Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07 février 2011

Non au budgétarisme constitutionnel

Le rôle assigné à la dépense publique comme son impact sur l’activité économique est de ces sempiternelles controverses qui opposent les économistes entre eux, mais aussi les politiques, dès lors qu’on aborde la question de la dette publique.

Conceptualisé par l’économiste néolibéral James Buchanan, le budgétarisme constitutionnel consiste à l’adoption d’une règle à valeur constitutionnelle destiné à interdire, ou restreindre fortement tout au moins, le recours au déficit budgétaire.

Bayrou proposait une réforme de la Constitution en ce sens en 2007. En 2008, l’Allemagne a adopté une règle budgétaire constitutionnelle visant à plafonner le déficit structurel du gouvernement fédéral à 0,35% du PIB à partir de 2016 et ceux des Länder à partir de 2020.

Face au risque d’une crise des finances publiques en Europe, l’Allemagne suggère dans son « Pacte de compétitivité » l’adoption, par les autres Etats-membres de l’UE, d’une norme similaire. Sarkozy va dans ce sens et y travaille. Zapatero commence à en parler en Espagne.

L’idée c’est qu’en adoptant une telle norme, les gouvernements envoient un signal aux acteurs économiques (ménages, investisseurs institutionnels), pour les rassurer sur les engagements financiers de l’Etat, et par voie de conséquence, changer leurs comportements économiques.

Selon la théorie des anticipations rationnelles, les ménages seraient sensibles au niveau de dette publique. Plus la dette est importante, et plus l’effort fiscal/  budgétaire, pesant sur les ménages, pour la réduire sera important. En conséquence, les ménages épargneraient pour faire face aux ajustements futurs.

Les marchés financiers financent les émissions d’obligations des Etats, c'est-à-dire l’endettement public. Or plus la dette initiale est élevée et plus la dynamique de la dette nouvelle est importante, moins l’Etat apparait en mesure de faire face à ses engagements présents et à venir. Il en résulte une hausse des taux d’intérêt sur la dette, ce qui renchérit son coût.

Par ailleurs, en contraignant les Etats à mener des politiques budgétaires restrictives, l’idée est de stabiliser la politique économique dans le temps, et donc de faciliter les choix économiques des agents. Ce faisant on s’inspire des politiques monétaires de ciblage d’inflation menée par les Banques centrales à partir des années 80.

Pourtant, si la réduction des déficits publics est un objectif louable, je ne suis pas certain qu’un tel instrument soit pertinent. Avec le « Pacte de stabilité » (déficit limité à 3% du PIB), l’Europe a déjà adopté une norme de contrainte budgétaire, avec des résultats décevants pour la période 2002-2008.

Quand bien même la norme allemande distingue « déficit structurel », résultat de choix politiques et « déficit conjoncturel », dépendant de la situation économique du moment, une telle norme conduira in fine à des ajustements de grandes ampleurs, indépendamment de la conjoncture. Les plans de rigueur adoptés en Europe en ce moment, en pleine période de reprise fragile, risquent de retarder la sortie de crise.

Le déficit public permet un lissage des à-coups de la conjoncture économique et la réalisation d’investissements de moyen/long termes (le grand emprunt). Interdire les déficits risque d’enfermer la politique budgétaire de l’Etat dans une logique pro-cyclique et sur un horizon de court terme, affaiblissant le potentiel de croissance à moyen/long terme.

On ne sait pas encore très bien si cette norme s’appliquerait à l’ensemble des comptes publics (Etats, collectivité locales et organismes de sécurité sociale) ou seul le budget de l’Etat. Dans le cadre du financement de la sécurité sociale, interdire le recours à l’emprunt obligerait donc à stopper les dépenses de santé. La régulation du système de santé se ferait, comme en Angleterre, par la constitution de listes d’attentes.

Le budget des collectivités locales est régi par une norme semblable. Elles ne peuvent s’endetter que pour financer des investissements. Mais il s’agit là moins d’investissements économiques que d’investissements patrimoniaux (genre piscine, complexe sportif etc.) qui engendrent par ailleurs des coûts de fonctionnement. Autrement dit, chercher à distinguer dépenses de fonctionnement et dépenses d’investissements est assez complexe.

S’attaquer à la question du déficit et de la dette ne peut passer par l’établissement d’une ou plusieurs normes interdisant ou encadrant les déficits. On sait très bien qu’à chaque règle se trouve une exception. Des pays ont montré qu’il était possible de réduire le niveau d’endettement sans s’enfermer dans une logique court-termiste et/ ou une contrainte constitutionnelle.

Pour réduire leur niveau d’endettement sans compromettre leur potentiel de croissance à venir, l’Union européenne aurait intérêt à se doter des ressources propres et/ou d’une capacité d’emprunt afin de financer les investissements communautaires porteurs (recherche publique, universités, secteurs en devenir) pendant que les Etats (une partie d’entre eux) réduiraient leurs déficits publics.

30 novembre 2010

Pourquoi il faut écouter DSK

Dernièrement en Allemagne, à l’occasion d’une conférence réunissant les banquiers centraux, DSK s’est exprimé sur la situation économique européenne. Il a relancé le débat sur l’intégration européenne par ses propositions.

D’abord, il appelle à « créer des conditions égales pour les travailleurs européens, en particulier dans le domaine de la fiscalité du travail, systèmes de prestations sociales et la portabilité des prestations, et de la législation de protection de l’emploi ».

Ensuite, il propose de « créer une autorité budgétaire centralisée, aussi indépendante politiquement que la Banque centrale européenne ». Cette autorité fixerait les orientations budgétaires de chaque pays membre et allouerait les ressources provenant du budget central pour mieux atteindre le double objectif de stabilité et de croissance. La Commission pourrait jouer un tel rôle.

Enfin, il recommande « d’aller au-delà de l’actuel budget de l’UE, strictement limité par les traités, pour aller vers un système qui utilise des instruments plus transparents au niveau européen, comme une TVA européenne, ou une taxation et tarification du carbone ».

En gros, Dominique Strauss-Kahn propose simplement de :

1)   Parachever le marché européen de l’emploi afin de permettre une réelle mobilité des travailleurs entre Etats membres.

2)   Constituer une politique budgétaire européenne, orientant davantage les politiques nationales plus qu’elle ne les remplace,  pour mieux équilibrer la politique économique européenne.

3)   Augmenter le budget européen en le dotant de ressources fiscales propres

Bien sûr, certains en France n’ont pas manqué de voir dans ses propositions une « atteinte intolérable à la souveraineté » des Peuples et des Etats pour le seul profit des « technocrates bruxellois », signe que DSK serait « au service des financiers »… Je passe sur la logorrhée souverainiste.

