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24 juin 2011

L’esprit de Philadelphie

L’esprit de Philadelphie, la justice sociale face au marché total est un essai d'Alain Supiot, publié en 2010. Alain Supiot est directeur de l’Institut d’études avancées de Nantes et membre de l’Institut universitaire de France. Il écrit souvent pour la revue Droit Social, sur laquelle j’ai travaillé un peu pour préparer le concours d’inspecteur du travail.

L’esprit de Philadelphie renvoie à la Déclaration internationale des droits à vocation universelle, signée en mai 1944, portant sur les buts et les objectifs de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Ce texte, qui proclame des principes « pleinement applicables à tous les peuples du monde (…) dont devrait s’inspirer la politique de ses membres », fait de la justice sociale la pierre angulaire du nouvel ordre juridique international.

Or la globalisation économique, et l’idéologie néolibérale qu’elle diffuse, est venue casser l’œuvre normative de l’après-guerre. La libre-circulation des capitaux et des marchandises se substitue désormais à l’objectif de justice sociale. L’homme, traité comme du capital humain, est aujourd’hui mis au service de l’économie, elle-même indexée sur les exigences de la finance.

La récente crise économique et financière a révélé un système en faillite. Face au marché total, dont l’origine et la logique sont expliqué dans la première partie du livre, Alain Supiot propose de renouer avec l’esprit de la Déclaration de Philadelphie, autrement dit, remettre la justice sociale au cœur du système. C’est le cœur de la deuxième partie de l’essai.

Les fondamentaux de l’esprit de Philadelphie.

Ni révélés par un texte sacré, ni découverts dans l’observation de la nature, les principes de la Déclaration sont affirmés par l’homme. Cette affirmation s’exprime sous la forme d’un acte de foi.

Cet acte de foi procède de l’expérience, celle des guerres mondiales et des atrocités commises sur la personne humaine, qui a montré la nécessité de protéger les droits de l’homme par un régime de Droit.

Cette expérience ayant montré les effets mortifères de la réification de l’être humain, la « dignité humaine constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ».

Le principe de dignité oblige à lier les impératifs de liberté et de sécurité. L’ordre juridique doit contribuer à « instaurer de meilleurs conditions de vie dans une liberté plus grande » : d’où le respect du travail, les libertés collectives, la solidarité.

Le lien entre liberté de l’esprit et sécurité du corps conduit à subordonner l’organisation économique au principe de justice sociale (i.e le progrès matériel et le  développement spirituel dans la liberté, la dignité, la sécurité économique)

Le grand retournement.

Selon Supiot, l’esprit de Philadelphie a cédé la place à son exact contraire, sous la double influence de la contre-révolution conservatrice anglo-américaine (Thatcher et Reagan) et de la conversion des pays communistes à l’économie de marché, après l’effondrement de l’URSS.

Hayek, un des fondateurs de la pensée néolibérale, critiquait les textes inspirés de l’esprit de Philadelphie. Pour lui, les droits économiques et sociaux consacrés par la Déclaration universelle de 1948 « ne pourraient être traduits dans des lois contraignantes sans du même coup détruire l’ordre de liberté auquel tendent les droits civils traditionnels ». Dès lors, il recommandait de mettre « l’ordre spontané du marché à l’abri du pouvoir des urnes ».

En abandonnant l’économie politique au profit des sciences économiques, on a fait de l’économie une idéologie scientiste. Les principes néolibéraux (l’infaillibilité du Marché, les bienfaits de la concurrence généralisée, la privatisation des services publics, la dérèglementation du travail, la libre circulation des capitaux et des marchandises) constituent une sorte de religion officielle.

Avec l’effondrement des régimes de l’Est, on assiste à l’apparition d’une économie communiste de marché, empruntant à l’ultralibéralisme la mise en concurrence de tous contre tous, la libre circulation des capitaux et des marchandises, la maximisation des utilités individuelles, et au communisme « la démocratie limitée », l’instrumentalisation du Droit, l’obsession de la quantification, et la déconnexion du sort des dirigeants et des dirigés.

