela a produit des spécialisations productives différentes : c’est le cas de l’Allemagne et de l’Espagne. 

Allemagne

Espagne

Modèle axé sur la compétitivité-coût, l’industrie haut de gamme, et le dynamisme des exportations. 

Cela a conduit à une compression des coûts salariaux et à une politique de désinflation compétitive menée au détriment des autres Etats membres de la zone.

Modèle centré sur le dynamisme du secteur de la construction et de celui du tourisme. 

Pauvre en gains de productivité et marqué par un fort endettement des ménages. Bons «  ratios » : excédent budgétaire (2% du PIB), forte croissance (4%), créations d’emplois et rattrapage salarial.

 

La politique monétaire n’a pas été sans effet :

-          Lorsque le taux de croissance > taux d’intérêt => économie stimulée (endettement, hausse prix des actifs)

-          Lorsque le taux de croissance < taux d’intérêt => situation inversée

 

A l’heure actuelle, la zone euro ne peut revendiquer une mobilité totale du facteur travail ou l’existence d’une solidarité budgétaire (système de redistribution des prestations sociales). Le budget communautaire est très faible (1,1% du PIB) et les traités n’autorisent pas d’aides directes entre les Etats (no bail out). 

Leurs propositions pour une solidarité européenne :

-          Etablir un dispositif d’aide mutuelle (l’accord du 25 mai 2010 est un premier pas en la matière)

-          Afficher des objectifs réalistes de réduction des déficits publics sans casser la reprise.

-          Mettre sur pieds une supervision macroprudentielle

-          Faire converger les économies par rapprochement des législations fiscales et sociales. 


[i] Le Brésil a fixé un taux d’entrée des capitaux à 2 %

[ii] Les disparitions d’emplois dans l’industrie serait pour 25% du au phénomène de tertiarisation, 30% du aux gains de productivité, et 45% à la concurrence étrangère.

[iii] Sans transfert public, le revenu consommable américain aurait été inférieur de 9% à celui dont les ménages américains ont disposés en 2009

00:04 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : économie, moscovici

02 décembre 2009

Réjouissantes perspectives

A l'université d'été de La Rochelle de cette année, Martine Aubry avait annoncé la tenue d'une convention sur le nouveau modèle économique et social à construire. Cette convention sera présidée par Pierre Moscovici et devrait avoir lieu après les élections régionales de mars prochain. On en sait un peu plus désormais sur l'organisation de ce stimulant travail intellectuel. Il y aura donc trois grands thèmes, subdivisés en treize ateliers. Voilà de réjouissantes perspectives !


Thème 1 : Un nouveau modèle de d'éco-développement au service du progrès


Atelier 1 : Un nouveau modèle de production pour sortir de la crise, une stratégie industrielle pour préparer l'avenir

Atelier 2 : Accélérer la mutation social-écologique de notre économie et de nos modes de consommation

Atelier 3 : Une politique énergétique pour la diversification, l'indépendance et la sécurité des approvisionnements

Atelier 4 : Commerce international : quelles politiques pour un juste échange ?

Atelier 5 : La recherche et l'innovation au service d'une nouvelle croissance


Thème 2 : Relancer le progrès social


Atelier 6 : Plein emploi, bon emploi : de nouveaux outils pour l'égalité réelle

Atelier 7 : Pouvoirs, propriété et gouvernance dans l'entreprise : de nouvelles règles pour un juste partage des richesses et l'amélioration des conditions de travail

Atelier 8 : Pour la société du bien-être : refonder la protection sociale


Thème 3 :  Réhabiliter l'intervention publique


Atelier 9 : Réarmer l'Etat et la puissance publique, développer les services publics, distinguer les biens publics et les biens privés

Atelier 10 : La révolution budgétaire et fiscale au service de la justice

Atelier 11 : De nouveaux outils pour un monde solidaire et durable

Atelier 12 : Réorienter l'action publique européenne

Atelier 13 : Le nouveau modèle de développement et les territoires

22:28 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ps, économie, aubry, moscovici