J’ai toujours du mal à comprendre comment on peut contester le manque de moyens des institutions européennes voir leurs inactions face à la crise économique, et venir crier au scandale dès lors qu’on propose justement de donner à l’Europe les moyens d’agir sur l’économie ?

Les souverainistes de droite n’aiment pas l’Europe et veulent quitter l’euro, je ne partage pas leurs vues mais au moins il y a une logique dans leur refus de l’intégration. Les souverainistes de gauche font parfois mouche dans leurs critiques de l’Europe mais rejettent tout ce qui pourrait en corriger les travers.

Je n’aime pas ces eurosceptiques de gauche qui critiquent l’Europe au nom d’une Europe idéale, sans jamais se montrer capable de se projeter à cette échelle pour apporter des solutions. De l’autre côté, les européistes présentent l’Europe pour ce qu’elle n’est pas (encore) et tardent trop à en faire ce qu’elle devrait être : une fédération d’Etats-nations.

Confier la politique budgétaire communautaire (soit l’exécution du budget de l’UE et la responsabilité du maintien de la discipline budgétaire des Etats) à la Commission, ne me parait pas dénué de sens économique. Et au regard des évolutions des traités, la logique ne serait pas bureaucratique mais bel et bien politique. Le fameux traité de Lisbonne ouvra la voie à une forme de régime parlementaire à l'échelle européenne, avec un Président de la Commission et une Commission issue des élections européennes et responsable devant le Parlement.

On voit bien que les négociations actuelles sur le budget communautaire sont de plus en plus lourdes et compliquées. Elles dépendent des accords d’une part des 27 Etats membres au sein des Conseil des Ministres et du Conseil européen (Chef d’Etat et de gouvernement), et d’autre part de la Commission européenne et du Parlement européen. Et les traités actuels limitent les capacités du budget européen (1% du PIB).

Quant au Pacte de Stabilité et de Croissance et les réformes structurelles qui tiennent lieu d’harmonisation des politiques économiques des Etats membres, leur conception comme leur application finale dépend des influences politiques et économiques des Etats membres (avec des logiques sous-jacentes des gros Etats contre les petits, ceux du centre contre ceux de la périphérie, les Etats fondateurs contre les derniers arrivants etc).

Cette absence de réelle politique budgétaire communautaire contraste, en même temps qu’elle affaiblie, avec la mise en oeuvre d’une politique monétaire unique, gérée par la BCE. De fait nous avons créé une union économique et monétaire déséquilibrée. Et autant la mise en place de l’euro a assurée une convergence entre les économies des Etats-membres, autant l’incapacité à nous coordonner fiscalement et budgétairement depuis l’entrée de l’euro, tend à raviver les divergences.

Depuis longtemps les économistes rappellent qu’une zone monétaire optimale ne peut être viable qu’à la condition que les facteurs de productions (capital et travail) soient parfaitement mobiles, et qu’elle puisse faire face aux chocs asymétriques (qui à la différence des chocs symétriques n’impactent pas de la même façon tous les pays de la zone). Or pour des raisons culturelles et politiques (réglementation sociale et fiscale), le travail n’est pas mobile en Europe. Et la politique budgétaire des Etats membres n’est pas coordonnée pour faire face aux chocs asymétriques.

Cela explique autant une partie des problèmes économiques de l’Europe que sa difficulté actuelle à régler la crise de la dette publique en Grèce et en Irlande. La spéculation sur la dette publique est certainement exagérée – les Etats ont la signature la plus sûre – mais les déficiences économiques des Etats qu’elle met en lumière, sont bien antérieures à l’agitation actuelle des marchés. La spéculation joue ici autant comme élément déclencheur qu’élément d’amplification de la crise.

Bien que les marchés insistent en apparence sur le niveau de déficit et de dette publique de la Grèce, c'est bien le secteur privé qui pose problème. Et sur ce point, l'Irlande, le Portugal ou encore l’Espagne sont dans des situations bien différentes. L’Irlande et l’Espagne ont assurés cette dernière décennie, leur croissance sur un modèle qui a fini par exploser avec la crise de subprimes. La Grèce et le Portugal souffrent eux d’une spécialisation économique intra-zone qui leur est défavorable, partiellement compensé jusqu’ici par des aides structurelles communautaires et des conditions de refinancement leur autorisant quelques excès en matière de finances publiques.

A tout cela, ajoutons les effets explosifs de la politique économique de l’Allemagne et les soubresauts des monnaies internationales. L’Allemagne a le mérite de s'être spécialisée dans les secteurs à haute valeur ajoutée, ce qui favorise ses exportations, principale source de sa croissance aujourd’hui. Le hic c’est que ses performances commerciales viennent aussi d’une politique de compression des salaires, ce qui pénalise la demande interne et les autres économies de la zone. L’Europe est par ailleurs victime des chinois, qui refusent toute appréciation du yuan, et des Etats-Unis qui organise la dépréciation du dollar pour se relancer.

L’insuffisante intégration économique de la zone euro, tant l’harmonisation fiscale et sociale que la coordination des politiques budgétaires et monétaires, fragilise la zone euro. Sous la pression des marchés, l’ensemble des pays de la zone s’orientent vers des plans d’austérité non coordonnés, dont l’application aura en l’état, pour effet d’accentuer la récession et augmenter le risque de dérive de leurs dettes publiques.

En l’état actuel des choses, l’union économique et monétaire (UEM) est dans une impasse : elle ne peut pas se sauver en laissant un de ses membres quitter le club ; et elle ne survivra pas si elle n’avance pas vers plus d’’intégration économique.

Certains avancent l’idée de faire sortir de l’UEM les Etats les plus secoués par les marchés. En revenant à leur ancienne devise, ces Etats pourraient atténuer le coût de l’ajustement économique en laissant la monnaie se déprécier (baisse de valeur par rapport aux autres monnaies). Le problème c’est que le retour à l’ancienne devise a un coût économique, financier et politique pour le pays qui s’y aventurerait, sans aucune garantie des gains liés à la dépréciation (contexte internationale de guerre des monnaies). Quant à l’UEM, elle perdrait en crédibilité.

Mais de l’autre côté, vouloir sauver l’euro sans davantage d’intégration économique semble voué à l’échec à moyen terme. Cela se traduit aujourd’hui par l’adoption de fonds de stabilisation et de garantie en faveur des pays fortement exposés au risque de solvabilité, en échange d’un plan d’ajustement de grande ampleur. Or la politique d’austérité (véritable déflation organisée) n’aura pour effet que de casser la reprise actuelle (bien timide) et d’affaiblir, par des coupes budgétaires sans discernement, la croissance potentielle à moyen long terme. Ceci renforçant la dépression économique et donc les risques de faillite qu’elle était censée éviter.