La contre-révolution néolibérale entraine la privatisation de l’Etat social. La définition des droits de chacun n’a plus besoin de se référer à un principe de justice qui les transcende mais qui procède seulement du jeu de leurs différences et de leurs oppositions. Toute imposition d’une règle extérieure aux individus est désormais perçue comme un mal. Or cette déconstruction fait perdre au Droit social sa capacité de rendre les citoyens solidaires.

Cependant la privatisation de l’Etat social ne conduit pas à faire disparaitre les droits sociaux mais elle en concentre le bénéfice sur ceux qui en ont le moins besoin. C’est l’effet Matthieu. Cette privatisation touche la fonction publique (introduction du nouveau management public, développement du pantouflage) et le droit du travail et de l’emploi (simplification des règles de licenciement etc).

Mais contrairement à la foi naïve des adorateurs du Marché, le démantèlement des droits nationaux ne permet pas l’avènement de l’ordre spontané du Marché. En revanche, il conduit surtout à saper les bases institutionnelles des marchés (soit la diversité des dispositifs juridiques instituant différents types de marchés).

Là où la Déclaration de Philadelphie envisageait les règles commerciales comme un moyen dont l’efficacité devait être apprécié au regard des objectifs de justice social assignés aux Etats, l’Accord OMC voit disparaitre toute hiérarchisation des moyens et des fins. Le démentiellement des frontières commerciales est posée comme une fin en soi, rendant inutile toute évaluation de ses effets.

Le marché total conduit à un darwinisme normatif, soit la mise en concurrence des ordres juridiques nationaux. La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) est l’instrument de ce darwinisme normatif au niveau européen (elle a consacré le droit pour une entreprise d’éluder les règles de l’Etat où elle exerce toutes ses activités, tout en s’immatriculant dans un autre Etat où les règles sont moins contraignantes). En produisant chaque année un rapport évaluant les droits nationaux à l’aune de l’efficacité économique, la Banque Mondiale fait de même au niveau international.

En faisant de la compétition le seul principe d’organisation du monde, Supiot juge qu’on remet en cause l’une des rares certitudes de la « science du Droit » : « c’est parce que l’égoïsme, la cupidité, la lutte pour la survie sont présents dans le monde tel qu’il est qu’ils doivent être contenus et canalisés par une référence commune à un monde tel qu’il doit être ».

Le marché total se matérialise enfin par la gouvernance par les nombres. Alors que le gouvernement par la loi repose sur l’exercice de la faculté de jugement et d’interprétation des textes, la gouvernance par les nombres, qui vise l’autorégulation des sociétés humaines, repose sur la faculté de calcul, de programmation des comportements.

Or la statistique économique et sociale ne mesure pas une réalité qui lui préexisterait mais construit une réalité nouvelle en tenant pour équivalents des êtres et des forces hétérogènes. La gouvernance par les nombres repose sur la croyance dans la réalité des objets que les catégories statistiques sont censées représenter et sur l’oubli des conventions d’équivalence qui ont présidé à leur construction.

L’actualité de la justice sociale.

Supiot rappelle que pour pouvoir fonctionner convenablement, les marchés doivent s’inscrire dans un monde institutionnel à trois dimensions, où les rapports entre les opérateurs économiques se trouvent placés sous l’égide d’une instance tierce, garante de la loyauté de leurs échanges. En l’absence d’un tel garant, le contrat ne signifie rien d’autre que la loi du plus fort.

Ce monde institutionnel délimite l’espace marchand. Or la dérèglementation des marchés (notamment financiers) et la mise en concurrence des législations sociales et environnementales sont venues saper les bases institutionnelles du Marché. Supiot en conclu que la crise financière actuelle est d’abord une crise du Droit. Et pour retrouver l’esprit de Philadelphie, l’auteur nous enjoint à retrouver le sens des limites, de la mesure, de l’action, de la responsabilité et de la solidarité.