Dans cette histoire, le rôle du FMI a quelque chose de paradoxal. Habituellement, il intervient auprès des Etats en situation délicate – il est alors le prêteur en dernier ressort, c'est-à-dire quand plus personne ne veut prêter aux Etats – et de fait les remèdes qu’il préconise sont douloureux. On le traite de « bourreaux des peuples ». Mais là, par la voix de son directeur général, il est en train de nous dire comment éviter de faire appel à lui. Tant que rien n’est fait dans le sens d’une plus grande intégration de la zone euro, la menace d’une (ou plusieurs) intervention(s) en urgence du FMI ne saurait être exclue…

Erratum:

Par manque de connaissances suffisantes sur le sujet, j'ai volontairement laissé de côté la question de la réforme du système financier. Je pense en revanche qu'il faut inverser la tendance actuelle (mais pas nouvelle) à la financiarisation des stratégies d'entreprises, responsables d'opérations de court terme au détriment de stratégies de long terme, précisément celles dont a besoin l'Europe pour faire face à la concurrence étrangère.

Autre précision, il va de soi que pousser la zone euro vers plus d'intégration économique passe par des réformes structurelles, susceptibles de heurter certaines sensibilités nationales.

00:10 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dsk, économie, europe

25 novembre 2010

L'Europe à contresens

Après le G20 de Séoul, une évidence s'impose : les principales puissances économiques du monde ne réduisent ni ne régulent la sphère financière que les Etats ont laissée se constituer en surplomb de l'économie globalisée depuis trois décennies.

En 2008 et 2009, lors des sommets de Washington et de Londres, des engagements solennels avaient été pris et des pistes de travail pertinentes tracées. Mais cela a débouché sur peu d'actes concrets. Le système financier ayant été sauvé et la dépression évitée grâce à des plans de relance, l'ambition affichée par les gouvernements de réformer de façon concertée l'ensemble économique et financier mondial se perd.

D'où vient cette impuissance ? Pourquoi les Etats, qui ont sauvé le système et ont toute la légitimité pour imposer des règles en tant que représentants des peuples, se montrent-ils si hésitants à remettre les acteurs financiers à leur place normale : celle de serviteurs de l'économie ?

Les raisons sont diverses. Nombre de gouvernements sont proches des marchés financiers ou subissent l'influence de lobbyings intenses. En outre, plusieurs des grands acteurs économiques mondiaux s'accommodent du statu quo. C'est le cas des Etats-Unis, auxquels l'attractivité de Wall Street et le rôle du dollar comme monnaie de réserve procurent les facilités de l'endettement. C'est aussi valable pour la Chine, que la sous-évaluation du yuan aide à accumuler excédents commerciaux et réserves confortables. Enfin, le paradigme des marchés efficients et autorégulateurs reste très prégnant. Alors même que les dogmes du néolibéralisme ont fait faillite, l'analyse économique dominante s'y réfère toujours. Si une pensée neuve s'amorce, elle n'inspire pas encore les gouvernements.

Il ne faut pas renoncer à l'ambition de réformer le système économique et financier mondial. Instaurer une régulation globale de la sphère monétaire et financière, remettre en cause les taux de profit exorbitants exigés des entreprises par les actionnaires aux dépens des salariés est une nécessité impérieuse. Aussi sera-t-il intéressant de mesurer si, au-delà des proclamations, la présidence française du G20 saura rassembler l'Europe sur une proposition de réforme du système monétaire international, puis engager une négociation entre les différentes zones d'intégration économique.

Pourtant, même si une remise en ordre du système économique mondial s'engageait, elle prendrait du temps. En attendant, chacun comptera sur ses propres forces et devra se préparer à être dans la meilleure situation possible pour une future négociation entre les différents ensembles économiques. Et c'est là où l'Europe fait fausse route. Notre continent est en proie à une crise sournoise. Et il va l'aggraver si sont maintenues les politiques généralisées d'austérité décidées par les gouvernements pour 2011 et au-delà. Non seulement ces politiques ne sont pas appropriées à la situation, mais le diagnostic qui les a inspirées est contestable.

En effet, les plans de relance précédents comptent pour peu dans les déficits actuels. Les plans de relance de 2009 dans l'Union européenne ont été calibrés ex ante sur un surcroît de déficit de 1,1 % du produit intérieur brut (PIB) en moyenne. Or l'accroissement de déficit a été de 4,6 %, soit plus de quatre fois plus élevé. Cela veut dire que la timidité des gouvernements européens dans la relance n'a pu nous préserver d'une sévère récession. C'est la récession et non la politique de relance qui a creusé les déficits à des niveaux insolites.

Or, aujourd'hui, l'Europe fait un contresens en choisissant l'austérité. Après la première erreur d'un faible calibrage de la relance de 2009, les gouvernements l'aggravent en basculant tous en même temps dans l'austérité. Le prolongement économique durable de la crise financière résulte du manque de dynamisme de la demande privée. De nombreux acteurs doivent se désendetter, les banques sont réticentes à prêter et la stagnation des revenus et le chômage s'autoentretiennent. On se trouve devant une situation avérée d'insuffisance de la demande. Or les élites politiques au pouvoir en Europe s'enferment dans une rhétorique étrange. Elles semblent croire que l'annonce de l'austérité va agir partout comme une baguette magique sur cette entité métaphorique que sont les marchés. Toutes les contraintes sur le secteur privé disparaîtraient d'un coup. Les ménages se mettraient à consommer et les entreprises à investir, comme si la crise n'avait pas lieu. Ce n'est pas ce que nous indique l'exemple irlandais.

De fait, des travaux récents et très élaborés du Fonds monétaire international (FMI) balaient ces illusions. En étudiant soigneusement de nombreuses situations d'austérité budgétaire, le FMI montre qu'en moyenne, pour un effort d'austérité de 1 % du PIB, il y a un effet de contraction de la croissance du PIB de 0,5 % au bout de deux ans. Malheureusement, le FMI remarque aussi que nous ne sommes pas dans une situation moyenne. En Europe, les conséquences de l'austérité budgétaire risquent d'être pires pour trois raisons : tout le monde pratique cette austérité en même temps ; les taux d'intérêt, déjà faibles, ne vont guère baisser davantage ; l'euro risque de monter au lieu de fléchir, en raison de la politique monétaire des Etats-Unis.

Sur notre continent, l'impact de l'austérité pourrait donc être de 1 %, voire de 2 % selon les circonstances. Ainsi, en 2012 et 2013, la croissance européenne risque fort d'être très basse. Bien entendu, les déficits ne diminueraient pas, ou très peu, faute de rentrées fiscales, les dettes publiques grimperaient et le chômage monterait encore. Les tensions sociales s'aggraveraient et les mouvements nationalistes et populistes, déjà en hausse en Europe, pourraient bien s'en trouver renforcés.