L’effacement des frontières affaiblie la capacité des Etats de faire régner un régime de droit sur leur territoire. Cela favorise la prolifération des paradis fiscaux et sociaux et sape les bases des solidarités nationales. L’argent devient le critère indiscutable de distribution des places et toute différence qualitative entre les personnes ou entre les choses.

Dans un monde géré comme un ensemble de ressources quantifiable, l’égalité ne peut être pensée autrement que comme une indifférenciation et la différence comme une discrimination. Politiquement, cela se traduit par le démantèlement des statuts professionnels et des services publics par la droite néolibérale, et par le démantèlement des statuts civils et familiaux par la gauche sociétale, et en réaction, par la montée du nationalisme et du communautarisme.

L’urgence, nous dit Supiot, est de replacer l’économie de marché sur des bases institutionnelles solides, qui mettent en concurrence les entreprises et pas les systèmes juridiques. C’est par le Droit qu’il convient d’élargir ou de restreindre le libre-échange, ou encore de tracer des limites aux pouvoirs des actionnaires (redéfinition du droit des sociétés).

Pour retrouver le sens de la mesure, il faut replacer le sort des hommes au cœur du système d’évaluation des performances économiques. L’objectif normatif doit être la justice sociale. Mais les conditions de sa mise en œuvre effective doit dépendre des engagements contractuels des Etats avec les institutions financières internationales, et en concertation avec les organisations représentatives des travailleurs.

Retrouver une capacité d’action suppose de donner aux travailleurs des moyens concrets d’exercer leur liberté d’agir. Il faut pouvoir convertir les rapports de force en rapports de droit. Pour ce faire, le droit du travail doit nécessairement reposer sur un trépied juridique constitué par l’organisation, l’action et la négociation collective.

La responsabilité implique une relation entre un responsable, un demandeur, et un tiers (juge ou arbitre). Or avec la libre circulation des marchandises et des capitaux, il n’est plus évident d’identifier les vrais opérateurs économiques, à l’origine d’une catastrophe industrielle par exemple. Le sens de la responsabilité implique que l’identification du responsable doit pouvoir s’opérer en remontant la filière de production et de distribution d’un produit et en organisant la traçabilité des produits.

Enfin, le propre de la solidarité est d’instituer au sein d’une collectivité humaine un pot commun dans lequel chacun doit verser selon ses capacités, et puiser selon ses besoins. Supiot propose (entre autre) d’installer le principe de solidarité au cœur des règles internationales du commerce et de mettre fin à la concurrence fiscale et sociale au sein de l’UE.

*

A mes yeux, l’intérêt principal de l’ouvrage est d’analyser la mondialisation sous un angle plus juridique, alors qu’on traite souvent le sujet sous l’angle économique. Supiot offre un regard épistémologique sur la science économique et une critique intéressante sur le rôle supposé/attribué à la norme juridique.

Lors de mes études du droit du travail, j’ai été frappé par la multiplicité des sources (à savoir conventions internationales, droit communautaire, loi, règlement, accords et conventions collectives etc) et plus encore de la possibilité offerte aux entreprises de déroger à certaines règles par accord collective.

Or étant candidat (malheureux) à quelques concours de la fonction publique auprès de ministères chargés d’assurer, par l’application du droit (social, douanier, financier), une certaine équité entre les acteurs, je me suis alors demandé comment l’Etat pouvait garantir l’effectivité de la concurrence.

Supiot m’a finalement aidé à mettre un nom sur ce phénomène (la concurrence des normes juridiques), et à comprendre la logique qui va avec. Et j’en suis arrivé à la conclusion que le néolibéralisme était moins la mise en en concurrence des hommes que la constitution de marchés oligopolistiques. Autrement dit, loin de chercher à constituer un marché unique, on produit des marchés fragmentés, dérégulés (donc hors de portée du contrôle des Etat), avec la domination de quelques firmes.