Pour toute personne raisonnable, ce risque ne doit pas être pris. Nos politiques doivent être changées pour redresser la croissance. Il y va peut-être même de la survie de la zone euro, qui aurait sans doute bien des difficultés à surmonter une nouvelle crise simultanée des finances publiques dans les pays les plus fragiles.

Conduire une politique de croissance est donc vital pour l'Union européenne. Est-ce à dire qu'il faut être indifférent aux dérives des budgets et de la dette ? Naturellement pas. Mais, comme dans toute crise financière majeure, ses séquelles vont s'étendre sur une dizaine d'années. Les gouvernements doivent programmer un rétablissement des équilibres budgétaires sur la fin de la décennie et abandonner l'illusion absurde d'un retour rapide des dettes publiques à 60 % du PIB, alors que toutes les organisations internationales projettent un ratio dette/PIB autour de 110 % à 120 % en moyenne dans l'ensemble de l'OCDE. Le rétablissement des finances publiques ne se fera pas par l'austérité, mais par un effort de maîtrise raisonnable et un autofinancement résultant de la croissance.

Sans doute les marchés exercent-ils, par la spéculation, une pression sur les pays européens les plus fragiles. Ils poussent les agences de notation, par la dégradation de leurs notes, à renchérir le recours à l'emprunt. Les acteurs financiers retrouvent ainsi, en dépit de leurs échecs, la posture de censeurs des gouvernements qu'ils affectionnent. Aussi est-il de la responsabilité des Etats - qui les ont renfloués - de ne pas accepter leurs diktats. La solidarité de la Banque centrale européenne (BCE) et des gouvernements européens face à la spéculation contre les pays fragiles, voire l'indication - déjà donnée par l'Allemagne - qu'en cas de situation extrême il faut organiser une restructuration des dettes, pourraient servir d'utile avertissement à l'égard des marchés.

Dans la situation actuelle, la croissance dépend des politiques publiques de manière cruciale. Il faut à la fois compenser l'insuffisance de la demande privée, améliorer la compétitivité de nombreux pays d'Europe (dont la France), créer des incitations à une nouvelle vague d'investissements et trouver les moyens de la financer. Il faut agir à la fois sur les ressources et sur les dépenses, donc remodeler la structure des budgets, comme l'ont fait les Scandinaves après la grave crise bancaire de 1991-1992.

Or, l'insuffisance de la demande actuelle est la conséquence d'une évolution qui vient de loin. C'est la déformation sur plusieurs décennies de la répartition des richesses qui a conduit à la fuite dans l'endettement, à un prélèvement exorbitant de la finance sur l'économie, à des pertes massives de recettes fiscales au bénéfice des fortunes privées et à une pression systématique sur les salaires.

L'accroissement de la rémunération du travail est partout la clef du redressement de la croissance. Il est vrai qu'au niveau de chômage qui sévit en Europe, et notamment en France, il ne peut y avoir - sauf peut-être en Allemagne - des hausses significatives des salaires bruts. Mais on pourrait transférer, par une remise en ordre de la fiscalité, du pouvoir d'achat aux catégories sociales qui sont trop pauvres pour être endettées et qui consommeraient 100 % ou presque du surcroît de revenu qui leur reviendrait. Une fiscalité du capital reformée, la suppression des avantages fiscaux aux ménages à hauts revenus, une révision de la fiscalité sur l'héritage, c'est-à-dire une inversion des mesures qui n'ont eu aucune efficacité économique, mais qui ont servi des clientèles particulières, s'imposent aujourd'hui pour commencer à renverser les inégalités sociales et créer un flux de demande.

Pourtant, agir sur la demande à court terme ne suffit pas. Encore faut-il se donner les moyens, sur le terrain de l'offre, de rehausser la croissance potentielle. Cela suppose des investissements publics et des incitations au secteur privé. Deux types de ressources, l'une disponible, l'autre à créer, sont envisageables pour mener des politiques ambitieuses à l'échelle de l'Europe. Ce sont la TVA et la fiscalité carbone.

L'Union européenne doit mettre un terme au dumping fiscal, dévastateur pour elle. Manipuler la TVA pour favoriser tel ou tel secteur crée des distorsions de prix néfastes. L'idéal serait un taux de TVA uniforme, sans doute à 19,6 %. L'effet régressif doit être compensé par une progressivité accrue de l'impôt sur le revenu. L'essentiel est de créer des ressources fiscales pour lancer une politique ambitieuse d'éducation sur toute la vie, corollaire indispensable de toute réforme allongeant la vie active.

Toutefois, la réforme fiscale la plus porteuse pour la croissance potentielle est la fiscalité carbone. Une taxe carbone européenne, partant d'un niveau proche du prix du marché des droits à polluer et croissant régulièrement jusqu'à 2020, créerait une valeur sociale du carbone qui changerait le système des prix relatifs. Cela ferait évoluer la consommation et ouvrirait un espace de rentabilité pour des investissements permettant à l'Europe de maintenir son avance en ce domaine.

Le produit d'une telle taxe pourrait être partagé en trois. La première partie devrait subventionner les ménages à revenus modestes pour compenser le surcoût de la consommation. La deuxième pourrait servir à diminuer les cotisations sociales pour inciter au choix de technologies riches en emplois. La troisième serait versée au budget européen pour financer des investissements dans les innovations environnementales. Cette dernière part permettrait de capitaliser une intermédiation financière construite sur un Fonds vert européen dédié au soutien à l'innovation environnementale. Il serait ainsi possible d'émettre des obligations pour financer des investissements longs et risqués - publics ou privés - en mobilisant les investisseurs institutionnels. L'essentiel serait de créer un effet de masse suffisant pour susciter en Europe une de ces grandes vagues d'innovations sur lesquelles s'est toujours appuyé le développement économique.

Il n'est pas certain que ce type d'analyse et de propositions ait actuellement des chances d'être retenu dans l'état de crispation idéologique et de paralysie politique qui caractérise l'Europe. De même qu'il est difficile d'espérer voir celle-ci mener une politique coopérative pour la croissance.

Mais il est indispensable de lancer le débat, et ce bien au-delà des cercles gouvernementaux. Doivent avoir leur mot à dire les partis, les associations, les syndicats européens et les dirigeants d'entreprises positionnées sur le changement climatique et les questions environnementales, voire ceux des investisseurs financiers qui considèrent que l'investissement socialement responsable est porteur de rentabilité à long terme. Le modèle économique des trente dernières années - même si la France a fait quelques fois exception sous la gauche - a été caractérisé par la domination de la valeur actionnariale, l'hypertrophie de la finance spéculative, des exigences financières incompatibles avec la rentabilité des entreprises, une fiscalité favorable aux milieux privilégiés et des inégalités croissantes. C'est un tout autre modèle qui doit désormais émerger, si l'on veut tirer des leçons fécondes de la crise financière. Il doit être fondé sur un partage des revenus plus équitable, une population active mobilisée par des rémunérations décentes et à qui on offre les possibilités de renouveler ses capacités au cours de sa vie, une croissance fondée sur le respect des équilibres naturels.

Pour unir les forces de la société civile autour de ce nouveau pacte social, il faut une pensée politique s'incarnant dans des programmes au plan national et capable de faire bouger la gouvernance de l'Europe pour peser au niveau international. Donner à l'analyse économique de la nouvelle période une expression politique capable de rassembler pourrait être la tâche centrale d'une social-démocratie réformée.

Michel Aglietta, économiste 

Lionel Jospin, ancien Premier Ministre

00:05 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jospin, économie, europe

20 octobre 2010

La politique économique de Zapatero 2004-2010

JLR_Zapatero.jpg

Suite aux élections générales de mars 2004, et après huit ans d’opposition, les socialistes espagnols reviennent aux responsabilités. Leur jeune leader, José-Luis Rodriguez Zapatero, encore inconnu en 2000 lorsqu’il accède au Secrétariat Général du PSOE, devient le nouveau Président du Gouvernement.

Depuis la reprise mondiale initiée en 1994, l’Espagne est en plein boom économique. En quelques années, le chômage enregistre une décrue exceptionnelle en passant de 24% - un des plus forts taux de chômage de l’UE-15 - à 12%. Sous l’effet conjugué d’une politique budgétaire restrictive, d’une forte activité et d’un abaissement des taux d’intérêt à long terme, les comptes publics se redressent.

Respectant les critères de Maastricht, l’Espagne rejoint les pays en situation d’adopter l’euro. Le dynamisme de son économie en fait un exemple d’intégration européenne réussie et confirme l’utilité des fonds structurels européens. Pendant près d’une décennie, on cite l’Espagne parmi les « bons élèves » de la classe européenne.

En promettant « le changement tranquille », Zapatero donne le ton de sa politique générale et la méthode de son gouvernement. Sur le plan économique, le gouvernement entend allier dynamisme économique et redistribution sociale. Sur le plan de la méthode, le gouvernement veut impliquer les partenaires sociaux sur tout projet de réformes économiques et sociales d’une part, et négocier avec l’ensemble des partis politiques d’autre part (il n’a qu’une majorité relative).

Le socialisme de Zapatero s’inscrit dans la lignée de la social-démocratie rénovée des années quatre-vingt-dix. Dans un discours prononcé en septembre 2005 à l’occasion d’un colloque sur les politiques progressistes à Londres, il assigne trois objectifs à celles-ci : une plus grande flexibilité des marchés (des biens et services, du travail), un Etat (social) plus dynamique et une meilleure coopération dans la mondialisation.

Mais l’activité économique étant par nature cyclique – les phases de croissance et de ralentissement, d’inégales intensités, se succèdent à intervalles irréguliers – elle commande aux pouvoirs publics d’intervenir à court terme (politique conjoncturelle) et moyen/long terme (politique structurelle). La politique économique d’un Etat n’est jamais seulement déterminée par l’orientation politique des gouvernements en place. Ces derniers doivent nécessairement faire preuve de pragmatisme.

Le pragmatisme étant ici entendu comme le fait de conditionner un type d’actions à une observation et analyse préalable des faits et réalités économiques du moment, on peut distinguer trois périodes dans la politique économique menée par Zapatero depuis 2004, correspondant chacune à une phase économique donnée. Nous allons maintenant analyser plus en détail ces trois phases.

*

2004-2008 : L’expansion. Une politique de redistribution.

Pendant plus d’une décennie, le « miracle » économique espagnol va reposer de fait sur le dynamisme (cumulatif) de quelques secteurs clés : le secteur bancaire et l’accès facile au crédit d’abord, les secteurs de l’immobilier et de la construction ensuite, le secteur du tourisme enfin.

En conséquence de l’adoption de l’Acte unique européen par lequel elle adhère aux Communautés européennes, puis du Traité de Maastricht qui ouvre la voie à l’union économique et monétaire, l’Espagne a entrepris au début des années 90 une restructuration de son secteur bancaire. L’accès au crédit (à la consommation puis immobilier) s’en est trouvé grandement facilité, au profit de l’activité économique.

Le secteur immobilier espagnol (1), et indirectement le secteur de la construction, a bénéficié de l’accès facile au crédit (prêt à taux variable, très attractifs lorsque le taux d’intérêt directeur de la BCE diminue), de la culture patrimoniale des espagnols (l’accès à la propriété constitue le premier pas de l’indépendance des jeunes) et de la spéculation immobilière (le bétonnage des côtes espagnoles en a montré les limites).

Depuis l’accueil des Jeux Olympiques à Barcelone et de l’Exposition Universelle à Séville en 1992, l’image internationale de l’Espagne a profondément changée. Elle a longuement capitalisée sur le slogan « España es diferente » (L’Espagne est différente), sur sa monnaie assez bon marché et ses liens avec l’Amérique latine d’une part, et le pays du Maghreb d’autre part, sources majeures d’immigration.

Dans ce contexte d’économie qui tourne à plein régime – on parle presque alors de surchauffe – la politique économique des socialistes espagnols s’est centrée sur la logique de redistribution :

La redistribution salariale : hausse du SMIC et rôle des négociations collectives.

Laissé à un niveau pratiquement inchangé depuis l’an 2000, le salaire minimum interprofessionnel est passé, sous le premier gouvernement Zapatero, de 460, 50 euros par mois en 2004 à 600 euros en 2008 (il est de 633,30 euros en 2010). Mais en pratique le salaire minimum concerne seulement 3% des salariés espagnols.

A travers les accords nationaux interprofessionnels, la négociation collective a contribué entre 2002 et 2006 (données non trouvées pour la suite) à une amélioration du pouvoir d’achat des salaires de 2,5% par rapport à l’inflation moyenne sur la même période. Toutefois la modération salariale reste de mise.

La redistribution sociale : une protection sociale plus étendue.

Pour soulager les personnes âgées dépendantes et leurs familles, le gouvernement a mis en place un « Plan Dépendance », en partie financé par l’Etat et géré par les Communautés autonomes. Il concernerait 1,2 millions de personnes.

Chaque année pendant quatre ans, le gouvernement socialiste a augmenté le minimum retraite plus que le niveau d’inflation en vigueur, ce qui a amélioré le pouvoir d’achat de plus de 3 millions de retraités.