08:30 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : économie, capitalisme

20 juin 2011

Primaire d’Europe Ecologie (2)

Quelques remarques complémentaires après avoir vu le second et troisième débat de cette primaire d'Europe Ecologie:

L'ambiance des deux autres débats a été beaucoup moins conviviale. Stéphane Lhomme s'en est pris ouvertement à la candidature Hulot dès le début du second débat, et il s'est fait hué pour cela. Eva Joly a attaqué Nicolas Hulot, lors du troisième débat, sur son positionnement et sur des propos qu'il aurait tenus à son égard. Ce dernier, bien qu’agacé, a répondu point par point calmement mais fermement. Ceci dit, après quelques minutes tendues, les esprits se sont calmés et on est revenu au débat de fond.

Eva Joly m'a semblé beaucoup moins hésitante dans sa prise de parole et dans les chiffres qu'elle citait, que lors du premier débat. C’est peut être une question d’exercice. En tout cas, elle était plus crédible du coup. Par contre, elle a un fort accent qui la rend parfois inintelligible, elle gagnerait peut être à faire des phrases plus simples. Ceci dit j'aimerai pouvoir parler le "norvégien" comme elle parle français, et je rappelle à toute fin utile qu'Eva Joly est bien française de nationalité.

Extérieur à l'écologie politique "traditionnelle", Nicolas Hulot assume sa candidature d'ouverture, c'est à dire celle qui entend s'adresser aux indécis, aux déçus du sarkozysme, aux personnes sensibles aux questions d'environnement mais qui ne se reconnaissent pas pour autant dans l’écologie politique classique. S’il est désigné, il risque peut être d’être mal soutenu par la base écolo. Stéphane Lhomme a par exemple dit qu'il ne le soutiendrait pas.

Bien qu'écologiste depuis peu de temps (en comparaison à Henri Stoll et Stéphane Lhomme), Eva Joly représenterait certainement mieux la ligne écolo "traditionnelle" que Nicolas Hulot, tout en apportant une touche d'ouverture par rapport à Stoll et Lhomme. Elle revendique l'idée que la transition écologique de l’économie et de la société ne se fera pas sans mal et sans coûts. Et sur le fond, je pense qu’elle a raison. Du coup ça lui donne l'air d’une "mère-sévère" mais c'est plus honnête politiquement.

Enfin, la primaire de l'écologie montre à nouveau les limites de cette nouvelle procédure de désignation. Tous membres de la même famille politique (malgré des parcours différents), tous signataires du Manifeste de l'écologie (sorte d'avant-programme), les quatre candidats développent des réponses d'avantage complémentaires que différenciées. Sur tous les grands enjeux, ils sont d'accord. Ce sont des différences de style, d’approche, de mise en pratique qui les différencie. Rien d'anormal en soi, ça complique juste un peu le choix du meilleur candidat. Ceci dit, ce genre de débats permet à des non-initiés comme moi d'en savoir plus sur les grandes lignes du projet écologiste. Sur ce plan, c'est un vrai exercice démocratique.

17 juin 2011

Primaire d'Europe Ecologie

Le concept des primaires, comme mode de désignation d’un candidat d’un parti à l’élection présidentielle, gagne du terrain à gauche. Plusieurs formations politiques ont adopté ce système, même si les modalités diffèrent d’un parti à l’autre.

Après l’avoir expérimenté en 1995 et 2006 en le réservant à ses seuls adhérents, le Parti socialiste a décidé d’ouvrir la primaire à tous les sympathisants de gauche. C’est prévu en octobre prochain.

Au Front de Gauche – qui rassemble le PC, le PG et Gauche Unitaire – la primaire est, d’après ce que j’ai compris, réservé aux seuls militants communistes, qui devront choisir entre Mélenchon (PG) et quelques candidats communistes.

Enfin, Europe Ecologie – Les Verts organisent en ce moment leur primaire, avec quatre candidats en lice. Après trois débats (Toulouse, Paris, Lille), les militants et adhérents de la « coopérative » sont appelés à voter.