Une réforme du marché du travail a permis la réduction de 2,5 points du nombre de salariés occupant un emploi à durée déterminée, par l’extension réglementaire des contrats à durée indéterminée. Les indépendants obtiennent les mêmes droits et protections que les salariés.

Pour tout nouveau né, le gouvernement a crée une aide ponctuelle de 2500 euros. Mais le service de la petite enfance est resté sous développé.

La redistribution budgétaire : désendettement et investissement public.

Grâce au retour de la croissance à un rythme élevé et à l’abaissement de la contrainte financière pesant sur l’émission de dette publique avec l’arrivée de l’euro (2), l’Espagne a su réduire sa dette publique (elle représentait en 2008 un peu plus de 30% du PIB) et dégager quelques surplus budgétaires (de 0,5 à 2%).

Conscient des limites du modèle productif espagnol en termes de productivité et de compétitivité, le gouvernement Zapatero s’est employé à augmenter la part des dépenses publiques consacrée à l’éducation, à la recherche et développement (R&D) et aux économies d’énergie, trois secteurs clés pour l’économie de la connaissance.

La gratuité de l’éducation a été votée pour les enfants âgés de 3 à 6 ans et l’accès aux bourses, élargi. L’effort en matière de R&D, regroupé autour d’un Plan Ingénieur 2010, est passé de 2,9 à 7,7 milliards d’euros en quatre ans. Enfin, en matière d’énergie éolienne (qui représenterait 9% de l’énergie consommée), l’Espagne est devenue le leader mondial.

La redistribution fiscale : une baisse des impôts pour les ménages et les entreprises

En conséquence d’une amélioration de l’état des finances publiques, les socialistes espagnols ont pu entreprendre de vastes baisses d’impôts au bénéficie des ménages et des entreprises.

Ainsi, les ménages qui gagnaient moins de 18 000 euros par an ont bénéficié d’une réduction de 17% sur l’impôt sur le revenu. Environ 1,3 millions de personnes à faibles revenus ont cessés de s’acquitter de l’impôt sur le revenu.

Pour les plus aisés, le gouvernement Zapatero a supprimé en fin de législature,  l’impôt sur la fortune. Et pour les entreprises, le taux de l’impôt sur les sociétés a été ramené de 35 à 30% et celui des PME de 25 à 20%.

Mais en dépit des baisses d’impôts, la pression fiscale a augmenté de 34,5 à 35,5% du seul fait de la hausse de la population activité occupée et les répercutions qu’elle implique en matière d’impôts directs (IRPP et cotisations) et indirects (TVA).

*

2008-2009 : La crise. Une politique de relance.

Durant l’été 2007, la crise des subprimes éclate aux Etats-Unis. Elle se propage petit à petit à l’ensemble du système financier international et sonne la fin du boom immobilier d’abord et du crédit facile ensuite. Les actifs toxiques se révèlent progressivement parmi le bilan des banques, les exposants à des risques de liquidité.

En Espagne, la croissance commence à s’essouffler et le chômage repart à la hausse. La situation économique anime une partie des débats à l’occasion des élections législatives en mars 2008. Mais l’exécutif socialiste récuse pendant plusieurs mois le terme de crise, qualifiant le ralentissement économie de simple décélération. De fait la réponse politique à la crise économique alors naissante a été très tardive.

Dans la mesure où l’économie repose sur une composante psychologique, un gouvernement se doit d’user avec modération de sa communication. Il ne doit apparaitre ni trop optimiste, au risque de perdre en crédibilité si l’écart entre l’affichage et la réalité devient trop important, ni trop critique, au risque d’augmenter le doute et l’anxiété. Ceci peut expliquer le refus de dramatiser la situation.

Le manque de réactivité politique peut aussi s’expliquer par la mauvaise appréciation de la crise d’origine américaine. En la cantonnant à une stricte dimension financière, le gouvernement espagnol s’est reposé sur la solidité de son système bancaire pour écarter toute hypothèse de récession. En effet, les règles prudentielles du système espagnol le mettent à l’abri d’une crise de liquidité.

Après la faillite de Lehman-Brothers en septembre et le G20 de Washington auquel a participé l’Espagne, le gouvernement socialiste présente le « Plan Espagnol pour la stimulation de l’économie et de l’emploi » (dit Plan E), censé couvrir les années 2009 et 2010. L’effort budgétaire déployé s’élève à 10,8 points de PIB, soit  le plus important réalisé dans la zone euro, et s’organise en trois axes.

Aides aux ménages et entreprises : soutenir la consommation et l’investissement.

Le développement en Espagne du crédit immobilier à taux variable rend vulnérable les ménages à toute remontée des taux d’intérêts (4). Celle-ci contraint les ménages à consacrer une plus grosse part de leur revenu à rembourser leur prêt immobilier, ce qui pénalise au final la consommation. Afin d’aider les familles à faibles revenus ou ayant perdu leur emploi, le gouvernement a mis sur pied un moratoire partiel des hypothèques (jusqu’à 50% de celles-ci pendant deux ans).

En complément de certaines baisses d’impôts (400 euros pour l’IRPP) intervenues en 2008, le gouvernement a prévu des déductions fiscales pour les familles à faibles revenus. Celles-ci commenceront à recevoir le montant à déduire dans l’IRPP de 2009 par l’intermédiaire d’une baisse mensuelle des rétentions. Trois millions de contribuables sont concernés par cette mesure.

Les PME se voient obtenir un meilleur accès aux financements. L’Institut de Crédit Officiel à destination des PME (ICO-PYME) voit ses capacités augmenter de 3000 millions en 2008 et de 10000 millions en 2009. Les PME pourront bénéficier de ces financement à condition d’y consacrer 60% pour de nouveaux investissements. Les PME amortissant un crédit ICO pourront bénéficier d’un moratoire d’un an pour le paiement du crédit.

Aides à l’emploi : encourager l’embauche, soutenir certains secteurs.

Afin d’encourager l’embauche, le gouvernement a promis une ristourne de 1500 euros annuels sur les cotisations sociales pour toute entreprise qui signerait un contrat stable avec des chômeurs avec d’importantes charges familiales. Les chômeurs souhaitant monter leur entreprise pourront quant à eux recevoir d’un trait 60% de leurs allocations chômage.

Un Fond d’investissement public local doté de 8 000 millions d’euros a été crée afin de financer des ouvrages publics des collectivités locales en matière de construction et aménagement d’espaces publics urbains, de bâtiments publics ou de promotion industrielle, de bâtiments sanitaires, éducatifs ou sportifs, ou d’ouvrages publics.

Enfin, des mesures spécifiques ont été arrêtées dans les secteurs automobiles, de la formation des salariés et l’environnement. Ainsi, comme en France, le secteur automobile reçoit des aides en vue de maintenir l’emploi à court terme, et d’améliorer la compétitivité et l’innovation du secteur (voiture électrique) à long terme.

Aides au système financier : éviter la crise systémique.

Les actions de cette partie du « Plan E » correspondent grosso modo aux mesures retenues et concertées au niveau européen. Les gouvernements doivent garantir le passif des banques en cas de risque de solvabilité.

Les principales mesures de soutien au système financier sont les suivantes :

-      La création d’un Fond pour l’acquisition d’actifs financiers auprès des banques et des caisses d’épargnes (très nombreuses en Espagne)

-      Les nouvelles émissions de dettes des institutions financières sont garanties

-      Les dépôts bancaires sont davantage garantis.

En dépit d’un effort budgétaire conséquent, le plan de relance ne permet pas à l’Espagne de sortir de la récession. Le taux de chômage, qui avait déjà augmenté de 7,6 points entre mai 2008 et avril 2009 (contre 1,9 point pour la zone euro), atteint les 20% fin 2009.

Les destructions d’emplois continuent dans les secteurs de la construction et des industries. La demande interne est complètement déprimée : baisse de la consommation du fait du chômage et du resserrement du crédit, report des investissements privés du fait de la conjoncture, faiblesse des exportations du fait d’un manque de compétitivité et de la hausse de l’euro.

*

2010 : Le tournant de la rigueur. Une politique d’austérité.

Après un changement de gouvernement intervenu en avril 2009, Zapatero présente en décembre au Parlement un projet de loi intitulé « loi pour l’économie durable ». Il s’agit moins d’un second plan de relance que de réformes d’ordres structurelles. Celles-ci concernent la Justice, l’Administration, le système bancaire, la lutte contre la fraude fiscale, l’innovation, l’environnement, la politique industrielle, l’éducation, la santé et la protection sociale.

Le projet s’apparente à une forme de révision générale des politiques publiques dont l’objectif final est de réorienter l’écosystème de croissance espagnol sur les secteurs à haute valeur ajoutée (NTIC, bio et nanotechnologies) et la croissance verte (4). Cela passe par une réforme de l’environnement juridique, social et fiscal d’une part, et un effort en termes d’investissements (d’innovation, de production, de formation du personnel) d’autre part.

Mais l’irruption de la crise grecque au premier semestre 2010 a conduit l’Europe à adopter dans l’urgence des politiques de réductions des déficits publics, au risque de pénaliser la timide reprise de l’activité. Les principales Agences de notation ayant baissé la note de solidité financière de l’Espagne (elle est passée d’AAA à AA), renchérissant ses nouvelles émissions obligataires et donc le coût de l’endettement, le gouvernement Zapatero a annoncé le 12 mai dernier, l’adoption d’un vaste plan de rigueur.

Il convient de préciser que l’appréciation des Agences des notations sur la solvabilité d’un pays ne porte pas exclusivement sur l’état de ses finances publiques. Sur ce seul sujet, en dépit d’une augmentation rapide de sa quantité de dette publique (+ 20 points en trois ans), l’Espagne reste en meilleure posture que la France, l’Italie ou le Royaume-Uni. En réalité, les doutes sur la solvabilité de l’économie espagnole porte sur le montant de la dette privée (ménages et entreprises).

Afin de rassurer les Agences de notation et les institutions communautaires (Commission, Ecofin), le gouvernement Zapatero s’est donc engagé à ramener le déficit public de à 11,2% à 9,8% du PIB dès cette année, soit un effort budgétaire de 15 milliards d’euros sur deux ans. Le plan de rigueur s’accompagne d’une réforme du marché du travail visant à plus de flexibilité.

Réduction drastique des dépenses publiques.

Traditionnellement, on définit les dépenses publiques comme la somme des dépenses d’investissements, des dépenses de fonctionnement, des dépenses en personnel et des dépenses sociales. Le gouvernement socialiste a souhaité agir sur chaque levier de dépenses.

Le traitement des agents publics est réduit en moyenne de 5% (l’effort demandé étant proportionnel aux revenus.), en contradiction de l’accord signé l’année d’avant avec les partenaires sociaux. Le gouvernement entend montrer l’exemple en diminuant de 15% le traitement de chaque ministre.

Les dépenses d’investissements publics sont réduites de 6 milliards d’euros entre 2010 et 2011. Les collectivités locales n’échappent pas à l’effort collectif puisqu’il leur est demandé d’économiser 1,2 milliards d’euros. Enfin, l’aide au développement, fortement augmenté sous la précédente législature, est amputé de 600 millions d’euros.

En matière de dépenses sociales, le remboursement des médicaments sera moins bien assuré et l’aide dont bénéficiaient les personnes dépendantes sera moins généreuse (fin de la rétroactivité des droits). Enfin, à l’exception des retraites non contributives et des retraites minima, les pensions ne seront pas revalorisées.

Relèvement des prélèvements obligatoires.

Le gouvernement revient sur une partie des baisses d’impôts qu’il a réalisé les années précédentes. Ainsi, le « chèque-bébé » de 2500 euros par nouveau né est supprimé. Il en va de même de la réduction de 400 euros sur l’IRPP mis en place durant l’année 2008, à l’exception des plus bas revenus.

Le taux de l’IRPP pour les plus gros revenus sera augmenté dans le budget 2011 quand la fiscalité sur l’épargne est sensiblement modifiée, et la déduction fiscale pour l’achat d’un logement, supprimé.

La fiscalité indirecte ayant la vertu d’être politiquement indolore et financièrement intéressante pour l’Etat, les taux normal et réduit de TVA ont été relevés au 1er juillet 2010.

Petite exception dans cette tendance à la hausse des prélèvements obligatoires, le taux de l’impôt sur les sociétés est à nouveau réduit pour les PME qui maintiennent ou créent des emplois.

Réforme du marché du travail et du système de retraite.

Le marché du travail espagnol se caractérise par une forte dualité entre des emplois stables (CDI) et des emplois temporaires (CDD). Les réformes de 1988 avec Felipe Gonzalez et de 2002 avec Aznar ont semble-t-il largement facilité le recours aux CDD et autres contrats dérogatoires (manque d’informations à ce sujet).

Mais le marché du travail semble également marqué par une flexibilité asymétrique : le marché apparait plus réactif à la baisse de l’activité économique qu’à la reprise. Autrement dit, lorsque l’activité diminue cela se traduit rapidement par du chômage supplémentaire, mais lorsque la croissance reprend, la création d’emploi tarde à venir.