Bien que je ne sois pas membre du mouvement écologiste, les articles de presse couvrant l’évènement m’ont donné envie de connaitre un peu mieux les candidats. Et  j’avoue, qu’après le PS, les Verts sont la sensibilité politique que j’apprécie le plus.

Hier j’ai visionné le premier débat via le site http://primairedelecologie.fr, qui permet de suivre la primaire des Verts, lire la profession de foi de chaque candidat et revoir les trois débats. Je vous livre mes impressions.

Tout d’abord, malgré quelques piques indirectes généralement adressées à Nicolas Hulot, j’ai trouvé l’ambiance de ce premier débat plutôt conviviale. C’était bien moins aseptisé que les débats télévisés de la primaire socialiste de 2006, trop encadrés.

Nicolas Hulot m’a semblé le plus à l’aise dans l’exercice, aidé par son expérience des média (journaliste, animateur). Des quatre, c’est le seul à avoir compris qu’il fallait convaincre au-delà de la sphère écolo traditionnelle. Son idée-fixe : « l’écologie par la pédagogie »

Eva Joly est apparue plus hésitante, se mélangeant les pinceaux sur ses chiffres, recherchant parfois ses mots. Cette fragilité apparente contraste un peu avec la fermeté de ses positions, revendiquant une « écologie de combat ». Son expérience de juge d’instruction et d’eurodéputée étoffe à mon avis sa candidature.

Henri Stoll est maire d’une petite commune alsacienne où il met en œuvre depuis trois mandats ses idées écologistes. Il défend les couleurs d’une « écologie de terrain ». Si l’homme a beaucoup d’humour, ses expériences et ses références au terrain ne collent pas avec une élection d’envergure nationale.

Stéphane Lhomme est le plus radical des candidats. Il représente certainement la frange la plus extrême des écologistes. Bien que défavorable à la candidature de Nicolas Hulot, il n’a pas été, au moins dans ce premier débat, aussi agressif envers ce dernier que la presse ne le dit. Mais à part ses propos sur le nucléaire et son hostilité à Nicolas Hulot, on comprend mal ses ambitions.

En voyant ce premier débat et les thèmes abordés, j’ai l’impression que les écologistes ne parviennent pas à se projeter dans le rôle de parti de gouvernement. Je vois des gens de convictions, très engagés sur le terrain et dans des combats précis, mais pas d’hommes et femme d’Etat. Une candidature écologiste y gagnerait pourtant en crédibilité.

10 juin 2011

L’austérité, oui mais jusqu’où ?

Cela fait un peu plus d’un an que l’Europe, sous la menace d’une crise des finances publiques, s’est engagée sur des politiques d’austérité, refermant par la même occasion la parenthèse des plans de relance de 2008 et 2009.

Tout cela a commencé avec la Grèce et l’Irlande qui, confrontés à des difficultés de refinancement sur les marchés, se sont résolus à appliquer des plans d’ajustement budgétaire et engager des réformes structurelles, en échange d’un soutien financier du FMI, de la BCE et des Etats-membres de l’UE.

La crainte de se retrouver dans la situation des Grecs et des Irlandais a poussé bien des Etats à s’engager à redresser leurs comptes publics, largement dégradés par la crise. C’est le cas de l’Espagne et du Portugal (avril 2010), de la Grande-Bretagne (juin 2010) et de la France (septembre 2010).

Malgré la mise en œuvre dès l’an dernier d’un plan d’ajustement de grande ampleur, la Grèce est invitée à redoubler d’efforts. De nouvelles mesures d’austérité viennent d’être adoptées (lien). Quant au nouveau gouvernement du Portugal, il promet d’aller au delà des préconisations du FMI et de la Commission (lien).

Vu les faibles perspectives de croissance pour la zone euro et l’impact récessif de la réduction des dépenses publiques lorsque ni la consommation, ni l’investissement privé, ni les exportations ne peuvent soutenir la croissance, le risque est grand que ces pays ne soient pas en mesure de remplir leurs engagements.