Ce sont ces deux caractéristiques que le gouvernement Zapatero a souhaité réviser en soumettant le sujet à la négociation des partenaires sociaux :

Pour limiter le recours aux licenciements, le gouvernement souhaite importer le modèle allemand de réduction du temps de travail : au lieu de licencier lorsque l’activité diminue, l’entreprise a la possibilité de réduire le temps de travail de ses salariés, dont le différentiel de salaire est pris en charge par les pouvoirs publics.

Mais le vrai sujet de discorde à l’origine de la rupture entre le gouvernement et les syndicats (5) est l’adoption par la loi de la réduction de l’indemnité de licenciement auquel à droit tout salarié, au prorata de sa durée d’activité dans l’entreprise. C’était une revendication du patronat espagnol depuis le début de la crise. La réforme est entrée en vigueur récemment.

La réforme du système de retraite n’est qu’un projet à l’heure actuelle. L’âge légal de départ à la retraite à taux plein est de 65 ans. La durée de cotisation est de 15 ans minimum et de 35 ans pour une retraite à taux plein. Le gouvernement souhaite relever l’âge minimum à 67 ans et augmenter le nombre d’années minimum de cotisation à 25 ans.

Il est à noter que l’Espagne a un des plus faibles taux de fécondité de l’Union européenne, ce qui laisse supposer à moyen/long terme un plus lourd déséquilibre démographique qu’ailleurs. Toutefois l’Espagne, à l’image d’autres pays, dispose d’un Fond de réserve des retraites bien mieux doté qu’en France.

Dernièrement, parce que moins exposé à la pression des marchés, le gouvernement a souhaité assouplir – très marginalement ceci dit – le plan de rigueur présenté en mai dernier. Ainsi les investissements publics (grands travaux essentiellement) seront un peu moins touchés par les coupes budgétaires que ce qui était prévu jusqu’ici.

Notes :

(1) En 2005, on comptabilisait plus de lancements de constructions de logements (souvent des maisons secondaires) en Espagne qu’en France, Allemagne et Grande-Bretagne réunies.

(2) Depuis la création de l’euro et jusqu’à cette année, et par ailleurs sous l’effet du Pacte de Solidarité et de Croissance qui garantie une relative convergence dans la trajectoire des finances publiques des Etats membres, de nombreux Etats ont bénéficiés de la faible prime de risque de l’Allemagne pour s’endetter à un taux d’intérêt très intéressant.

(3) Entre 2005 et juillet 2008, le taux directeur de la BCE a été relevé de 2 points. Avec la crise, la BCE a assouplie sa politique monétaire. Le taux est redescendu à 1%.

(4) Sur ce dernier point, un Fond d’économie durable a été crée. Doté de 20 milliards d’euros pour la période 2010 -2011, il doit financer les dépenses R&D, l’innovation, et le fond public pour achat de crédit carbone.

(5) Marqué par le divorce survenu en 1988 entre les syndicats (UGT en tête, proche des socialistes) et Felipe Gonzalez (alors Président du Gouvernement), Zapatero (jeune député à l’époque) a toujours cherché l’appui des syndicats dans les réformes qu’il a mené depuis son arrivé au pouvoir.

Sources: 

-      A more dynamic welfare state for a more dynamic Europe, JL.R. Zapatero

-      Examen a Zapatero, Philip Pettit

-      Spanish Steps : Zapatero and the Second Transition in Spain, David Mathieson

-      Pourquoi il faut partager les revenus, Patrick Artus, Marie-Paule Virard

-      Plan Español para el estimulo de la economia y del empleo

 

18 septembre 2010

Petite révolution cubaine

Ces dernières semaines, quelques dépêches concernant Cuba laissent apparaitre les changements qui touchent le régime et l’économie castriste, en place depuis 1959, initiés par Raul Castro depuis son arrivé en 2008.

Face aux difficultés économiques et financières que traverse l’île depuis 1991 (au moins) et aux pressions politiques autant internes (contestations) qu’internationales (blocus américaine, pression européenne), Raul Castro a lancé quelques timides réformes.

Citons parmi celles-ci, la distribution de certaines terres agricoles aux paysans, l’abandon de l’égalitarisme salarial, l’assouplissement des règles de circulation des cubains vers l’étranger, la possibilité d’accéder à internet et autres produits de consommation (ordinateurs, scooters), et la libération de prisonniers politiques.

Et là, après avoir lu Fidel Castro admettre dans un entretien que le modèle cubain ne marchait même pas pour ses habitants (avant toutefois de se rétracter), on apprend que le régime entend licencier 500 000 fonctionnaires (sur 5 millions) et développer le secteur privé (occupant actuellement 590 000 personnes).

Si on peut supposer que la réforme sera progressive et limitée, cela reste tout de même un symbole : un des derniers bastions communistes au monde prépare sa conversion à l’économie de marché. J’entends déjà quelques néolibéraux bien suffisants clamer la victoire définitive du capitalisme, amalgamant au passage « économie administrée » et « gestion socialiste de l’économie de marché ».

La survie du régime castriste presque 20 ans après la fin de l’URSS, qui lui apportait une aide financière et matérielle conséquente, malgré un embargo économique des Etats-Unis qui lui prive l’accès à biens des ressources, relève pourtant de l’exploit. Je me demande d’ailleurs si des économistes et des sociologues ont déjà pensé à étudier cette « économie de la débrouille », ces stratégies d’adaptations et de survie.

Reste aujourd’hui à savoir si ces réformes économiques traduisent un début, même embryonnaire, de transition politique ou une simple fuite en avant de la part des responsables cubains.

En sciences politiques, on admet au moins trois modèles de transition politique :

-      Une transition de rupture, regroupant les opposants radicaux et modérés d’un régime donné. C’est le cas du Portugal en 1975 ou de Cuba en 1959.

-      Une transition négociée, menée par l’opposition modérée et les réformateurs du vieux régime. C’est le cas de la Transition espagnole, pactée par l'ex franquiste Adolf Suarez et les socialistes alors mené par Felipe Gonzalez.

-      Une transition contrôlée, aux seules mains de réformateurs du régime qui doivent ménager les « durs » du régime. C’est le cas du Chili vers la fin de l'ère Pinochet.

Pour l’instant, Raul Castro semble plus s’inspirer de Deng Xiaoping, le dirigeant chinois qui a ouvert la Chine à l’économie de marché, que de Gorbatchev, qui lui avait tenté de réformer économiquement et politiquement l’URSS. On peut tout à fait imaginer, à moyen et long terme, un régime cubain économiquement libéral et politiquement autoritaire. Et je suis persuadé qu’une telle situation recevrait l’appui des autorités américaines. L’inconnu resterait alors le rôle de la communauté cubaine en Amérique.

ERRATUM: un site intéressant sur la situation cubaine vu par les opposants du régime (dont les socialistes démocratiques), par contre c'est qu'en espagnol. http://partidoarcoprogresista.org/fr/