Autant dire qu’on risque de se retrouver dans la même situation dans quelques mois : crise de confiance des marchés, demandes d’aides supplémentaires, nouveaux plans d’ajustement exigés. Sauf que le nombre de pays en difficultés risque d’augmenter, et les moyens de les aider risquent de manquer.

Jusqu’où irons-nous dans l’austérité ? Autant la situation économique et financière de la Grèce justifie l’effort de redressement et certaines réformes structurelles, autant l’effort demandé doit rester raisonnable, c'est-à-dire lié aux capacités de l’économie réelle du pays. Or, ici on hypothèque l’avenir collectif du pays en coupant certaines dépenses (éducation, santé, recherche).

Le problème de la Grèce et du Portugal, on parle moins de l’Irlande, va bien au-delà des problèmes d’économie parallèle ou du fait de vivre au dessus de ses moyens. C’est bien la spécialisation économique intra-zone-euro et l’articulation entre politique monétaire et politiques budgétaires des Etats-membres qui pose problème.

Enfin, gardons-nous bien de juger avec condescendance les Grecs, les Portugais ou quelconque pays dans une situation similaire, car la situation financière de la France ne nous met pas à l’abri d’un ajustement budgétaire plus sévère à l’avenir. Sans parler du fait que la contrainte budgétaire qui pèse sur les Etats-Unis laisse entrevoir de sombres perspectives pour l'économie mondiale.

19:37 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : europe, économie

30 mai 2011

Et l’homme créa un dieu

science-fictionPour tous ceux qui ont découvert le talent et le génie de Frank Herbert par la saga Dune, et qui sont tombés amoureux de cet univers, il convient de dissiper d’entrée tout malentendu lié à la première page de couverture. Bien que sous-titré Prélude à Dune, Et l’homme créa un dieu n’a pas de liens directs avec cet univers. On retrouve cependant les thèmes chers à Frank Herbert.

Marqué par une lointaine et mystérieuse Guerre des Marches, la galaxie s’assure l’unité et la paix entre civilisations par les services Redécouverte et Rééducation (le R.R), chargé de redécouvrir les planètes autrefois affiliés à l’Empire et d’y enseigner la paix civile, et Investigation et Normalisation (l’I.N), chargé d’employer la manière forte en cas de menaces guerrières avérées.

L’histoire se centre sur le personnage de Lewis Orne, agent R.R tout juste diplômé de l’Ecole de la Paix, et envoyé sur une planète récemment redécouverte et où l’on enregistre de nombreuses disparitions. L’homme semble des plus banals mais abrite en lui une sorte de pouvoir de préscience, faisant preuve d’un sens aigue de l’observation et d’immenses capacités d’intuition.

Plus ou moins supervisé par Stetson, un agent de l’I.N convaincu de son potentiel, Lewis Orne va mener plusieurs missions suicides pour assurer la paix, et déjouer le contre-pouvoir des Nathians. Ses grandes capacités et son expérience de quasi mort imminente l’assimilent à un « faiseur de miracles », un « dieu en puissance », aux yeux des Prêtres du Surdieu. Seules les épreuves finales permettront de déterminer qui il est réellement.

Plutôt court, le roman se lit assez rapidement d’autant plus que le style est ici accessible. Rien à voir avec Destination Vide, un autre roman de Frank Herbert dont j’aurai l’occasion de reparler, où le jargon scientifique égare le lecteur. Le livre ouvre la réflexion sur la relation entre religion et pouvoir, entre créateur et créature, entre paix et guerre, et sur les potentialités de la conscience humaine. On en revient à la notion de post-humanité dont j’avais parlé l’été dernier.

L’intrigue est moins complexe que celle de Dune. Les défis rencontrés par Lewis Orne apparaissent comme des étapes dans la trajectoire personnelle du héros, montrant une progression du personnage du statut d’homme banal à celui de surhomme. Ici c’est moins l’environnement que le personnage qui compte, à la différence de Dune. Mais cela n’enlève rien à la qualité de l’histoire et de la narration. Et c’est avec plaisir que j’ai relu Frank Herbert.